"L'enfant
jackpot" : c'est le titre d'un livre de Nathalie Sapena, qui présente de façon très claire et détaillée comment notre société de consommation à outrance a fini par trouver une cible très
lucrative : les enfants. Peu importe qu'ils fument à 12 ans et soient obèses à 13, le porte-monnaie de leurs parents représente un enjeu bien plus important que leur santé.
Présentation du livre par l'éditeur :
Votre enfant dort, son ours en peluche serré contre lui. Vous pensez qu'il rêve d'avoir plus tard une jolie petite maison avec un poney dans le jardin. Qu'il travaille bien à l'école pour
devenir pompier ou vétérinaire. Que de toute façon, tant que vous le protègerez, rien ne lui arrivera.
Vous vous trompez.
Votre enfant a déjà envie d'argent, d'achat de consommation et cela n'a rien d'un hasard. Chaque jour, il est la cible d'une intense artillerie publicitaire qui n'a qu'un but : en faire un client
docile, quitte à contourner les règlementations. Et tant pis pour les effets secondaires : obésité, tabagisme ou alcoolisme précoce, remise en cause de l'autorité parentale, etc. L'équation est
simple : un enfant est bien plus facile à convaincre qu'un adulte. Dés lors, il n'y a plus de territoire sacré de l'enfance, mais un jackpot qu'il faut décrocher. A tout prix. Basé sur une
enquête solide, ce livre met au jour des dérives de la société marchande lorsqu'elle s'en prend aux enfants. Un ouvrage indispensable pour les protéger et les éduquer face à la pression
commerciale croissante qu'ils subissent.
C'est un livre que je vous recommande vraiment, il livre une des clés qui permettent de comprendre pourquoi les enfants et les ados aujourd'hui ne dépassent pas le
zéro pointé en dictée, pourquoi le phénomène des "nolife" explose, pourquoi le tabagisme et l'alcoolisme sont de plus en plus précoces, etc. Combinée avec la démission d'un certain nombre de
parents, voilà comment notre société marchande a fini purement et simplement par pourrir les enfants.
Extraits :
Les entreprises visent des enfants de plus en plus jeunes
Pas de doute, nos enfants sont vraiment bien équipés, même les plus jeunes. Les chambres des petits commencent à ressembler à des antres d'adolescents. Dés 6 ans, un quart des enfants a la télé dans sa chambre et la regarde deux heures par jour environ. Une grande fenêtre ouverte sur la pub. Même si, petit à petit, la télévision est concurrencée par d'autres écrans : 87% des 6-14
ans jouent sur des consoles de jeux (de poche ou branchée sur la télé) et 78% des 6-8 ans. La moitié des enfants reconnaît jouer plus d'une heure par jour ! Internet, avec ses jeux et ses
discussions sur des "chats" notamment, fait aussi partie de leur vie quotidienne : un tiers des 6-8 ans sont déjà internautes, pourcentage qui grimpe
avec l'âge pour atteindre 80% des 13-14 ans. Malgré le renouvellement rapide des générations, ces marchés saturent déjà. Une incitation pour les entreprises à se tourner vers des
consommateurs de plus en plus jeunes, donc de plus en plus immatures. Aujourd'hui, le marché qui explose, c'est celui des 8-14 ans, les "tweens", bien plus gérables que les imprévisibles
adolescents. Le téléphone mobile illustre cette tendance jusqu'à la caricature. Entre 15 et 19 ans, ils ont tous leur portable greffé à l'oreille (83% selon Consojunior) alors qu'à 13 ans ils ne
sont que 53% et 24% à 11 ans d'après Kids Attitude. "Du coup, on observe le développement des offres et du discours publicitaires vers les juniors. Même Disney se prépare à lancer un réseau",
explique Nathalie Meyer, de Consojunior. Une logique poussée à l'extrême par une société monégasque particulièrement entreprenante, International Top Tronic, qui a flairé le filon. A Noël 2004,
elle sort un portable pour les... 5-10 ans, fabriqué en Chine, au design de jouet rose ou bleu, avec 3 boutons faciles à manipuler par des doigts potelés et cinq numéros préenregistrés, pour des
petits qui ne savent pas encore composer un numéro complet. Succès immédiat pour le Babymo, qui se vend au moment des fêtes à 3000 exemplaires. Mais des préoccupations venues d'outre-Manche ont
stoppé net la "bonne" idée commerciale. En effet, en Grande-Bretagne, les portables sont interdits pour les enfants de moins de 8 ans depuis qu'une étude du National Radiological Protection Board
l'a recommandé en Janvier 2005. Principe de précaution : on ignore quels pourraient être les effets des radiations sur des cerveaux particulièrement sensibles aux ondes, à un âge où le système
nerveux est encore en plein développement. Deux associations françaises, Agir pour l'environnement et Priartem, se sont immédiatement mobilisées pour tirer la sonnette d'alarme en mettant en
avant les inconnues sanitaires mais aussi les risques psychologiques d'une utilisation précoce du portable. Les grands magasins comme Carrefour, sensibles à la polémique naissante, ont très vite
retiré le Babymo de leurs linéaires, et cela dans toute l'Europe. La société monégasque tenta alors de porter l'affaire devant la justice en attaquant les associations pour dénigrement
commercial. Peine perdue : le Babymo, encore vendu sur Internet au prix d'une centaine d'euros, est moribond. Pour l'instant. Mais combien de temps faudra-t-il aux opérateurs pour le ressusciter
?
