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Lutte contre le terrorisme au Royaume-uni : état d’urgence et détention sans inculpations pénales de ressortissants étrangers (CEDH, 19 février 2009, Abou Qatada et a. c. Royaume-Uni) par Nicolas Hervieu

Publié le 22 février 2009 par Combatsdh

Après de multiples péripéties politiques et judiciaires au Royaume-Uni, l’affaire qui a parfois été désignée comme le “Guantanamo britannique” a donné lieu le 19 février 2009 à un important arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Abou Qatada et autres c. Royaume-Uni, Gr. Ch. req. n° 3455/05). La Cour, en formation solennelle de Grande-Chambre, a ainsi condamné le Royaume-Uni pour diverses violations de l’article 5 (droit à la liberté et à la sureté) mais a rejeté les allégations de violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants).

Dans cette affaire, différents ressortissants étrangers qui se trouvaient sur le territoire britannique avaient été placés, sans limites de temps, en détention sur la base d’une législation anti-terroriste votée au lendemain du 11 septembre 2001 et ce, sur le fondement de simples soupçons de liens avec une entreprise terroriste. Ces décisions avaient d’ailleurs soulevé de vives réactions émanant tant d’organisations non-gouvernementales que d’institutions internationales et régionales.

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Abou Qatada et autres c. Royaume-Uni (Cour EDH, Grande Chambre, req. n° 3455/05 ) du 19 février 2009

Lettre Droits-libertés par Nicolas Hervieu

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Les faits

A la suite des attentats du 11 septembre 2001, le Royaume-Uni s’est senti particulièrement visé par la menace terroriste. Le gouvernement a donc notamment décidé d’adopter des mesures exceptionnelles contre les étrangers présents sur le sol britannique que les autorités soupçonnaient de liens avec Al-Qaïda. En application d’une loi votée en novembre 2001 « relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme » (§ 90), seize « personnes soupçonnées de terrorisme international » firent l’objet de « certificats » emportant incarcération sans inculpations pénales, ni limites de temps. Le recours à cette procédure particulière s’explique par l’impossibilité pour le Royaume-Uni d’utiliser la législation sur l’immigration permettant d’éloigner les personnes présentant un danger pour l’Etat car leur expulsion dans leur pays d’origine les exposait à des risques de tortures (ce qui constituerait une violation “par ricochet” de l’article 3 par le Royaume-Uni - V. notamment Cour EDH, Gr. Ch. Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, req. n° 21414/93).

Voulant éviter une condamnation devant la Cour européenne (et devant ses propres juridictions car la Convention a été transposé en droit interne par le “Human Right Act” en 1998), le gouvernement a également pris le 11 novembre 2001 un « arrêté de dérogation » s’appuyant sur l’article 15 de la Convention. Cet article permet à un Etat partie de déroger aux garanties de la Convention pour faire face à un « danger public menaçant la vie de la nation »(§ 11). Conformément au paragraphe 3 de l’article 15, cet arrêté fut notifié le 18 décembre au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Il s’agissait pour l’Etat défendeur de justifier, au nom de la menace terroriste, les possibles atteintes à l’article 5 qu’emporterait la privation de liberté décidée dans le cadre de la procédure exceptionnelle.

 [NB: la même question de suspension de l’article 15 CEDH s’est posé lors de la proclamation de l’état d’urgence en France en novembre 2005]

Divers recours furent initiés contre ces certificats (notamment devant la « Commission spéciale des recours en matière d’immigration » - « SIAC » - qui « est une juridiction composée de magistrats indépendants » - § 91). La Commission d’appel de la Chambre des Lords a rendu à cette occasion un arrêt retentissant en 2004 par lequel les plus hauts juges britanniques ont annulé l’arrêté de dérogation et déclaré que la procédure des certificats violait l’article 5 de la Convention. Néanmoins, malgré cette déclaration d’incompatibilité, les Lords ne disposaient pas du pouvoir de faire libérer les personnes visées. Onze d’entres elles, libérées pour la plupart en mars 2005 seulement, ont formé devant la Cour européenne des recours faisant état de deux séries de violation de la Convention.

