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Donner de la saveur au monde

Publié le 17 février 2009 par Memoiredeurope @echternach

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Puisque j’ai décidé de rêver durant quelques jours sur les marchés d’Europe, alors il faut que je commence vraiment fort, par un lieu à la fois symbolique et emblématique.

J’évoquais hier l’accumulation. L’accumulation ou l’abondance est toujours ce qui fait saliver, ce qui crée de l’appétence, ou ce qui donne tout simplement confiance. Bien loin des vitrines de luxe, où une seule montre Patek Philippe peut suffire au bonheur de celui qui aime l’horlogerie de précision et qui sait qu’il doit accumuler une petite fortune pour accéder à un trésor qu’il devra de toute manière attendre plusieurs mois, voire plusieurs années, avant de toucher. Pas de sac ou de foulard Hermès qui ne valent que par la rareté ou bien même l’unicité. 

Ici, au centre d’Athènes, c’est le multiple qui fait dévier la raison de sa course.

Pas un fruit sec, mais des milliers : amandes, noisettes, figues, noix et pistaches, raisins gorgés de sucre et haricots, pois chiches, mais aussi olives et dattes, roulant les unes sur les autres en éparpillant le regard.

Pas une orange mais des tombereaux, d’un rouge sanguine insolent, des bâtons de cannelle et des roses séchées, des immortelles et des lichens.

Pas une tête de porc, mais des dizaines, avec les entrailles pour compagnie royale. Pas une éponge sauvage, mais des centaines de blanches tumescences à côté de pierres ponces en vrac, de tranches d’orange séchées, jouxtant des savons fleurant bon l’olive et de bidons d’huile rangés comme des soldats à la parade.

J’ai découvert le marché couvert du centre d’Athènes, le marché encadré des rues Athinas, Evripidou, Eolou ou Sofokleous, en 2004 lors de ma visite pour les Fêtes de l’Olivier, mi-décembre, alors que Georges et Marinella avait eu la douce folie d’installer une oliveraie dans le métro pour montrer leurs voyages autour de la Méditerranée, les “oléodromias”, et avec l’aide attentive de leurs amis du MUCEM (le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) pour donner à voir et à sentir : des traditions, des manières de faire, des joies enfantines et une odeur venue de l’Antiquité.

J’ai eu le temps de le redécouvrir, il y a un an, quand j’ai été bloqué par la neige et la glace. Et quand je dis redécouvrir, je veux dire prendre le temps de regarder la découpe de la viande. Chaque morceau, comme un acteur, éclairé de projecteurs, un acteur qui attend son tour pour déclamer son texte, mais qu’on entend cependant murmurer. Le temps des poissons aussi, argent et rose dominants, sortis de la mer et prêts à y retourner, au milieu des fruits rouges, oranges et jaunes, des faux fruits qu’on a installés autour d’eux comme pour suggérer une palette. 

Et en quittant à regret ces trésors que je n’avais pas le temps de cuisiner, mais que mes amis m’ont fait connaître dans de merveilleux restaurants ou chantent encore les canaris, de Plaka à Kalamata, je me suis aperçu que toute chose proposée à la vente n’avait d’attrait que dans le trop. Des bombonnes de gaz aux ballons multicolores, des moquettes mimant l’Orient éternel, aux horloges, en passant par les icônes et les bougies, pour ne pas oublier les journaux et les magazines, les disques et les billets de loterie…Toujours plus.

Je me doutais bien que je finirai par trouver sur une de mes étagères à livres un ouvrage de Jacques Lacarrière qui me donnerait sinon le mot, mais mieux encore la phrase de la fin : « …le vrai savoir n’est pas une banque de données, il ne s’emmagasine ni ne se thésaurise, il s’incorpore. Le vrai savoir ne se détient pas ni ne se retient, il se partage. Le vrai savoir ne s’ingurgite pas, il se déguste. Sans plaisir ni désir, il n’y a que bourrage et gavage et lavage de cerveaux. Le vrai savoir est bien celui qui donne saveur au monde. »

Et sur un fond de vielles photographies noir et blanc, un peu passées, où des brebis s’accumulent elles aussi, sur des sentes pierreuses, je m’arrête juste à temps pour ne pas dévaliser la boutique des fromages que je voudrais incorporer toute entière. Je vais prendre ce temps réservé à la saveur ! 


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