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La cabane dans les bois (4)

Publié le 10 février 2009 par Feuilly
Il serait vain, ici, de raconter par le détail ce voyage aussi incroyable qu’insolite. Je pris un billet au hasard et me retrouvai dans un train qui aussitôt fendit la nuit noire en direction des ports de l’Atlantique. Dans le petit jour blafard, l’océan m’attendait, marquant la fin des terres et du monde habité. Je suis resté trois jours à le contempler, fasciné par ses vagues immenses qui venaient mourir sur les rochers dans un fracas de fin du monde. Il y avait de la rage dans cette écume baveuse, qui semblait d’abord vouloir tout anéantir puis qui se rendait compte finalement de son impuissance. Elle se tordait alors de désespoir le long des pierres usées, les enlaçant d’une dernière caresse mauvaise et cependant résignée avant de retomber dans le néant de l’onde. Mais aussitôt, révoltée devant sa propre défaite, elle recommençait une nouvelle attaque, voulant imposer le règne de l’élément liquide à cette terre prétentieuse qui osait lui faire face. Hélas, c’était pour essuyer un nouvel échec, d’autant plus cuisant que l’attaque avait été forte. La vague se tordait alors de douleur et, dans un grognement de fauve, regagnait son antre liquide.
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Pendant trois jours et trois nuits donc, je suis resté là, aussi patient que l’océan, pour tenter de savoir qui allait finalement remporter cette bataille au devenir improbable. Je dormais sur la plage, à même le sable, emmitouflé dans un sac de couchage de fortune et grignotant les quelques biscuits que j’avais emportés. Dans mon sommeil, il me semblait entendre le hurlement des loups, tout là-bas, dans la forêt que j’avais quittée. Je me réveillais en sursaut : ce n’était que le bruit de la mer qui lançait une nouvelle attaque, plus meurtrière encore que les précédentes, si on en jugeait par le bruit assourdissant et par les embruns qui arrivaient jusqu’à moi, laissant sur mes lèvres un goût amer et inconnu. Je me rendormais aussitôt et faisais d’étranges rêves, dans lesquels des bateaux démâtés partaient à la dérive, poussés par des courants inconnus. Au petit matin, la chaleur du soleil sur mes joues me réveillait. La plage était déserte et la mer, vaincue, avait reculé aussi loin qu’il était possible d’imaginer, laissant à découvert une vaste étendue de sable mouillé. Les mouettes s’y étaient donné rendez-vous. Elles se rassemblaient par centaines, cherchant leur nourriture avec une avidité inquiétante et lançant des cris assourdissants. Il me semblait vivre le premier matin du monde, avant même l’apparition de l’homme.
Puis je suis parti, longeant la côte vers le Sud dans des trains cahotants qui s’arrêtaient dans tous les villages. Après la Charente, ce fut Bordeaux « et ses vastes pontons » comme dit le poète et dans ma tête je fredonnais la chanson de Ferré. (« Je suis un grand bateau descendant la Garonne »). Du haut du pont d’Aquitaine, j’ai contemplé l’estuaire, qui n’en finissait pas de s’élargir en direction de l’horizon tandis que l’immense fleuve, imposant et majestueux, s’avançait gravement vers la mer sans savoir encore qu’il allait à la mort. Derrière moi, dans mon dos, je sentais la présence de dix mille hectares de vignoble qui venaient mourir par vagues successives et je pensais à tous ces hommes qui avaient travaillé cette terre et ces ceps depuis la plus haute Antiquité. Il me semblait être à la jonction de l’histoire et de la géographie, du temps et de l’espace. Paris était bien oublié.
Plus loin, dans la grande plaine, bien plus loin, devait se dresser le château de Montaigne et je me dis que c’était cela aussi voyager : retrouver les lieux décrits dans les livres que l’on a lus ou marcher sur les traces des écrivains qu’on a aimés. Et je me demandais si le paysage dans lequel ces génies ont vécu avait influencé leur pensée. On n’imagine pas un Pierre Loti sans la mer ni un Giono sans sa Provence. Qu’aurait écrit ce dernier s’il n’avait pas vécu à Manosque mais à Roubaix, Rennes ou Rouen ? Difficile à dire.
Puis se fut la traversée des Landes, avec ses pins maritimes et ses odeurs de résine envoûtantes. Sur cent kilomètres, ce ne fut qu’un seul parfum, tenace et obstiné, qui se répandait dans la chaleur estivale.
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A Hendaye, il fallait attendre pour prendre le train vers l’Espagne et pendant deux bonnes heures j’ai arpenté les bords de la Bidassoa. En son milieu, se trouve l’île des faisans. C’est là qu’autrefois les rois de France et d’Espagne mirent fin à la guerre de succession qui opposait leurs deux pays. En terrain neutre, au milieu de l’eau, cette île qui n’était pas plus française qu’espagnole avait permis de trouver un terrain d’entente et de concilier les susceptibilités des grands de ce monde, personne ne voulant mettre un pied chez son voisin ou avoir l’air de faire un pas en sa direction. Les Pyrénées barraient l’horizon, superbes, imposantes et complètement indifférentes à ces querelles humaines, fussent-elles royales. C’est qu’elles savaient qu’il n’y avait qu’une seule et vraie frontière entre les deux pays et que cette frontière, c’étaient elles qui l’imposaient. On se dit parfois, rien qu’en contemplant les paysages, que les querelles des hommes sont bien vaines et leurs ambitions bien stériles.
J’allais d’ailleurs avoir l’occasion de me rendre compte à quel point l’espèce humaine est étrange. J’étais enfin installé dans le petit train qui conduit à San Sebastian et à à peine avais-je traversé Irun qu’un bruit sec fit sursauter tous les passagers. Une des vitres du wagon avait failli voler en éclats. En son centre, on pouvait voir un trou circulaire : c’était un impact de balle. Bienvenue dans la guerre urbaine, bienvenue au pays basque.
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