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D'âmes effleurées, le Toscan

Publié le 08 mars 2009 par Antonia Savey

Rayon de soleil enfin printanier. Charly et Alma ronronnent à la terrasse du Toscan. Deux tasses noir café. Reste un seul carré de chocolat. Tiens, cette fois, elle n'a pas réclamé un deuxième sucre. Ses cheveux sont plus longs. Pas très bonne mine. Il plisse les paupières sous l'intensité de la lumière. Enfoncé dans son fauteuil osier. Bouche cousue. Sa tasse déjà vide, il commande un autre café. Flot de mots fluide et continu de la bouche d'Alma. Charlye aime l'écouter. Se laisse bercer. L'autre café à peine entamé, chocolat fondu entre tasse et soucoupe. Les yeux gris, transparents, hagards, se perdent, se voilent. Regard égaré ailleurs. Rescapé de vuelta d'une autre histoire. Alma elle, c'est le silence après la déferlante de sa propre voix qu'elle aime écouter. Cette façon aussi qu’il a de tout aspirer avec intensité. Sans l'interrompre. Sans dodeliner. Sans cligner d'une seule paupière. Ni l'un ni l'autre ne sait combien dure le silence d'après le dernier nœud défait. Pas pressés de le rompre. Dépend du sujet, de l'intimité dévoilée, de l'impudeur exposée. Après les salves de mots, leur émotion partagée reste encore un long moment suspendue aux particules d'air, hameçonnée à ses lèvres frémissantes, à ses joues écarlates. Et puis... Charly se penche, écarquille ses pupilles sombres, replace une mèche d'Alma, pose le revers de la main sur sa joue. Une pression plus intense. Longue. Pas encore revenue à la terrasse du café, Alma lui banderille ses billes gris délavé jusqu'à l'âme. Soutient son regard. Narines frémissantes. Le défit presque. Une poignée de secondes d'éternité. Du temps retenu pour chasser les fantômes. Enterrer sa hache de guerre. Gracier tous ses coupables. Alma enfin détourne les yeux et cligne des paupières dans un soupir apaisé. Charly retire sa main sans hâte et la pose sur la table. Il se sent à cet instant si vivant de sentir rougeoyer la colère inextinguible d'Alma. Il se dit qu'il en prendrait bien encore un petit peu plus à snifer ou en intraveineuse, histoire de secouer la léthargie qui l'enveloppe ces derniers temps. Payer au comptoir déjà. Après-midi bien cramée.

- Quand repars-tu ?
- Ce soir.
- Tu reviens quand ?

- J’sais pas. Dans quelques semaines sans doute.

- Tu me feras signe au dernier moment, à l’improviste, comme d’hab.

Ses yeux moins gris sourient enfin.

- Je te raccompagne à ta voiture.
- Je suis garée de l'autre côté de l'église, derrière le terrain de jeux. Viens, marchons encore un peu. Ce soleil, enfin, c’est si bon.

Elle glisserait bien son bras sous le sien, ébauche le geste, se rétracte. Il garde les mains jointes dans son dos. Avancent d’un pas tranquille. Leur silence flotte entre eux, les enveloppe, léger maintenant. Sur le dernier trottoir, devant la voiture, ils s’étreignent, joue mal rasée contre joue rougie, longuement. Que passent encore toutes ces ondes que leurs mots ne savent malgré tout pas exprimer. Ils peuvent se taire à présent puisqu’ils se sont encore une fois tout redit. Il la regarde enlever sa veste avant de s’asseoir au volant. Lui retraverse la chaussée au milieu du flot des véhicules pour regagner son bureau. Dans une seconde à peine, elle klaxonnera et fera un dernier signe de la main, lui offrira un sourire. Comme toujours. Elle en a besoin, il le sait bien, pour que la magie ne s’estompe pas déjà. Faire durer l’instant fugace.


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