1°/ Sur l’interdiction des traitements inhumains et dégradants (Art. 3)

A titre liminaire, la Cour affiche sa compréhension habituelle en indiquant qu’elle est « pleinement consciente des difficultés que les Etats rencontrent pour protéger leur population contre la violence terroriste », ceci pour rappeler néanmoins immédiatement l’importance de la protection prévue à l’article 3. Ce dernier ne peut faire l’objet de dérogations, « même dans les circonstances les plus difficiles, telle la lutte contre le terrorisme, et quels que soient les agissements de la personne concernée » (§ 126). A l’aune de ce principe et de celui, également dérivé de l’article 3, selon lequel l’Etat doit « s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine » (§ 128), la Cour examine si les requérants détenus sous le régime des certificats ont fait l’objet d’un traitement contraire à cet article.

A ce sujet, la Cour souligne certes dans un premier temps que les requérants ne pouvaient « prévoir à quel moment ils seraient relâchés et même de savoir s’ils seraient un jour libérés » (§ 129) et que cela n’a « pu manquer de provoquer chez eux […] une angoisse et une détresse profondes » (§ 130 - constat renforcé par les problèmes de santé mentale constaté chez les requérants dont les conditions de détention ont été critiquées notamment par le Comité de prévention de la torture - § 101 - et le Commissaire européen aux droits de l’homme - § 103 -, tous deux issus du Conseil de l’Europe). Néanmoins, la Cour estime que l’ « on ne saurait dire que les requérants ont été privés de tout espoir ou perspective d’élargissement » (§ 131). Suivant une jurisprudence récente et assez critiquable (Cour EDH, Gr. Ch. Kafkaris c. Chypre, 12 février 2008, req. n° 21906/04 ) , la Cour estime qu’ « infliger à un adulte une peine perpétuelle et incompressible d’emprisonnement excluant tout espoir d’élargissement peut soulever une question sous l’angle de l’article 3 » sauf si le droit national prévoit une possibilité, même très limitée, d’élargissement. (§ 128).

Or, ici, les recours ouverts contre les certificats et l’obligation de réexamen biannuel de la situation des intéressés conduit à ce que « les mesures [en question] ne sauraient être assimilées à une peine perpétuelle et incompressible susceptible de soulever […] une question sous l’angle de l’article 3 » (§ 131). Par ailleurs, les requérants n’ont pas utilisé les voies de recours à leur disposition afin de contester leurs conditions de détention et n’ont donc pas épuisé les voies de recours à ce sujet (§ 133) ce qui empêche la Cour de prendre en compte ces conditions dans la détermination du respect de l’article 3. Dès lors, les juges européens estiment que la situation des requérants n’a « pas atteint le seuil de gravité élevé à partir duquel un traitement peut passer pour inhumain ou dégradant » (§ 134).

2°/ Sur le droit à la liberté et à la sureté (Art. 5)

a/ Sur la justification de la privation de liberté

La tâche de la Cour est ici, de son propre aveu, « sans conteste inhabituelle, car il n’est pas courant qu’un gouvernement défendeur soit conduit à remettre en cause les décisions rendues par la juridiction suprême de son pays ou qu’il estime devoir les critiquer devant la Cour » (§ 157). En effet, le gouvernement britannique a décidé, après avoir défendu une position inverse au début de la procédure, de justifier les privations de liberté - potentiellement contraires à l’article 5 - par l’état d’urgence défini à l’article 15. Cette particularité ainsi que le revirement du gouvernement en cours de procédure ne font cependant pas obstacle, selon la Cour, à l’examen des arguments britanniques (§ 158).

La Cour relève tout d’abord que les détentions en cause contrevenaient à l’article 5 car celles-ci n’entraient pas dans le cadre des exceptions limitatives définies à cet article et qui permettent de priver une personne de sa liberté. En particulier, le paragraphe 1 f) sur lequel se fondait l’Etat partie (les personnes « contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ») ne pouvait être invoqué car « rien n’indique que les autorités aient eu une perspective réaliste d’expulser les intéressés pendant la période où ils furent détenus - sauf [pour deux requérants] - sans les exposer à un risque réel de mauvais traitements contraires à l’article 3 » (§ 167). A ce propos, les juges européens constatent qu’aucune procédure d’expulsion ne fut « conduite de manière active et diligente » (§ 169). Au surplus, la Cour rejette fermement la dangereuse argumentation du gouvernement britannique selon laquelle « l’article 5 § 1 doit s’interpréter comme autorisant la recherche d’un juste équilibre entre le droit à la liberté individuelle et l’intérêt de l’Etat à protéger sa population contre la menace terroriste » car les exceptions conventionnelles justifiant la privation de liberté doivent être interprétés étroitement (§ 171).

