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Kaputt

Publié le 19 février 2009 par Hoplite

Lecture de Kaputt, de Curzio Malaparte, dont je ne soupçonnais pas, après avoir lu son traité sur le coup d’état, ce talent de romancier.

Parmi les pages les plus saisissantes de Kaputt, figure la vision des chevaux morts sur le lac Ladoga ; ces chevaux de l’artillerie soviétique, enfermés dans une forêt en feu, brisent le cercle de l’incendie, s’échappent terrorisés, atteignent la rive du lac et se jettent à l’eau. Pendant la nuit, brusque déferlement de vent Sibérien. Le lac gèle, les animaux sont pris dans la glace, seules leurs têtes restent visibles au dessus de la surface durcie.

« Le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines et des centaines de têtes de

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chevaux. Les têtes semblaient coupées net au couperet. Seules, elles émergeaient de la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage. Dans les yeux dilatés, on voyait encore briller la terreur comme une flamme blanche. Prés du rivage, un enchevêtrement de chevaux férocement cabrés émergeait de la prison de glace…Les soldats du colonel Merikallio descendaient au lac et s’asseyaient sur la tête des chevaux. On eut dit les chevaux de bois d’un carrousel. »

Autre moment dramatique où l’auteur, célébrant le courage et le patriotisme des Russes, met en scène un jeune Ukrainien. Une colonne Allemande traverse un village en apparence abandonné ; des coups de feu sont tirés des maisons. Les Allemands ripostent, exterminent les derniers habitants. Tout se tait, sauf un fusil qui continue à tirer. Un seul, tiré par un gamin qui n’a as plus de dix ans.

« Pourquoi as-tu tiré, dit un officier ? Tu le sais bien, pourquoi me le demandes-tu ? », répond l’enfant. Calme, intrépide devant la mort à laquelle il échappe seulement à cause d’une réponse encore plus téméraire faite à une seconde question. « J’ai un œil en verre, lui dit l’officier. Si tu peux me dire tout de suite, sans réfléchir, lequel des deux, je te laisse partir. » « L’œil gauche » répond aussitôt le garçon. « Comment as-tu fait pour t’en apercevoir ? », demande, surpris, l’officier, fier d’être le citoyen d’un pays ou « l’on fabrique les plus beaux yeux de verre du monde ». Et l’enfant de dire tranquillement, sereinement : « Parce que, des deux, c’est le seul qui ait une expression humaine. »

Kaputt, Curzio Malaparte, 1943.


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