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Crise Antillaise : avec Jégo mais sans Sarko

Publié le 15 février 2009 par Hmoreigne

 Alors que le mouvement social de Guadeloupe s’inscrit dans la durée et menace de faire tâche d’huile sur la Martinique et la Réunion, une impression de flottement se dégage de l’exécutif. La gestion de la crise échoue à un secrétaire d’Etat à l’Outre-mer fragilisé par son brusque rappel à Paris et désormais encadré de deux médiateurs. Hier omniprésent sur la scéne politico-médiatique, Nicolas Sarkozy se fait très, très discret.

Le service minimum assuré par l’Elysée, n’aura pas suffit. Vendredi 13 février, le président de la République a annoncé la mise en place “sans délai” d’un conseil interministériel de l’outre-mer. “Plus que jamais, l’Etat doit être juste, il n’est au service d’aucun groupe, d’aucune catégorie sociale. (…) La société antillaise a le sentiment aujourd’hui qu’elle n’est pas entendue”. “C’est pour cette raison que je souhaite que l’on mette en place, comme je m’y étais engagé pendant la campagne présidentielle, un conseil interministériel de l’outre-mer, sans délai. Ce conseil se réunira, dans les prochains mois, pour faire des propositions sur la rénovation de la politique menée par l’Etat en outre-mer”.

Obnubilé par le grand rendez-vous du 18 février avec les confédérations syndicales nationales, Nicolas Sarkozy s’est refusé à réserver un traitement particulier à la question ultramarine. Le chef de l’État a simplement promis d’aborder les revendications sur la répartition des richesses lors de cette prochaine rencontre.

Mais qu’arrive-t-il à notre président, celui que Laurent Joffrin décrivait dans les colonnes de Libération comme “le furet de la Cinquième, le TGV de la politique”. Effectivement, elle est passée où notre “antilope zizagante “? A-t-elle à ce point perdu son sens épidermique de la politique qui lui avait jusqu’alors tourjours permis de coller à l’émotion médiatique ? Une cessité incompréhensible attestée par l’absence de tout mot sur la situation Guyanaise lors de son intervention télévisée.

Certains observateurs avancent que Nicolas Sarkozy n’aurait pas été informé de la gravité de la situation par son Premier ministre… “Il est surprenant que Nicolas Sarkozy se réveille après quatre semaines de conflit dans un département français. En métropole, le gouvernement se serait mobilisé dès le lendemain matin.”, a déclaré vendredi Elie Domota, porte-parole du collectif guadeloupéen LKP.

Le traitement de la situation demeure incompréhensible. Si deux médiateurs, illustres inconnus, ont été rapidement dépêchés en Guadeloupe, Yves Jégo se contente de faire la tournée des popotes des médias de l’hexagone, comme si la vraie bataille était celle de l’opinion publique métropolitaine. Aucun déplacement n’est programmé. Pas plus du secrétaire d’Etat à l’outre-mer que du Premier ministre ou du Chef de l’Etat.

La situation est pourtant bien bloquée. François Fillon refuse catégoriquement une prise en charge partielle par l’Etat de la hausse réclamée de 200 euros des bas salaires du privé. Une logique bancale quand les salaires minimum ne sont pas toujours respectés et surtout quand les fonctionnaires d’Etat en poste sur l’ile perçoivent un traitement majoré de 40% par rapport à la métropole.

Puisque la porte est fermée de ce côté là, Yves Jégo, qui joue dans l’affaire son avenir au gouvernement, a changé son fusil d’épaule. Invité du JT de France 2, il a fermement dénonçé “un climat de terreur, de pression” sur certains commerçants pour qu’ils ferment leurs magasins. Un jugement qui occulte le fait que malgré l’importance des rassemblement et la durée du mouvement, aucune exaction n’a été enregistrée.

