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De la rareté des critiques négatives

Publié le 05 mars 2009 par Orsérie - Le Journal Du Beau & Du Bien-Etre
Vous lisez tous les jours des critiques négatives, voire virulentes, sur des films, des livres, des pièces de théâtre, ou des opéras. Mais il est si rare de lire des critiques d’exposition négatives.

    On peut imaginer plusieurs raisons à ce manque d’audace. L’économie des revues d’art, basée sur la publicité, les fins de mois des critiques d’art, trop mal payés par les revues pour ne pas devoir vivre de ‘ménages’ et commissariats financés par les galeries et les centres d’art, la connivence de ce petit monde, et la crainte de nuire à la cause de l’art contemporain face aux ‘réactionnaires’ (voir texte surligné par moi ci-dessous), font que les critiques d’expositions d’art contemporain sont rarement négatives.

Et donc, quand un critique ose être négatif, c’est le coup de pied dans la fourmilière.

Il y a quelque temps, il paraît que la revue gratuite Particules avait courageusement osé une critique négative de la coûteuse exposition de Loris Gréaud au Palais de Tokyo. L’avez-vous lue ? Probablement pas, car ce numéro est introuvable, des sbires en ayant raflé tous les exemplaires dans tous les lieux où la revue était disponible dès sa parution. Sur ordre de qui ?

Là, je viens de recevoir le mail suivant, titré ‘Où va la critique ?’, de Monsieur Monjaret, que je ne connais pas :

Chers Amis,

Je joins, à titre de curiosité, un article qui est l’exemple même d’une fausse critique artistique. Il s’agit en réalité d’un ramassis d’inepties paru récemment dans une revue dont il eut mieux valu taire l’existence. Mais le comique d’une soi-disant journaliste croyant faire son métier vaut son pesant d’or.
Bien cordialement,

Pierre Monjaret

Directeur

La Bergerie - Lieu d’Art Contemporain

http://www.labergerie-lac.com

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Je n’ai pas vu cette exposition de l’artiste tongienne Melenaite Noata (visuel ci-contre provenant du site de La Bergerie), et ne connais pas ce centre d’art, je n’ai donc aucune opinion sur la qualité de l’exposition, ni de l’artiste. Je trouve simplement attristant qu’il soit si difficile d’accepter des critiques négatives dans cet univers. Le commissaire offensé part tout de suite dans l’invective (’ramassis d’inepties’) et la tentative de délégitimation (’fausse critique’, ’soi-disant journaliste’) : nul débat d’idées ici.

En annexe, la critique incriminée, signée Catherine Bréauté. A vous de juger ! (Monsieur Monjaret n’indiquant pas le nom de la revue et mes recherches via Google n’ayant rien donné, j’ignore le nom de la revue détentrice du copyright : qu’elle accepte mes excuses, je corrigerai dès que j’en serai informé).

“Du 27 février au 8 avril, La Bergerie-lieu d’art contemporain présente une nouvelle exposition de Melenaite Noata, Généraliste. Une grande déception qui montre que l’artiste est allée trop loin dans son entreprise de charme et de tromperie

Melenaite Noata vient de produire une exposition totalement inutile. Elle nous montre le résultat de son travail autour de Soissons, pendant cinquante-deux jours. Pourquoi Soissons ? Pourquoi cinquante-deux jours ? Cette manière de construire des projets sur une durée et dans un cadre différents n’interroge-t-elle pas l’exposition et le rôle de l’institution : pourquoi aller là-bas et si longtemps pour produire une telle boursouflure ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser dans un premier temps, les salles d’attente que Noata investit ne proposent pas des alternatives à la réification générale mais, au contraire, la confortent. 

