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Corps et espace : du confort au bien-être, les nouvelles attentes des consommateurs, par Caroline Rosier

Publié le 02 mars 2009 par Jérémy Dumont

L'espace habité est de moins en moins vécu sur le mode d'un prolongement du corps : il cesse d'être culture pour devenir tout entier prothèse. Cette effroyable limitation du corps prive celui-ci de la dimension symbolique qui l'entourait dans l'espace privé. Initié par les écologistes et les divers mouvements qui ont suivis Mai 68, le nouveau discours relatif au confort remet alors en cause la standardisation des modes de vie et la disparition de la Nature et de ses cycles dans la quotidienneté.Corps et espace : du confort au bien-être, les nouvelles attentes des consommateurs, par Caroline Rosier


Déverbal du latin chrétien confortare,"renforcer" et "consoler, réconforter" également utilisé dans le vocabulaire médical, le mot"confort" apparaît vers 1050 dans la Chanson de Roland au sens de"consolation, soutien". Il tombe en désuétude lorsque Richelet juge le terme vieilli. Nous sommes alors en 1680.

L'apparition du mot confort au sens de "bien-être matériel" date de 1842. Le Dictionnaire de l'Académie mentionne qu'il s'agit là d'un néologisme. Le mot a été emprunté à l'anglais comfort, lui-même récupéré de l'ancien français. Tout en conservant son sens moral, comfort en était venu à désigner un état de bien-être physique et matériel (1814) et, par métonymie, les conditions objectives de cet état (1848). Il s'est répandu en français avec ce sens objectif. Il concurrence ainsi le terme"confortable". En 1873, le Littré en donne la définition suivante :"secours, assistance" et "tout ce qui constitue le bien-être matériel et les aisances de la vie. Les Anglais ont un grand amour pour le confort."

A la fin du 19ème, le confort devient un des axes fondateurs de l'idéologie du progrès en s'inscrivant dans la logique d'extension du modèle bourgeois à l'ensemble des classes sociales. Ce modèle se fonde sur un discours hygiéniste, une nouvelle conception de la cellule familiale et par conséquent sur une approche nouvelle des fonctions de l'habitat. Nous passons d'un lieu collectif à un lieu subdivisé en parcelles individuelles et intimes.
Caroline Rosier
Du Confort au bien-être sensoriel : positionnement et territoires de communication des marques de parfum d'ambiance, Mémoire de DESS Marketing et Politiques de Communication, CELSA, Université Paris IV-Sorbonne.
La question du confort s'est ainsi posée en termes de"qualité de vie", et ce très tôt, dès la fin des années 70, moment où l'on voit poindre de nouveaux besoins. On parle de"corps confortable" : conception nouvelle du corps dont il s'agit de se soucier au niveau des apparences extérieures mais aussi au niveau d'un mieux-être intérieur, d'un équilibre ; cette recherche devenant symptomatique d'une époque.
Loin d'affirmer que la technique ou l'économique ne sont plus des facteurs de premier ordre dans l'évolution du procès du confort, admettons plutôt qu'ils ne suffisent plus à répondre aux interrogations et aux attentes d'une partie des Occidentaux. Construit sur les failles du confort traditionnel, le discours du " bien-être " qui considère le corps comme expérience sensitive est devenu aujourd'hui un axe incontournable dans la démarche marketing de différents secteurs d'activité comme l'hygiène-beauté, la décoration, la santé ou encore le textile (polysensorialité, parfums d'ambiance...). Ce discours semble entrer dans une tendance socio-culturelle lourde caractérisée par la quête d'une harmonie vitale, de produits"anti-stress", de "lâcher-prise".
Plus significatif encore, le confort du"corps social" est aujourd'hui représenté sur le mode de l'expérimentation individuelle et sensitive."Faire du ciel le plus bel endroit de la Terre" (Air France), "Prenez le temps d'aller vite" (TVG). Ces nouvelles formes discursives construisent un univers du bien-être dans lequel sont injectés une vision du corps comme lieu de sensations ainsi qu'une nouvelle temporalité.
Le corps devient fusion avec l'environnement, il ne fait plus qu'un avec lui. Le confort s'est voulu d'abord un supplément nécessaire dans le cheminement progressiste, il a peu à peu effacé le corps de l'espace et l'a réduit en spectateur-esclave. Le bien-être s'affirme comme un dépassement de cette aliénation par la synthèse et l'adéquation parfaite. Des objets qui nous assemblent et qui nous ressemblent. Et nous-même peut-être qui, pour les publicitaires, ressemblons de plus en plus à des objets.
Au cours du 20ème et plus significativement après 1945, le confort se chosifie et se massifie au point de devenir progressivement un ensemble de biens monétairement accessibles. Dans cette logique, les objets ne s'adaptent plus aux efforts corporels, mais tendent à remplacer le corps-lui même.
Celui-ci devient un corps-machine auquel on propose d'ajouter un certain nombre de prothèses techniques (robinet, chauffage, sèche-cheveux, ascenseur, télécommandes etc.) en vue de le libérer du tripalium, c'est-à-dire du"supplice" de produire un effort. Les efforts à produire se minimalisent tant qu'on en arrive au constat formulé par Baudrillard:"A l'appréhension des objets qui intéressait tout le corps se sont substitués le contact (pied ou main) et le contrôle (regard parfois ouïe)." Baudrillard rejoint ici la thèse de Bachelard selon laquelle nous serions passés d'un champ vertical, en profondeur, à un champ horizontal, en étendue."Le chez soi n'est plus qu'une simple horizontalité [...] Au manque des valeurs intimes de verticalité " ajoute Bachelard, " il faut adjoindre le manque de cosmicité de la maison des grandes villes."
Dans les représentations traditionnelles de l'objet maison, celle-ci est l'équivalent symbolique du corps humain, que ce soit dans son individualité ou dans son investissement dans une structure familiale :"les meubles se regardent, se gênent, s'impliquent dans une unité qui est moins spatiale que d'ordre moral. Ils s'ordonnent autour d'un axe qui assure la chronologie régulière des conduites ; la présence symbolique de la famille à elle-même." Dans la maison moderne, les objets ne sont plus environnés d'un théâtre de gestes dont ils étaient les accessoires. Comme le note Baudrillard, dans la mesure où le comportement imposé par les objets techniques est discontinu,"succession de gestes pauvres, de gestes-signes dont le rythme est effacé, [...] nous expérimentons dans nos pratiques combien s'exténue la médiation gestuelle entre l'homme et les choses". Aussi, la participation active à l'environnement en vient-elle à se limiter aux extrémités du corps.


Auteur : Caroline Rosier
Source : E-dito
Crédits : Noflickr
Publié par : Nicolas Marronnier
Publié sur : levidepoches/expression


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