C'est très bon signe quand on termine une BD et qu'on a du mal à la comparer à une autre. Oui, bien sûr, graphiquement, on peut dire que le dessin de Randall.C ressemble à un grand mélange de toute la nouvelle génération de bédéastes français, au premier rang desquels on retrouverait Blain, Blutch et Pedrosa, sans oublier les inséparables Dupuy et Berbérian. Rien que ça, ce n'est déjà pas mal, pour un auteur Flamand, qui a grandi au pays de Neron et de Bob et Bobette. Mais quand on regarde le récit qu'il développe, on se dit qu'il devait surtout apprécier les délires d'autres compatriotes venus d'Absurdistan, comme Kamagurka (Cowboy Henk) ou Luc Cromheecke (le génial géniteur des aventures de Tom Carbone). Toutes ces comparaisons, de toute façon, ne font qu'approcher le phénomène, pas le cerner, loin de là.
Pour lui rendre justice, il faut le lire tout simplement.

Qui dit mer dit marins, qui dit marins dit sous-marin, qui pense à île pense au naufrage, à la baleine, aux indigènes... Randall.C nous offre tout cela dans un feu d'artifice drôle et déboîté, toujours logique dans son glissement absurde, étonnamment cohérent dans sa manière de découdre le récit pour mieux en découdre avec le propos. Car tout finit par faire sens. « Les somnambules » est un grand livre. Un magnifique album, qui inaugure un genre nouveau, qui ne serait pas le roman graphique mais le poème graphique, un développement narratif inédit qui s'intéresse moins au devenir des personnages plongés dans le réel qu'au développement quasi sans limite de leur imaginaire.
Époustouflant et déroutant. Que demander de plus ?
Allez, je vais le relire, pour le plaisir.
Randall.C, Les somnambules, Casterman, 110 p. Traduit du néerlandais.