L’impossible contemplation, le malaise diffus, produisent une œuvre fastidieuse qui n’arrive qu’à fabriquer une interrogation ennuyée chez le spectateur. Il y a certes du « non-vu », du « non-visible » ; mais on ne va pas au-delà. Les photographies sans attraits de fauteuils et d’affiches quelconques se veulent sans doute une réflexion sur l’art et la culture. On peut penser qu’il s’agit pour Noata d’intervenir sur le rituel, le temps et l’espace. Les fiches manuscrites, d’un ridicule achevé, ne nous éclairent guère sur la problématique poursuivie. Certainement, Noata réussit à atteindre un but, celui d’arriver à provoquer un vif agacement, l’impossibilité d’adhérer à ses œuvres. Où est la place de cette artiste dans l’enchaînement des œuvres, des lectures de l’histoire de l’art, des formes, des matières et des symboles, dans la question de la nature même de l’œuvre d’art et du regard qu’on lui porte ? Nulle part. Elle se contente de donner le change. Noata fait partie de ces artistes qui font semblant de trouver le moyen d’ouvrir de nouveaux espaces et d’opérer selon leurs propres termes, tout en sachant que la moindre velléité de transgression est généralement très vite transformée en style acceptable par le marché. Et cela lui convient parfaitement. Mais, si l’on sait bien regarder, l’habileté fait défaut et cette mystification tombe à plat. Ce dispositif, qui se veut aussi, tant qu’on y est, l’expérience du détachement et de l’intemporel, n’est qu’un ignoble court-circuitage de toute restitution aux formes et aux matériaux d’un pouvoir physique et symbolique. L’artiste s’ingénie ainsi à travailler dans la banalité ou le non-événement par une absence de soi-disant parti pris qui donnerait à ses œuvres des qualités abstraites et une portée générique. Quelles que soient les anecdotes qui ont généré ce parcours semé d’indices, elles font se rejoindre l’inutilité et la futilité en provoquant en nous un rejet doublé d’ennui.

Si l’on voulait persuader les visiteurs que l’art contemporain est vraiment nul, on ne s’y prendrait pas autrement. Certains s’étonneront que l’on critique ainsi cette exposition. S’éloigner du consensus des vernissages et porter un jugement, et d’autant plus si celui-ci est négatif, est considéré hors de propos. L’art contemporain serait une cause commune, attaquée de toutes parts. Ne pas fourbir les armes des détracteurs. Mais comment peut-on défendre cette interminable série de cibachromes flous et tape-à-l’œil  ? Cette mascarade dépourvue de désir, de projets et d’illusions ? Cette pathétique imposture ? Quel intérêt trouver à cette suite de détails fastidieux et rancis, de miasmes fatigués ? On aurait pu espérer voir traiter l’espace social comme un matériau et faire naître de cette manipulation une expérience renouvelée de l’attente, voir les éléments médicaux prendre une posture paradoxale. Il n’en est rien. Reste un objet un peu hermétique à prendre pour ce qu’il est : l’espace psychologique d’une artiste obtuse et surévaluée, avec ses duperies, ses obsessions et sa fausseté.

Mais parle-t-on encore d’art quand l’on sait que toutes les pièces ont été vendues avant le vernissage ? Ce lieu d’exposition, que l’on a connu plus engagé et clairvoyant, a fait le choix d’ajuster l’offre à la demande. Il n’a plus de temps à perdre avec la critique d’art et il est maintenant inutile d’organiser des voyages de presse. Le directeur du lieu a beau déclarer « Même si les lois du marché ne sont pas notre seule motivation, nous sommes là pour faire du profit. », si certains collectionneurs se mettaient à réfléchir au sens et à l’intérêt des pièces qu’ils achètent, Melenaite Noata risquerait de sombrer dans un anonymat rapide. Mais pour le moment, il faut reconnaître à l’artiste un grand talent dans les techniques du camouflage, de la mascarade, du faux-semblant. C’est ainsi qu’elle arrive à concilier le statut de l’artiste et la rémunération de la femme d’affaires et qu’elle finit par produire de telles expositions où une emphase pontifiante et floue tient lieu d’argument et de morale. Faut-il y voir une ironie post-moderne ? Même pas. On a simplement là ce que l’on peut faire de plus caricaturalement mauvais en matière d’art contemporain. “

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