Aux portes des Ténèbres

L'étroit escalier en colimaçon s'enfonce dans les entrailles de Paris. A soixante mètres de profondeur, il atteint une galerie qui va nous mener dans un des endroits les plus curieux et les plus mystérieux de la Capitale : les catacombes. Claustrophobes s'abstenir.       Pendant de nombreux siècles, les pierres utilisées pour la construction des maisons de la ville ont été extraites du sous-sol de celle-ci. Le sous-sol de Paris devint ainsi un véritable "gruyère" et les affaissements et autres effondrements en surface n'étaient pas rares. En 1785, pour des raisons de salubrité, il fut décidé de transférer les ossements du cimetière des Innocents dans les anciennes carrières de pierre, puis, au fil du temps, d'autres cimetières furent déménagés dans ce lieu. On estime entre 4 et 6 millions le nombre de défunts dont les restes se retrouvent le long des 780 mètres de galeries ainsi réaménagées.   Les premiers hectomètres n'offrent pas d'intérêt particulier, la galerie est souvent rectiligne et quelques repères permettent de nous situer par rapport aux rues  du dessus.       L'atmosphère est humide et même assez lourde. Au détour d'un virage, première surprise : cette sculpture représentant le palais de Port-Mahon aux Baléares élaborée entre 1777 et 1782 par un des ouvriers des carrières.     Decure (c'est son nom) fut tué par un éboulement dans la galerie à l'emplacement de cette sculpture. Machinalement, je jette un petit coup d'oeil à la voûte : Ouf !  aujourd'hui, pas de danger.   Le même Decure, vétéran de sa Majesté,  réalisa cette autre oeuvre (1782 également) rencontrée un peu plus loin.       Un puits, aménagé par les ouvriers chargés de la consolidation des galeries, permet d'atteindre la nappe phréatique. Ce puits, appelé puits de Port-Mahon, nous laisse entrevoir une eau claire et limpide.  

Nous pénétrons maintenant dans les catacombes proprement dites. Il fait de plus en plus humide, l'eau suinte du plafond et forme quelques flaques au sol. Soudain apparaissent ces monticules d'os et de crânes, régulièrement alignés, avec quelques indications sur leur provenance. L'atmosphère est plutôt lugubre, c'est évident.    

    La lumière est faible et il est interdit d'utiliser le flash des appareils-photos pour assurer la conservation du site. Quelques fémurs (à moins que ce soit des humérus...) remontent jusqu'à l'éclairage       Impressionnant quand-même ! Subitement, dans la pénombre, une ombre se découpe et semble se mouvoir au milieu des ossements : un fantôme ! Non, heureusement, ce n'est qu'un gardien qui vient de quitter sa chaise et qui contrôle qu'aucun visiteur n'enfreint le réglement et ne s'accapare notamment quelques os en souvenir.  Si, si ! Il paraît que ça arrive !  Un crâne en guise de cendrier ? Faut être un peu dérangé, non ?       Il faut compter plus d'une heure pour parcourir les allées réservées à la visite. Mais qu'est-ce qu'il a celui là à me fixer ? Peut-être un ancêtre qui m'a reconnu ?  

Au loin, on entrevoit soudainement une vive lumière jaune qui semble sortir du tréfond de la terre alors que tout aussi brusquement des cris retentissent, de plus en plus distinctement. Seraient-ce des flammes ? Seraient-ce les appels des damnés ? Serions-nous aux portes de l'Enfer ?  Que nenni ! Ce ne sont que les clameurs de la rue, nous approchons de la sortie. Avant de regagner l'air libre, un emplacement a été apparemment réservé aux visiteurs pour les inconditionnels des graffitis. Il parait aussi qu'il y en a qui ne peuvent pas passer quelque part sans laisser une trace indélébile de leur venue. C'est ainsi.    

    Retour au pays des vivants. Et si je vous disais qu'en sortant on est content de revoir du monde dans la rue et sur les trottoirs !