A ce stade, seule l’admission par la Cour de la dérogation prévue à l’article 15 aurait pu faire obstacle à une condamnation de l’Etat partie. Si la Cour n’hésite pas à admettre, comme la Chambre des Lords, qu’il existait à l’époque un « danger public menaçant la vie de la nation » en insistant sur « l’ample marge d’appréciation » dont disposent les autorités nationales pour qualifier un tel danger (§ 173 et 180), par contre, elle nuance « l’exigence d’imminence [qui] ne doit pas recevoir une interprétation étroite au point d’obliger les Etats à attendre qu’un désastre survienne pour prendre des mesures propres à le conjurer » (§ 177) et souligne que « le danger invoqué [n’a pas à] être de nature temporaire » (§ 178 - « quoique la durée de celui-ci puisse entrer en ligne de compte pour la question de la proportionnalité de la riposte qui lui est apportée »).

La liberté de l’Etat n’est cependant pas « illimité[e] en ce domaine » et la Cour rappelle qu’elle « a compétence pour décider, notamment, s’ils ont excédé la “stricte mesure” des exigences de la crise » (§ 173). Or, sur la proportionnalité des mesures adoptées face à ce danger, le juge européen s’inscrit également dans le sillage de la Chambre des Lords. Il affirme ainsi « la question de la proportionnalité relève en dernière instance du domaine judiciaire, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, des justiciables ont subi une longue privation de leur droit fondamental à la liberté » (§ 184). Surtout, la Cour fustige le fait que les mesures anti-terroristes visaient exclusivement les non-britanniques alors que le danger pouvait aussi émaner de ressortissants de l’Etat partie. Dès lors, « en choisissant de recourir à une mesure relevant du droit des étrangers pour traiter un problème d’ordre essentiellement sécuritaire, l’exécutif et le Parlement lui ont apporté une réponse inadaptée et ont exposé un groupe particulier de terroristes présumés au risque disproportionné et discriminatoire d’une détention à durée indéterminée » (§ 186). La Cour écarte enfin d’un revers de main les deux tentatives de justification de ces mesures ciblées sur les étrangers (§ 188 et 189) pour conclure que « les mesures dérogatoires étaient disproportionnées en ce qu’elles opéraient une discrimination injustifiée entre étrangers et citoyens britanniques », d’où la violation de l’article 5 § 1 à l’égard de la majorité des requérants (§ 190).

b/ Sur les conditions des recours contestant la privation de liberté

Les requérants contestaient également l’absence d’équité des procédures initiées contre les décisions de privation de leur liberté (Art. 5 § 4). Certaines pièces du dossier produites par le gouvernement étaient classées confidentielles. Or, seuls les juges qui ont statué sur leur recours ont eu accès à ces éléments, à la différence des requérants et de leurs avocats. Toutefois, des « avocats spéciaux » censés agir pour les requérants ont pu y accéder afin d’agir éventuellement en faveur de ces derniers (§ 215 - cette technique fut déjà utilisée dans d’autres Etats comme le Canada : § 111 à 113). La Cour admet certes que d’« importants intérêts publics » justifiaient cette procédure (§ 216) mais que, dans le même temps, ces intérêts « se heurtaient au droit des requérants à une procédure équitable » (§ 217).

Face à ce conflit, le juge européen considère que « le respect de l’article 5 § 4 exigeait que les inconvénients découlant de pareille restriction fussent compensés de telle manière que chacun des intéressés conservât la possibilité de contester utilement les accusations portées contre lui » (§ 218). Dans l’analyse des compensations offertes aux requérants, la Cour constate que l’indépendance des juridictions concernées et l’institution d’avocats spéciaux permettaient un tel rééquilibrage (§ 219). Néanmoins, ces avocats « n’étaient aptes à remplir efficacement cette fonction que si les détenus avaient reçu suffisamment d’informations sur les charges retenues contre eux pour pouvoir leur donner des instructions utiles » (§ 220). Dès lors, la Cour va estimer que l’absence d’équité du procès suite à la non-divulgation de pièces n’a pu être rétablie que dans les hypothèses où les avocats spéciaux ont été en mesure d’exercer efficacement leur tâche, c’est-à-dire seulement lorsque les accusations de liens avec des activités terroristes étaient suffisamment précises pour être contestées (§ 220). A l’inverse, dans les cas où les certificats furent délivrés sur la base d’accusations trop larges, l’article 5 § 4 a été violé faute de respect de l’équité de la procédure, ce qui fut le cas, au terme de l’analyse de la Cour, pour quatre requérants.

