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Lettre à Morphée

Par Frédéric Romano
Mon frère : 1h25 !!! Faut qu’on dorme !!!
Moi : Ben ouais…
Mon frère : Bon ben bonne guerre alors…
Moi : Ben ouais, bonne guerre…

Puisqu’enfant on est persuadé qu’une lettre au Père Noël peut tout changer et puisque je refuse de grandir, je prends ma plume aujourd’hui et, les yeux mi-clos, j’écris à Morphée…

Cher Morphée,

C’est le regard embué et les membres engourdis que je m’adresse à toi. Je m’inquiète de ne plus te voir aussi souvent qu’avant, je m’inquiète de ne plus avoir ces moments privilégiés que nous partagions encore il y a quelques années. Il faut se rendre à l’évidence. Les choses changent et évoluent et nous ne partageons plus cette amitié et cette étroite relation qui nous liait avant.

Je ne saurais dire avec certitude depuis combien de temps je te connais et je te côtoie. Petit enfant, j’ai de merveilleux souvenirs de notre relation, si saine et si réconfortante. C’était le temps de l’insouciance et des jeux, celui des caprices et des gamineries. De la tombée de la nuit jusqu’au levé du soleil nous faisions les quatre cents coups. Mon lit était un monde et je m’y sentais chez moi. Mon cocon, ma capsule, mon radeau… les images ne manquaient pas et nous construisions cet imaginaire à deux. Tu me persuadais que j’étais un capitaine chassé de son navire ou un hermite vivant dans une cabane perchée sur l’arbre le plus haut du monde. Je trouvais ça drôle et agréable et je m’endormais à tes côtés, la tête pleine de tes fantaisies. Le bonheur était de courte durée mais il était réel et intense, constructif et reconstructeur. Nous avions nos vies et nous voulions en profiter, c’est pourquoi tôt le matin nous nous quittions, sans tristesse, car nous savions que ces mêmes jeux et ces mêmes plaisirs reviendraient la nuit suivante, et toutes celles d’après.

Ainsi, notre relation prenait des allures d’entente parfaite, mais les amitiés d’enfance sont les plus fragiles. J’ai commencé à grandir. Mon lit n’était plus ce jardin secret et ce lieu privilégié rassurant et regénérateur. Ici ou ailleurs, le sommeil était devenu une obligation et je m’en privais volontiers. Grignoter sur la nuit pour vivre sa vie, c’est la finalité de l’être adulte et, aujourd’hui plus que jamais, c’est cette finalité qui s’impose à moi. Les yeux cernés, j’avance tête baissée et je tente de rester debout. J’use et décuple mes dernières forces.

Pourtant, j’ai bien tenté de renouer avec toi il y a quelques années. Fragilisé et blessé, j’ai tout fait pour te garder auprès de moi. De jour comme de nuit, ta présence m’était devenue indispensable mais mes angoisses et mes plaintes, par lassitude, ne suscitaient au final que ton indifférence. Tu restais à mes côtés, calme, silencieux mais impuissant. J’avais honte de cette possessivité, de ce besoin maladif d’exclusivité et, d’un commun accord, nous avons mis fin à cette situation et prononcé le divorce, pour un bonheur et un mal nécessaire, celui de connaître à nouveau la difficulté mais aussi la joie du réveil.

Aujourd’hui je vis heureux mais j’ai souvent le regret de ne plus connaître ces histoires que tu me murmurais à l’oreille, ces histoires qui faisaient des images dans ma tête. Je les entends encore parfois, faiblement, indistinctement, mais l’empressement du réveil les balaie en un instant. J’oublie mes rêves et je ne sais comment les rattraper. Je voudrais parfois fermer les yeux et prendre mon temps, le perdre pour un mieux, pour revivre mes songes aussi intensément qu’autrefois. J’ai grandi Morphée mais je voudrais que l’on me parle comme à un enfant. Reviens me voir quand tu en as le temps et dis-moi que les rêves existent encore…

Amicalement,

Frédéric


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