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D'âmes effleurées, Carmencita y Paco

Publié le 08 mars 2009 par Antonia Savey

« Me llamo Mari Carmen. J’ai 26 ans, un petit blondinet de trois ans endormi à l'arrière de la berline et l'homme de ma vie au volant. El Paco mio. 7 heures du mat’. Qu’il dorme encore un peu avant la crèche mi pequenito. Route rectiligne, bordée de platanes. Connaît par cœur. Paco siffle comme toujours par-dessus la radio cet air de Céline. Celui que j’ai demandé au curé de passer pour notre mariage en juillet prochain. « J’irai chercher ton âme dans le feu dans les flammes… Pour que tu m’aimes encore… » Juste une journée comme toutes les autres au soleil matinal du midi. 13 ans que je la rembobine cette journée du 8 mars. 13 ans que je la diffuse en boucle. Lecture, pause, rembobinage, lecture…. Non-stop. Je me redéfile chaque platane, chaque poteau, chaque panneau de signalisation, chaque intersection. Ce qui me gêne, c’est pas tant les souvenirs et les images qui m’assaillent particulièrement ce jour là. Je m’y suis faite. Du plus loin que je me souvienne, c’est aujourd’hui que leurs voix s’entrechoquent toutes dans mon crâne, qu’ils chuchotent mon prénom dans l’écho amplifié de leur cœur. Qu’elle m’appelle, ma fratrie démembrée, au fil des heures de cette journée et que je déroule à nouveau le film. Le reste du temps, leurs pensées sont diffuses, espacées, presque impalpables. M’effleurent à peine un peu plus le jour de mon anniversaire aussi. Supportable. Non, ce qui me gêne moi, ce sont ces autres images qui se superposent à leurs bribes d’enfance, souvenirs épars. Tout le bronx que j’ai laissé en partant ce matin. Les bols du petit déj’ sur la table de la cuisine. Les céréales qu’Anthony a renversées. Paco me pressait pour partir, finir de me maquiller ou nettoyer ? La vaisselle de la veille dans l’évier. Ma pile de linge sur la planche à repasser. Les relevés de banque sur la console de l’entrée. Sur la table basse, les mégots de chichon de Paco dans le cendrier. Et à l’étage, notre lit défait, odorant, vestiges d’étreintes indélébiles. Indélébile, ton désir trop plein entre mes cuisses écartées ? Je pense à ma soeur Marie qui a dû rabattre les draps. Peut-être même les laver. Oui, c’est sûrement elle. Elle aussi qui a dû trébucher, les yeux trop plein de larmes, sur les 2 ou 3 paires de chaussures que j’ai laissées trainer avant de trouver la bonne. Mes cheveux sur la brosse dans la salle de bain. Le pyjama d’Anthony sur le rebord de la baignoire. Toutes ces choses négligées, insignifiantes qu’on préfèrerait ne pas laisser derrière soi quand on part bosser. Au cas où…

Au cas où quoi déjà ? La pellicule s’emballe. Paco freine brusquement en plaquant son bras droit contre ma poitrine. Me coupe le souffle. Merde, ma ceinture. Pas le temps de croiser tes yeux noirs, mon amour. Le petit a crié « M’ma» en se réveillant. J’ai senti son corps frêle frôler mon épaule au moment où cent mille épines de verre se plantent dans mon visage. Son odeur de nenuco à peine éveillé palpite encore dans mes narines.

Demain, les images dans ma tête seront à nouveau gelées, les voix engourdies. Système en mode veille. Trou noir de sommeil infiniment apaisant. »

Sans moi la journée de la femme. Pouce, je passe mon tour.


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