Par cet arrêt, les juges strasbourgeois semblent maintenir une position relativement ferme de protection des droits conventionnels face à la logique - voire rhétorique - antiterroriste. De façon remarquablement concomitante avec le rapport rendu très récemment dans le cadre de la Commission internationale de juriste (v. sur ce point la lettre actualité droits-libertés en date du 17 février 2009) , la Cour réaffirme l’importance des autorités judiciaires dans le contrôle des mesures prises au nom de la lutte contre le terrorisme. De plus, elle interprète strictement les exceptions aux droits et libertés et exclut ici d’étendre ces exceptions au nom de l’impératif antiterroriste.

Il reste que l’approche de la Cour selon laquelle la privation de liberté hors de toutes inculpations pénales, fondée sur de simples soupçons et sans limites précises de temps ne constitue pas, en soi, un traitement inhumain et dégradant peut sembler quelque peu timorée vis-à-vis des réactions que de telles pratiques ont suscité, notamment de la part d’organes du Conseil de l’Europe.

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A. et autres c. Royaume-Uni (Cour EDH, Grande Chambre, req. n° 3455/05) du 19 février 2009

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le communiqué de presse

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Mercredi 21 mai 2008

9h00 Audience

A. et autres c. Royaume-Uni (Grande Chambre) (n° 3455/05)

Image webcam Retransmission en langue originale, anglais, français

Communiqués de presse, Faits et griefs

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Lutte contre le terrorisme au Royaume-uni : état d’urgence et détention sans inculpations pénales de ressortissants étrangers (CEDH, 19 février 2009, Abou Qatada et a. c. Royaume-Uni) par Nicolas Hervieu

  • Terrorisme: la CEDH demande à Londres de surseoir à l’expulsion de Qatada , AFP, 20 février 2009?

Abou Qatada fait partie des neuf requérants qui ont obtenu des compensations financières de la CEDH après leur incarcération dans la cadre de la loi antiterroriste britannique.

AP

Abou Qatada fait partie des neuf requérants qui ont obtenu des compensations financières de la CEDH après leur incarcération dans la cadre de la loi antiterroriste britannique.

  • Coup d’arrêt à l’expulsion de l’islamiste Abou Qatada vers la Jordanie, LEMONDE.FR avec AFP | 20.02.09

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  • Extraits de la décision:

11.  Le 11 novembre 2001, faisant application de l’article 14 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme (Human Rights Act 1998 – « la loi de 1998 » voir le paragraphe 94 ci-dessous), le ministre de l’Intérieur prit un arrêté de dérogation où il indiquait les termes d’un avis de dérogation qu’il se proposait de notifier au Secrétaire général du Conseil de l’Europe au titre de l’article 15 de la Convention. Le 18 décembre 2001, le Gouvernement adressa au Secrétaire général du Conseil de l’Europe l’avis en question, qui était ainsi libellé :

[Traduction du greffe]

« Danger public au Royaume-Uni

Les attentats terroristes commis à New York, à Washington D.C. et en Pennsylvanie le 11 septembre 2001 ont causé la mort de plusieurs milliers de personnes, parmi lesquelles figuraient de nombreux Britanniques et des ressortissants de 70 autres pays. Dans ses Résolutions nos 1368 (2001) et 1373 (2001), le Conseil de sécurité des Nations unies a qualifié ces attentats de menace pour la paix et pour la sécurité internationales.

Le terrorisme international représente une menace permanente. Dans sa Résolution no 1373 (2001), le Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, a prescrit à tous les Etats de prendre des mesures pour prévenir les attentats terroristes, notamment en refusant de donner asile à ceux qui financent, organisent, appuient ou commettent de tels actes.

