Palme d'or

Je crois qu'à un moment donné, il faut se rendre à l'évidence : étant donnée l'allure à laquelle je suis capable de me faire des films dans ma petite tête de MC, il va bientôt que je mette tout ça au service du septième art et que j'aille me pavaner sur la Croisette en mai. En une journée, j'ai battu mon propre record de scénario. 
Le décor : une classe. Les acteurs : une prof et l'accesoire indispensable de tout prof, des élèves.
Moteur. On tourne...
 "Dring dring" (comme dans les films d'horreur, c'est souvent le téléphone qui amorce le début de l'action). Je fais volte-face à la classe, le regard noir, prête à sauter à la gorge de l'hérétique qui aurait oublié de couper son portable... Oups, c'est moi. J'adresse mes excuses aux élèves et je joue la carte de l'humour "Vous voyez, c'est exactement ça qu'il ne faut pas faire !". Je me rue sur mon sac pour couper la sonnerie. J'ai juste le temps de m'apercevoir que c'est le collège dans lequel je suis qui essaie de me joindre. Ca, je suis sûre que c'est pour ajouter un effet dramatique doublé de la sensation d'être dans la quatrième dimension.
En face de moi, les élèves qui avaient l'air de doux agneaux intensifient le suspense. "Madame, vous auriez dû répondre". "C'est peut-être important". "C'est peut-être une urgence". "C'est peut-être grave". "Il y a peut-être quelqu'un qui a besoin de vous". Je balaie tout ça d'un "Mais noooooon !... On se remet au travail". Et c'est là que je me rends compte que le pouvoir de suggestion d'une petite trentaine d'ados est terrifiant.
En même temps que j'écris au tableau, un scénariste prend possession de mon esprit. "Et si c'était l'école de MiniBri qui cherchait à me joindre et qui est passé par le secrétariat ?" (non, ils n'auraient pas plutôt composé mon numéro de portable en premier !). "Et si il était arrivé quelque chose à ma fille ?". "Et si elle était malade ?". "Et si elle avait fait une mauvaise chute à l'école ?".... "Et si..." Sueurs froides...  Ah ça, pour avoir de l'imagination, j'ai de l'imagination.
Au bout d'un moment, j'arrive à baillonner ce mauvais scénariste qui crie dans a tête... Pfiou, encore 30 minutes de cours pour avoir la certitude que je me faisais un mauvais film de série Z.
Et c'est là qu'un autre mauvais cinéaste surgit : "Non, en fait, le collège t'appelle directement sur le portable parce que c'est urgent : ils veulent te prévenir que tu seras inspectée la semaine prochaine." Aaaaaaaaargh ! Non ! Pas le châtiment de l'inspection.... Aaaaaaaargh !... J'ai été sage... Attends, mais tu en es où dans ta progression ?... Ah oui... La semaine prochaine ?.... Oui, ça devrait tenir la route... Bon, bah, de toute façon, si je dois être inspectée, j'aurais plutôt intérêt à me reconcentrer sur mon cours pour ne pas perdre de temps et avancer suffisamment pour être dans les temps. Bien. J'en étais où ?.... Encore 20 minutes de cours.
Ca sonne. Allez, oust, dehors. allez, les élèves, vous avez d'autres profs que moi à aller voir.  Je dois me jeter sur mon portable pour voir ce qu'il y a de si urgent pour que le collège me téléphone plutôt que de m'envoyer un surveillant pour colporter la grande nouvelle. Code PIN. Je me trompe. Les neurones, on arrête de s'entrechoquer et on se calme. Code PIN. Accepté. On progresse. Répondeur. Comment ça, pas de réseau ?... Ah, ça y est, les barres vénérées et adorées s'affichent. Répondeur. "Vous avez un nouveau message... aujourd'hui à..."
Quoiiiiiiiiiiii ?
J'ai passé une heure à me prendre pour la fille des Frères Lumière pour une secrétaire qui m'informe qu'une réunion est annulée ?
C'est une blague ?
Je crois que la vitesse à laquelle j'ai pu monter ces scénarios bien rodés ne témoigne que d'une chose : je suis stressée. Je crois que j'ai un besoin urgent de vacances. Là. Maintenant. Tout de suite. Et pas de vacances à Cannes. Ni à Berlin. Ni à Deauville. Ni à Hollywood.
Coupez. Clap de fin.
Je pars chercher l'ouvreuse pour qu'elle me donne un carreau de chocolat pour me réconforter...
[EDIT] : article qui s'avère être hautement prémonitoire : quelques jours après l'avoir écrit,  l'école de ma fille m'a bien téléphoné au collège pour récupérer MiniBri, malade... En fait, mes scénarios sont crédibles... et réalisables...