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Le mystere virginia woolf.

Par Ananda

“VIRGINIA WOOLF” par Alexandra LEMASSON, Folio biographies, Gallimard, 2005

Virginia Woolf ! Ce personnage n’en aura jamais fini de fasciner, d’exciter l’imagination.

On a construit toute une légende autour de cette romancière anglaise, touchée par l’état dépressif chronique, la folie et, pour compléter ce sombre tableau, le suicide.

Cette femme qui voua toute sa vie de « lutte » et d’acharnement peu commun à cette planche de salut que représentait pour elle l’écriture est désormais plus connue pour la fameuse « peur » qu’elle inspire (en tant que personnage tourmenté, et par voie de conséquence, négatif) que pour ses œuvres qui témoignent pourtant d’un véritable « génie ».

Est-ce parce qu’elle était femme ?

Une femme aussi « excessive », aussi hors norme dans tous les sens du terme (de par le chaos de sa folie, la nature de sa sexualité et son génie) ne peut que faire peur.

Mais, auprès de tout cela, qui était véritablement Virginia Woolf ?

C’est ce que cette excellente biographie s’attache à cerner.

Résultat des courses : c’était un être d’une complexité insondable, « essentiellement contradictoire, mouvant, insaisissable », doté cependant d’une énergie, d’une « fermeté stupéfiante », dont toute la vie se tendit vers un seul et unique but : l’écriture et la reconnaissance par l’écriture.

Alexandra Lemasson insiste beaucoup sur cette détermination de « petit soldat » qui lui permit de tenir en échec le plus longtemps qu’elle put son trouble mental (selon toute vraisemblance, de nature bipolaire) et –mieux encore – d’utiliser sa démence au service de sa création.

Quelle plus belle illustration de la thèse que défend Philippe Brenot dans son ouvrage « Le génie et la folie » (lequel fait l’objet d’un autre article dans ce blog), que cette femme chez qui trouble maniaco-dépressif aigu et puissance créative sont, de toute évidence,  liés de manière étroite ?

On est touché par la lutte pathétique , mais aussi farouche, que mena Virginia Woolf pour, tout simplement, « garder la tête hors de l’eau » au moyen de son exigeant, accaparant travail littéraire.

Si elle ne dompta pas sa démence, du moins son génie, sa puissance de travail et sa volonté triomphèrent-ils : elle obtint l’œuvre, le succès, la reconnaissance à laquelle elle aspirait tant. Elle sut garder le cap, et atteignit son but. En ce sens-là, peut-être le plus important, sa vie fut un franc succès.

Tout son parcours, certes, fut un « calvaire » d’angoisse, de doute, de crises hallucinatoires et/ou dépressives…ce qui, toutefois, contre toute attente, ne l’empêcha nullement de se monter gaie, rayonnante, certes excentrique mais dans le même temps pleine d’espoir et de fantaisie, dotée d’un réel charisme plus souvent qu’à son tour (ce qui contredit totalement la réputation de sombre et morbide personnage qu’on lui a faite).

La lecture de ce livre recadre le personnage de Virginia Woolf, l’être qu’elle fut (si tant est qu’une telle entreprise soit possible).

Mais, pour autant, le mystère reste intact. Il en ressort encore plus patent, encore plus déroutant peut-être.

Virginia Woolf, nous apprend A.Lemasson, ne détestait rien tant que de se laisser réduire, « enfermer » dans les limites d’une image trop simple et d’autant plus tronquée. C’était peut-être, au fond, cette complexité, cette soif éperdue de liberté qui avait le don de rendre les gens mal à l’aise et qui, partant, aiguillonnait leur crainte et les poussait, précisément, vers le stéréotype (histoire de se rassurer). Une femme compliquée, ça dérange, cela réveille les vieilles peurs.

Virginia Woolf fut – et demeure , et demeurera – une femme indéchiffrable. Il n’est que de contempler, sur la couverture de l’ouvrage, son regard rêveur et profond, pour s’en convaincre. Sa vérité était « ailleurs », et cela, Lemasson le respecte (ce n’est pas le moindre des mérites de sa biographie).

Hantée par la terrible « précarité » de toute existence humaine et par la difficulté obsédante de connaître réellement les êtres, elle s’appliquera à laisser libre cours aux différents « moi » qui la constituent, à « casser les moules », à sans cesse voguer vers de nouvelles aventures. Fruit de l’instabilité inhérente au mal mental qui la rongeait ? Certes. Mais seule, l’écriture permit à cette femme d’échapper à elle-même, de triompher de ses « ténèbres », d’ordonner le chaos de son existence. La maîtrise de l’écriture tient, ici, lieu de revanche, de thérapie. Elle témoigne aussi d’un courage, que l’on ne peut que saluer.

De son côté, Léonard Woolf, le « sauveur », le mari modèle aux trésors de patience et de sollicitude (autre image d’Epinal) n’en fut pas moins quelqu’un d‘autoritaire, d’ « obsessionnel », d’assez étouffant, à qui la détresse extrême de sa compagne permit de se sentir indispensable et , en un sens, conféra une forme de pouvoir, d’emprise auxquelles il s’accrocha pour oublier ses propres problèmes. S’il combla incontestablement le besoin énorme, vital de « sécurité », de cadres qui était, dans son état, celui de Virginia, il fut par la même occasion une sorte de « geôlier » qui profitait de la faiblesse de sa femme pour imposer, régenter.

Le moindre « paradoxe » n’est pas que cette femme dépendante, hors la vie, aussi fragile qu’un bibelot de porcelaine (mais, comme le souligne Alexandra Lemasson, certainement pas « éthérée » à la manière dont la représente sa « légende »), fut la même qui consacra sa vie à se libérer des tutelles et des opinions des autres, que son hypersensibilité lui rendait pourtant si importantes.

L’écriture, pour Virginia, fut torture autant que salut.

En elle, la mort et la renaissance, l’instinct de vie se mêlaient intimement.

Oui, j’y reviens…c’est peut-être cela qui gêne, chez cette femme hors du commun et, dans le même temps, si avide de « normalité » : la coexistence si étroite entre les deux « pôles » que Freud nommait « Eros » et « Thanathos ». La façon qu’avaient, en elle, deux extrêmes, deux inconciliables, de se rejoindre.

A.Lemasson fouille à fond la psychologie de Virginia Woolf. Elle se démarque des autres biographies qui ont pu être écrites et qui, souvent, font la part trop belle à certaines anecdotes de sa vie, en mettant l’accent sur la force de caractère, sur la ténacité de l’écrivain. Non, Virginia ne fut pas une « pauvre folle » : quelques aient été ses égarements, elle savait avec force ce qu’elle voulait et où elle allait. Ecrire, inventer une œuvre était ce qui la mobilisait toute entière. Par là même, tend à nous suggérer Lemasson, l’on ne peut dissocier Virginia de son œuvre, de son écriture. Ce serait plus encore qu’un simple contresens, ce serait la dissocier de l’axe, de l’ossature de sa vie même.

C’est par l’écriture – et, répétons-le encore, uniquement par elle que Woolf acquiert grandeur et présente intérêt.

Aurait-on l’idée de résumer Vincent Van Gogh à son oreille coupée ?

P.Laranco.


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