Des personnes suspectes d’entretenir des liens avec le terrorisme international font peser une menace terroriste sur le Royaume-Uni. En particulier, on relève la présence sur le territoire britannique de ressortissants étrangers soupçonnés de prendre part à la réalisation, à la préparation ou à l’instigation d’actes de terrorisme international, d’être membres d’organisations ou de groupes semblablement impliqués dans de tels actes ou d’avoir des liens avec des membres de tels organisations ou groupes, et qui mettent en péril la sécurité nationale du Royaume-Uni.

En conséquence, il existe au Royaume-Uni un danger public au sens de l’article 15 § 1 de la Convention.

La loi de 2001 sur la sécurité et la lutte contre la criminalité et le terrorisme [ Anti-Terrorism, Crime and Security Act 2001 ]

En réaction à ce danger public, la loi de 2001 sur la sécurité et la lutte contre la criminalité et le terrorisme (Anti-terrorism, Crime and Security Act 2001 – « la loi de 2001 ») institue, entre autres mesures, un pouvoir d’arrestation et de détention élargi qui s’appliquera à des étrangers dont le refoulement ou l’expulsion du Royaume-Uni est prévue mais momentanément impossible et dont la détention serait par conséquent illégale en l’état actuel du droit interne. Ce pouvoir élargi s’exercera à l’égard d’individus à l’encontre desquels le ministre de l’Intérieur aura délivré un certificat indiquant qu’il considère leur présence au Royaume-Uni comme un risque pour la sécurité nationale et qu’il les soupçonne d’être des terroristes internationaux. Les certificats de ce type pourront être contestés devant la Commission spéciale des recours en matière d’immigration (Special Immigration Appeals Commission, « la SIAC » ) instituée par la loi de 1997 sur la Commission spéciale des recours en matière d’immigration (Special Immigration Appeals Commission Act ), qui aura compétence pour les annuler dans les cas où elle estimera qu’ils n’auraient pas dû être délivrés. Les décisions de la SIAC seront susceptibles de pourvoi en cassation. En outre, les certificats seront réexaminés périodiquement par la SIAC. Celle-ci pourra aussi, s’il y a lieu, ordonner la libération des individus visés par un certificat, sous certaines conditions. Les personnes détenues pourront à tout moment obtenir leur libération en acceptant de quitter le territoire britannique.

Le pouvoir d’arrestation et de détention élargi institué par la loi de 2001 sur la sécurité et la lutte contre la criminalité et le terrorisme constitue une mesure strictement exigée par la situation. Il s’agit là d’une disposition temporaire prenant effet pour une période initiale de quinze mois au terme de laquelle elle prendra fin si elle n’est pas renouvelée par le Parlement. Après cette période, elle pourra faire l’objet d’un renouvellement annuel par le Parlement. Elle pourra être abrogée à tout moment par arrêté du ministre de l’Intérieur si le gouvernement constate que le danger public a disparu ou que le pouvoir élargi n’est plus strictement exigé par la situation.

Les pouvoirs de détention prévus par le droit interne (autres que ceux découlant de la loi de 2001 sur la sécurité et la lutte contre la criminalité et le terrorisme)

La loi de 1971 sur l’immigration (Immigration Act 1971 – « la loi de 1971 ») habilite le gouvernement à refouler ou expulser les personnes dont la présence au Royaume-Uni est considérée comme étant contraire au bien public pour des motifs de sécurité nationale. Dans l’attente de leur refoulement ou de leur expulsion, celles-ci peuvent aussi être arrêtées et détenues sur le fondement des annexes 2 et 3 de la loi de 1971. Les tribunaux du Royaume-Uni ont jugé que ce pouvoir de détention ne pouvait s’exercer que pendant la période nécessaire à l’exécution de la mesure d’éloignement, dont la durée dépend des circonstances de la cause, et que la détention deviendrait illégale s’il apparaissait clairement que la mesure en question ne pourrait recevoir exécution dans un délai raisonnable (R. v. Governor of Durham Prison, ex parte Singh [1984] All ER 983).

