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Les nourritures terrestres

Publié le 10 février 2009 par Samiahurst @samiahurst
Eluana Englaro s'est éteinte hier soir. Sans avoir du tout eu connaissance de l'orage constitutionnel et religieux déclenché en Italie autour de ses derniers jours. Cette femme de 38 ans, dans un coma végétatif depuis 17 ans, est devenue un symbole de toutes sortes de choses: le droit de mourir, la lutte pour la légalisation de l'euthanasie, les positions catholiques sur le caractère sacré de la vie. Un enjeu d'éthique nationale en Italie, disséqué sur la scène mondiale.
Ce n'est pas la première fois qu'une décision d'interrompre l'alimentation artificielle soulève ainsi des passions. Avant Eluana il y avait eu Nancy Cruzan, et bien sûr Theresa Schiavo. Trouvez-vous en état végétatif persistant, et les efforts de votre famille pour vous permettre de mourir dignement risquent de vous faire tous jeter en pâture à toutes sortes d'intérêts qui vous dépassent, et n'ont finalement pas grand chose à voir avec vous.
Car c'est un sort peu enviable que d'être un symbole. Et il est si simple d'exploiter l'histoire d'une personne incapable de se défendre. D'une personne dans le coma. Ou d'une famille en deuil. La réaction du "ministre de la santé" du Vatican, Javier Lozano Barragan à l'annonce du décès d'Eluana? 'Que le Seigneur l'accueille et pardonne à ceux qui l'ont conduit là'. La gifle à la famille est partie sans attendre. On a d'abord envie de penser qu'il a raté une occasion de se taire. Mais en fait non, c'est parfaitement logique. Parfaitement cohérent avec une politique de récupération intégrale du malheur de cette famille au bénéfice d'un agenda politique. Silvio Berlusconi illustre parfaitement la situation en saisissant l'occasion pour se plaindre que la Constitution italienne 'ne lui donne pas assez de pouvoirs'. On croit rêver, mais on n'a pas cette chance.
Ces combats de coqs autour du lit d'une mourante sont indécents. Ils rajoutent une couche de difficulté dont personne, à un tel moment, n'a besoin. Et surtout pas les familles de personnes en état végétatif persistant. Car même sans tornade médiatique, interrompre ou non une alimentation artificielle reste une décision que l'on prend à la croisée de plusieurs difficultés. La Constitution italienne garantit aux patients capables de discernement le droit de refuser une intervention médicale, quelle qu'elle soit. Mais ici, qu'aurait voulu la personne concernée? En l'absence de directives anticipées, il demeure souvent difficile de le savoir. Dans un tel cas, les chances de sortie du coma étaient minces au point de disparaître. L'alimentation artificielle peut alors être une forme d'acharnement thérapeutique. Mais elle reste difficile à interrompre. Car lorsqu'on pense à la nourriture, on pense à toutes sortes d'autres choses: le soin de l'autre, la convivialité d'une table, la solidarité humaine, le non-abandon. On pense aux nourritures terrestres. A la vie même. Des choses d'une importance énorme, mais que l'état végétatif persistant, bien sûr, limite. C'est là une partie de sa tragédie. Ce qu'il en reste, la présence, le non-abandon, le toucher, l'histoire que l'on continue de se raconter auprès d'une personne durablement inconsciente, tout cela doit alors de toute manière s'exprimer autrement que par la nourriture. Car comment rattacher tout ça à une poche de plastique au bout d'un statif? L'Académie Suisse des Sciences Médicale précisent que dans certaines circonstances 'le renoncement à tout apport en calories et en liquide peut se justifier' et relèvent loyalement que cette question fait l’objet de discussions controversées et de pratiques très différentes'.
En d'autres termes, c'est une décision qui doit se prendre mûrement, entre personnes pour lesquelles l'intérêt de la patiente passe avant le reste. Une pensée émue et solidaire aujourd'hui pour le père d'Eluana, qui a mené un long combat pour que les intérêts de sa fille ne disparaissent pas derrière les drapeaux des uns et des autres. Et qui a eu face aux média, après sa mort, la réponse la plus digne que l'on puisse imaginer. Demander qu'on le laisse enfin tranquille.

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