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L’inexactitude de Nicolas Sarkozy sur l’audiovisuel public

Publié le 07 février 2009 par Sylvainrakotoarison
Serait-ce un scoop ? Une erreur commise par le Président de la République devant une quinzaine de millions de Français et, à ma connaissance, relevée par aucun média. Et qui réduit la portée d’une démonstration dans un domaine très sensible.
J’avais rédigé un article sur Nicolas Sarkozy et cette supposée dictature dans laquelle il aurait plongé la France. J’en avais rédigé la première partie avant l’intervention du chef de l’État à la télévision le soir du 5 février 2009.
Il s’agissait de réfuter cette thèse alarmiste. Cependant, avant de poursuivre cet article sur d’autres éléments, je voudrais évoquer un point qui ne semble avoir été relevé par aucun média à ce jour à ma grande surprise et qui me paraît pourtant très important.

La nomination des dirigeants de l’audiovisuel public
Réfutant la mainmise sur les médias (je reviendrai sur le sujet), le Président Nicolas Sarkozy a fait à la télévision une démonstration qui paraissait très convaincante. Son habileté oratoire, sa bonne connaissance des dossiers et son expérience sur le terrain pouvaient l’aider à contester l’idée selon laquelle il voudrait nommer selon son bon plaisir les patrons de l’audiovisuel public.
Il a employé des termes très durs à ce sujet puisqu’il a parlé de « mensonge ». Tout est dit dans cette phrase : « Nous passons d’une système d’hypocrisie à un système de transparence totale. ». Ce en quoi il n’a pas tort, puisque la nomination des patrons de l’audiovisuel public (France Télévisions et Radio France) auparavant faite par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pouvait se faire avec quelques pressions de l’Élysée à l’époque de Jacques Chirac ou de François Mitterrand.
Revenons sur les arguments avancés par Nicolas Sarkozy.
Premier argument : Nicolas Sarkozy n’est pas seul à décider ; ce n’est pas lui qui nomme mais c’est le gouvernement en Conseil des ministres. Et il n’a pas tort : à part les membres du gouvernement, chaque nomination présidentielle nécessite la signature des ministres concernés.
Sachant que c’est lui qui a nommé le gouvernement, il est vrai que ce premier passage est plutôt une formalité.
Cela dit, cette procédure a déjà été à l’origine de graves crises politiques, comme celle du 16 mai 1877 où le Président monarchiste MacMahon refusait des nominations de généraux voulues par une nouvelle majorité républicaine. En 1986, certaines nominations ont créées de la tension entre le Président de la République et le Premier Ministre, mais c’était en période de cohabitation.
Deuxième argument : La procédure nécessite ensuite le quitus du CSA sans lequel les nominations ne peuvent avoir lieu. Sur ce point, on n’est pas très éloigné de la procédure antérieure.
Troisième argument, le plus important : Ensuite, les nominations vont aux commissions permanentes concernées des deux assemblées parlementaires pour avis. Et Nicolas Sarkozy de poursuivre : « Ce nom proposé part aux commissions des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale et du Sénat où il doit être accepté à la majorité des trois cinquièmes, c’est-à-dire que l’opposition doit être d’accord avec la majorité pour accepter le nom. ».
Ce troisième argument est de poids et peut lui faire conclure : « Vous voyez qu’on est bien loin de la caricature d’un Président de la République seul dans son bureau qui va nommer le président de France Télévisions. ».
Aucune contestation des propos présidentiels ?
Les propos sont retransmis immédiatement par des dépêches d’agences de presse, notamment celle de l’AFP qui répètent scrupuleusement les mots du Président de la République.
J’ai immédiatement eu une incompréhension dans ce que j’avais entendu et après vérification, il est patent que soit le Président de la République a fait une erreur involontaire, soit il a lui-même menti (seconde hypothèse que j’exclus a priori) car sa démonstration, convaincante dans le fond, m’apparaît soudain très incertaine.
Et je suis très étonné qu’aucun journaliste présent sur le plateau de l’Élysée n’ait relevé l’erreur (mais combien de journalistes interrogeant une personnalité politique connaissent vraiment à fond ses dossiers ?). Aucun autre journaliste non plus ne l’ait relevée le lendemain, en dehors de la pression du direct, avec tout le temps possible pour faire des vérifications. À ma connaissance, à ce jour, pas même un membre de l’opposition non plus n’a relevé l’inexactitude présidentielle. Aurais-je mal entendu ?
Quelle inexactitude ?
Pourquoi parler d’erreur ? Parce que la réalité est différente de celle que Nicolas Sarkozy a décrite concernant la nomination des présidents des sociétés de l’audiovisuel public.
Pour cela, il suffit de se reporter à la loi qui est en cours d’adoption. Pas le texte de la réforme de l’audiovisuel public en tant que tel mais plutôt à la loi organique parallèle qui a été adoptée en seconde lecture par l’Assemblée Nationale ce 5 février 2009 (le jour même de l’intervention du Président de la République) et qui nécessite son adoption par le Sénat dans les mêmes termes.
Que dit ce texte ? C’est très court puisqu’il n’a qu’un article unique. Je le cite donc :
« La nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France est soumise à la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Dans chaque assemblée parlementaire, la commission permanente compétente se prononce après avoir entendu publiquement la personnalité dont la nomination lui est proposée. La nomination intervient après la publication au Journal officiel de l’avis des commissions parlementaires. »
Reprenons aussi ce cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, c’est un article réécrit par la révision du 23 juillet 2008 :
« Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés. »
Vous avez donc compris où était l’erreur : pour faire accepter ses nominations, le gouvernement ne doit pas obtenir une majorité des trois cinquièmes dans les commissions parlementaires, ce qui aurait imposé un accord aussi d’une partie de l’opposition, mais seulement ne pas avoir un rejet des trois cinquièmes.
En clair, si seulement un peu plus que deux cinquièmes des commissions ne sont pas contre les nominations, alors celles-ci sont validées.
Par voie de conséquence, inutile donc d’avoir le soutien d’un parti d’opposition. La majorité parlementaire est majoritaire dans les commissions, donc c’est suffisant pour la validation des nominations.
Inexactitude ? Erreur ? Je ne sais quel mot employer, en tout cas, ce qui a été expliqué par le Président de la République est erroné par rapport à la réalité qui s’installe depuis la réforme des institutions.
Démonstration bancale et silence des médias
Si bien que la démonstration devient plus bancale. Elle reste certes pertinente sur le fond (ces nominations ayant été l’objet d’une minutieuse attention de l’Élysée depuis toujours) mais affaiblie car l’accord de l’opposition ne devient plus nécessaire dans ce cas-là.
Alors, ma question, ce n’est pas sur cette erreur de Nicolas Sarkozy. Errare humanum est.
Mais sur ce silence. Cette absence de réflexion ou de connaissance des textes qui sont adoptés par le Parlement.
Pourquoi personne n’a-t-il donc relevé cette inexactitude ?
Pourquoi personne n’a-t-il réagi ?
Dictature rampante ou incompétence ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 février 2009)
Pour aller plus loin :
Le texte de la loi organique sur les nominations dans l’audiovisuel public.
Dépêche sur les déclarations du 5 février 2009 de Nicolas Sarkozy sur les nominations dans l’audiovisuel public.
Sarkozy dictateur ? (1)


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