Les petits sur le Net
De plus en plus jeunes, les enfants surfent sur le Net. A 9-10 ans, la moitié d'entre eux se balade sur le Web comme des poissons dans l'eau. Même les tout-petits n'hésitent pas à cliquer sur les
sites spécialement conçus à leur intention qui se sont mis à fleurir. Ainsi, Ptifou, le "petit frère" de Tfou, le site de TF1 qui est le plus visité par les enfants, s'est adapté aux 3-6 ans avec un curseur en forme de gros doigt très aisé à manier et des bruitages sonores pour signaler l'image à cliquer. Le bébé internaute n'a pas besoin
de savoir lire pour se repérer dans les albums de coloriages de ses "héros préférés", ceux qu'il regarde le matin dans les dessins animés diffusés par TF1. Les jeux, c'est aussi ce qui motive les
enfants plus grands, qui font un usage du Net un peu différent de celui des adolescents, même si télécharger des fonds d'écran, des sonneries de mobile ou participer à des jeux concours
continuent à faire partie de leurs activités favorites. A un âge où faire la distinction entre la publicité et un dessin animé ne va pas de soi, Internet pose une difficulté spécifique en
brouillant les repères habituels. Pas de jingle pour annoncer la pub, pas de bandeau d'avertissement, alors que ces bornes sont particulièrement utiles pour signaler à l'enfant le passage du
divertissement à l'intention commerciale. L'enfant saute d'un coloriage à un jeu concours Candy Up pour gagner des laits aromatisés et DVD (sur Tfou),
puis se retrouve sur un site d'achat en ligne de figurines de dessins animés : il nage en pleine confusion. De plus, il est fréquent que ces sites
demandent de remplir des questionnaires, avec des informations sur l'enfant et le foyer, très utiles pour les fichiers des commerciaux. Mais l'enfant a bien du mal à percevoir l'intention
commerciale derrière tout cela. Tout se fait dans une familiarité très travaillée : de nombreux sites tutoient les enfants et les appellent par leur prénom, après leur avoir demandé de
s'identifier. La frontière avec la pub classique est brouillée. Comment les enfants peuvent-ils s'y retrouver ? Il n'y a qu'une chose à faire : les parents doivent leur apprendre à repérer les
sites commerciaux et leur en expliquer les véritables intentions cachées, comme le recommande un site canadien d'éducation aux médias. "Sachez reconnaître qu'on est en train de vous vendre
quelque chose. Les sites commerciaux sont là pour faire de l'argent", conclut le site canadien d'éducation-media.
Des paquets fun pour les jeunes
Un homard bien rouge, des feux d'artifice qui claquent au-dessus de la statue de la Liberté, une nageuse plongeant dans une eau transparente, des Formule-1 en pleine course, une route traversant
un somputeux paysage américain... Le point commun de toutes ces images ? On les trouve sur des paquets de cigarettes. Car depuis quelques années, les paquets de cigarettes se sont en effet
animés, avec des séries limitées et des collectors. On les a baptisés les paquets fun, bien plus rigolos et "tendance" que les classiques emballages. Et destinés bien entendu à un très jeune
public. "D'après nous, c'est un détournement pur et simple de la loi Evin. Tout ce qui est fait sur le conditionnement est interdit" estime Capucine de Bérard. Cette juriste de la Ligue contre le
cancer est chargée de recenser les violations de cette loi qui interdit depuis 1991 toute propagande et publicité en faveur du tabac, qu'elle soit directe ou indirecte (article L 3511-3 du code
de la santé publique). Un travail de fourmi, jusqu'à présent jamais effectué, qui a abouti à un rapport publié en 2003, "la publicité et la promotion des produits du tabac", où les paquets fun
occupent une place de choix. Pour la première fois, on peut se faire une idée de l'ampleur de cette nouvelle forme de promotion, "en expansion constante". Car ainsi décoré, le paquet de
cigarettes devient un "objet esthétique, attractif et supportant des messages orientés vers le consommateur. L'impact promotionnel de ces nouveaux comportements est très important, en particulier
sur les jeunes", souligne le rapport. Qu'ils soient fumeurs ou pas. Quant à l'avertissement sanitaire, il est noyé sous le graphisme. Combien de temps des paquets vont-ils continuer à draguer les
jeunes consommateurs impunément ?
En 2006, les fabriquants devaient être obligés d'apposer sur leurs paquets de cigarettes des photos chocs de cancers du poumon ou autres ravages du tabac. Beaucoup moins fun.
... A l'heure actuelle, cette mesure n'est toujours pas mise en oeuvre. Je vous laisse deviner d'où vient la pression et qui, de la santé des enfants ou de l'intérêt économique de l'industrie du tabac, l'emporte .....
"L'enfant jackpot", de Nathalie Sapena, éditions Flammarion