Trop souvent des lecteurs me demandent de penser pour eux ou croient trouver dans ce blog le devoir qu’ils ont à rendre. Rien n’est plus faux ! On ne pense que par soi-même (sinon, on perroquette). On ne réfléchit que sur un problème précis (sinon, on est hors sujet). On ne chemine qu’avec son intelligence propre (sinon, on est manipulé). Beaucoup trop de gens, notamment dans leur jeunesse, ne pensent pas par eux-mêmes, répètent ce qu’ils ont entendu ou lu sans réfléchir, et se laissent embrigader dans des passions collectives qui ne servent que quelques-uns. Disons qu’il y a deux types humains caricaturaux : l’actif et le passif. L’actif sollicite et provoque pour avoir un retour et élaborer une réflexion ; le passif ingurgite et classe, juxtaposant les idées sans les relier. C’est ainsi qu’internet peut rendre plus intelligent ou plus bête, selon le tempérament.
La mémoire humaine est dynamique, son système est souple et reste ouvert. Tout le contraire d’une bibliothèque qui ne contient que ce qui est indexé. Nos savoirs emmagasinés en mémoire ont une indexation flexible, en fonction de nos centres d’intérêts et du développement de nos connaissances. La mémoire humaine apprend, pas celle de l’ordinateur…
C’est pourquoi il est utile et formateur de « raconter des histoires ». Conversation, rédaction et dissertation sont des méthodes qui permettent de préciser sa pensée, de se souvenir et de tirer leçon. Or la conversation est trop souvent un monologue ; la rédaction une juxtaposition de faits vagues et sans liens ; la dissertation une régurgitation de fragments de cours. Raconter ne consiste pas à décrire, à répéter le banal, mais à mettre en valeur ce qui est hors de l’ordinaire. Ces récits construits donnent sens à l’expérience, à la recherche sur un sujet, comme à l’existence tout entière. L’inconnu rencontré est transformé en connu, défriché pour alimenter la réflexion, retenu pour tenter de comprendre les forces et les savoirs qui jouent un rôle dans la vie. Apprendre à expliquer les événements implique de comprendre ce qui à chaque fois s’est passé, donc à en tirer une réflexion - un retour d’expérience – alimentant ainsi son intelligence (qui est capacité d’adaptation). Être étonné, premier pas de la philosophie, permet de sortir de soi pour s’intéresser au monde, qui ainsi choque ou séduit et fait réagir et penser. Raconter lui donne sens, provoque le débat avec les autres et alimente l’effet en retour de cette dialectique qu’est la faculté d’intelligence.
Trop souvent les gens se contentent de régurgiter ce qu’ils ont glané ici ou là, sans l’organiser ni même le penser pour eux. C’est bien plus dommage quand ils sont jeunes ! La timidité, la peur de se lancer, de s’exposer au regard qui juge, expliquent une partie de problème. Mais la facilité aussi, alimentée par la démagogie ambiante qui note sur le « niveau moyen », sans élever quiconque au-dessus de l’égalitarisme de principe, qui aligne sur la majorité donc sur le médiocre.
Non ! Le savoir d’internet ne remplace en rien le travail personnel. Internet est comme une sorte de dictionnaire où l’on trouve de tout, mais sans ordre aucun et avec des points de vue non testés. La pensée critique personnelle, le travail de recherche, la méthode scientifique même, exigent de sortir de la répétition pour élaborer les idées. Nul ne peut être chercheur, journaliste, ou tout simplement adulte, s’il ne devient pas capable de se faire sa propre opinion sur des informations d’expérience personnelle ou trouvées sur le net. Cela s’apprend par essais et erreurs – mais certes pas sans rien faire. Qu’on se le dise chez les teens !