L’article 5 § 1 f) de la Convention

Il est bien établi que l’article 5 § 1 f) ne permet la détention d’une personne en instance d’expulsion que lorsqu’« une procédure d’expulsion [est] en cours » (Chahal c. Royaume-Uni (1996) 23 EHRR 413, § 112). La Cour européenne des droits de l’homme a précisé dans cette affaire que la détention cesserait d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) si la procédure d’expulsion n’était pas menée avec la diligence requise et qu’il fallait déterminer en pareils cas si la durée de cette procédure était excessive (§ 113).

Il existe des situations où le maintien en détention d’une personne dont les autorités continuent d’envisager le refoulement ou l’expulsion pourrait être incompatible avec l’interprétation que la Cour a donnée à l’article 5 § 1 f) dans l’arrêt Chahal. C’est le cas, par exemple, lorsque la personne en question démontre qu’elle risquerait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention si elle était renvoyée dans son pays. En pareille hypothèse, quelle que soit la gravité de la menace que cette personne représente pour la sécurité nationale, il est constant que l’article 3 fait obstacle à son refoulement ou à son expulsion vers un lieu où elle courrait un risque réel d’être soumise à un tel traitement. Lorsqu’aucune autre destination n’est immédiatement envisageable, l’exécution de la mesure d’éloignement peut se trouver momentanément compromise bien que l’on ait pour objectif ultime de refouler ou d’expulser la personne concernée dès que l’on aura trouvé un arrangement satisfaisant. En outre, il est possible que cette personne échappe à toute action pénale en raison des règles strictes d’admissibilité de la preuve et des exigences probatoires rigoureuses qui caractérisent le système de justice pénale britannique.

La dérogation au titre de l’article 15 de la Convention

Le gouvernement s’est penché sur la question de savoir si l’exercice du pouvoir de détention élargi institué par la loi de 2001 sur la sécurité et la lutte contre la criminalité et le terrorisme pouvait se révéler incompatible avec l’article 5 § 1 de la Convention. Comme il a été indiqué ci-dessus, il peut y avoir des cas où des personnes que l’on maintient en détention dans l’intention de les refouler ou de les expulser ne peuvent cependant être considérées comme se trouvant sous le coup d’une « procédure d’expulsion en cours » au sens de l’article 5 § 1 f) tel qu’interprété par la Cour dans l’affaire Chahal. Dans la mesure où l’exercice du pouvoir de détention élargi pourrait être incompatible avec les obligations qui incombent au Royaume-Uni au titre de l’article 5 § 1, le gouvernement a décidé d’user jusqu’à nouvel ordre du droit de dérogation découlant de l’article 15 § 1 de la Convention ».

L’avis de dérogation était accompagné de l’exposé des dispositions du chapitre 4 du projet de loi de 2001 sur la sécurité et la lutte contre la criminalité et le terrorisme (« la loi de 2001 » ; voir le paragraphe 90 ci-dessous).

12.  Le 12 novembre 2001, le projet de loi sur la sécurité et la lutte contre la criminalité et le terrorisme où figuraient les clauses de ce qui allait devenir le chapitre 4 de la loi de 2001 fut déposé devant la Chambre des communes. Le Parlement adopta en deux semaines le projet en question, lequel avait fait l’objet d’une motion de programmation restrictive qui prévoyait trois jours de débats publics à la Chambre des communes pour l’examen des 125 dispositions du texte et qui suscita des protestations de la part de la Commission parlementaire mixte sur les droits de l’homme (Joint Committee of Human Rights) et du Comité restreint sur les affaires intérieures (Home Affairs Select Committee) contre la brièveté du délai qui leur avait été accordé pour étudier le projet.

13.  La loi de 2001 entra en vigueur le 4 décembre 2001. Pendant sa durée d’application, seize personnes – dont les onze requérants – firent l’objet d’un certificat délivré en application de son article 21 et furent incarcérées. Les six premiers requérants se virent notifier un certificat le 17 décembre 2001 et furent placés en détention peu après. Le septième requérant subit le même sort début février 2002. Les neuvième, huitième et dixième requérants firent l’objet d’un certificat et furent écroués le 22 avril 2002, le 23 octobre 2002 et le 14 janvier 2003 respectivement. Visé par un certificat délivré le 2 octobre 2003, le onzième requérant, qui était déjà incarcéré sur le fondement d’autres dispositions légales, fut maintenu en détention.

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