Sur France Info, pourtant, Yves Jégo a reconnu que le problème majeur dans cette crise, est celui de la concurrence.Il y a un vrai problème de concurrence outre-mer, sur le prix de l’essence, ce n’est pas très clair, sur les marchés de la grande distribution, sur le prix des télécommunications…C’est un problème majeur…”Qui est responsable ? Si je le savais, je le pointerais du doigt à votre micro. Je vais demander à l’autorité de la concurrence de faire ce travail. Ce n’est pas à un ministre de mener des enquêtes…L’autorité de la concurrence va faire ce travail d’expertise, de démontage des systèmes et éventuellement de sanctions…”

Yves Jégo ne dit pas tout. Le secrétaire d’État à l’outre-mer a diligenté une mission d’inspection, qui examine depuis le mois de décembre 2008 le système de distribution de l’essence dans les DOM-TOM. Si le rapport final doit être présenté fin février, un rapport d’étape révélé par Le Monde est accablant pour les compagnies pétrolières. Suffisamment pour qu’Yves Jégo évoque dans Le Journal du dimanche, du 8 février “un questionnement sur un enrichissement sans cause des compagnies pétrolières” qui pourrait se terminer “par une action judiciaire de l’Etat” contre elles.

Le prérapport égratigne également l’État.” Le dispositif actuel d’administration des prix par les préfets prend l’eau de toute part” et les services de l’État “sont incapables de justifier la base des calculs sur lesquels repose leur évaluation”, en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. Autre élément également gênant pour l’État, l’absence de révision du coût du transport depuis 1989 alors que les cours du fret ont baissé.

On l’aura compris, les DOM-TOM ont pris ces dernières années des aspects mini françafrique avec des situations rendues juteuses pour quelques uns par un État largement défaillant. Un système qui profite largement à tous, sauf au consommateur comme va jusqu’à l’écrire l’auteur du pré-rapport. Une situation d’autant plus intenable qu’en Guadeloupe 100 000 personnes sur 460 000 habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Elie Domota, porte-parole du LKP et agent de l’ANPE, dresse dans un entretien au site Médiapart un tableau sinistre. “Nous avons les chefs d’entreprises les plus réactionnaires de France. Une bonne frange du patronat local vient de métropole et sont des arrière-petits-fils d’esclavagistes qui pratiquent ouvertement la discrimination raciale à l’embauche. Malgré un taux de chômage de 40%, ils continuent de faire venir leur personnel de métropole.

L’économie de la Guadeloupe est organisée autour de l’import-distribution aux mains de quatre familles « béké » (descendants des colons blancs antillais), et tous descendants d’esclavagistes. La famille Hayot (GBH) qui construit et exploite les hypermarchés sous l’enseigne Carrefour est la huitième fortune de France. Ces familles possèdent tout et pratiquent ouvertement une discrimination à l’embauche.

Chaque année, environ 1000 hectares de terres agricoles disparaissent au profit de hangars ou d’entrepôts pour ces grands groupes. De plus, la canne à sucre et la banane sont des produits d’exportation, loin de pouvoir remplir les besoins alimentaires de la population. La colonie est là pour servir la métropole. La canne à sucre n’est même pas raffinée sur l’île mais en métropole d’où elle est ensuite réexpédiée et revendue aux Guadeloupéens. Les lois de défiscalisation et d’exonération, qui n’ont eu que des conséquences négatives sur l’emploi, ne sont ni plus ni moins qu’un blanchiment légal d’argent. Sans compter les hôtels qui ouvrent et qui ferment juste pour que les grosses fortunes puissent bénéficier de remises fiscales et qui ont coûté 1500 emplois à la région en dix ans”.

Reste le cas Jégo. A-t-il fait ou pas des promesses sur les salaires lors de son déplacement dans l’ile ? L’intéressé dément catégoriquement :”Je n’ai jamais fait de promesses sur les salaires et je défie quiconque de trouver un écrit ou un enregistrement qui prouverait le contraire”. Une affirmation que dément totalement Elie Doma dans un autre entretien à Mediapart : “C’est faux. Le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer Yves Jégo ment effrontément. Nous avons un document écrit (disponible ici) sur lequel s’est appuyé Nicolas Desforges, préfet de la région Guadeloupe. Il l’a lu devant des millions de téléspectateurs sur RFO.

Pas très à l’aise dans ses baskets et on le comprend, Yves Jégo a précisé sur France Info que “Ce n’est pas parce que le président de la République ne s’exprime pas qu’il ne soutient pas son secrétaire d’Etat…” Comme la corde avec le pendu peut être. Mais vous, M le Président, vous en pensez quoi de tout ça ? Pour une fois qu’on aimerait vous entendre …


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