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“L’arabe pour les nuls” (2) : les charmes sulfureux de la langue nationale

Publié le 09 mars 2009 par Gonzo

“L’arabe pour les nuls” (2) : les charmes sulfureux de la langue nationale
Quel rapport entre les charmes de la belle Claudia et ceux de la langue arabe ? Le fait que cette jeune irakienne, élue « miss monde arabe 2006 », débute dans la chanson avec un titre, sans nul doute inoubliable, Je regrette beaucoup (بندم أوي). Un titre - les lecteurs de l’arabe l’auront tout de suite remarqué - qui n’est pas en (arabe) classique, ni même en irakien, mais en égyptien.

En effet, plus soucieuse de sa carrière que de sa réputation linguistique, Claudia, comme la plupart des artistes arabes d’aujourd’hui, s’adapte au public qu’elle veut atteindre. Et comme les publicitaires locaux l’ont noté depuis longtemps, le public, justement, est sensible au fait qu’on s’adresse à lui dans sa langue quotidienne, et pas dans une version plus ou moins standard de l’arabe dit “classique”.

Si le phénomène existe depuis longtemps, il a pris des proportions totalement inédites avec le développement des médias modernes. Au point que la question du choix entre la norme et l’usage, même si elle est aussi ancienne que la langue arabe elle-même, a pris de nos jours une dimension éminemment politique.

Pas un pays n’échappe au phénomène, mais certains, de par leur histoire et leur contexte politique, le vivent plus fortement que d’autres. Avec plusieurs variétés assez différenciées localement, mais aussi plusieurs sortes de berbère (rifain, chleuh et tamazigh) parlées par près de la moitié de la population, sans compter l’espagnol, le français et aujourd’hui l’anglais car on ne parle plus guère malheureusement le ladino et la hakétia, le Maroc est presque un cas d’école. Et de fait, l’essor récent d’un secteur médiatique (presse et audio-visuel) privé moins étroitement contrôlé par les doctrines étatiques, sur fond de mutations sociales et culturelles de grande ampleur, offre les conditions idéales au développement de polémiques, a priori linguistiques mais à l’évidence également politiques.

Ainsi, en mai dernier, on a beaucoup commenté la démission inattendue d’un jeune et brillant présentateur de Casa FM, une radio locale privée (article d’Al-quds al-’arabi). Responsable des informations, il avait accepté dans un premier temps de donner à l’antenne deux bulletins quotidiens en maghribiyya (en « marocain », un terme nouveau dans la langue dans cette acception particulière car, jusqu’alors, on utilisait plutôt pour parler du dialecte le mot dârija et le glissement de sens n’est pas sans importance). L’expérience ayant rencontré du succès, la direction de Casa FM a demandé à son journaliste, quoi de plus normal, de donner en dialecte la totalité des bulletins d’information, ce qu’il n’a pas voulu faire, pour mille et une raisons sans doute, qui peuvent aller du strictement professionnel au carrément politique.

Fort de leur réel succès, les partisans de la « dialectalisation » des médias marocains ont justifié leur choix du dialecte par leur volonté de se rapprocher d’un public largement analphabète (40 % de la population marocaine). Ce à quoi les partisans du « classique » (qui est en fait de l’arabe dit « moderne ») ont répondu en rappelant l’accueil réservé localement à la chaîne d’information Al-Jazeera, ou même aux célébrissimes feuilletons turcs ou mexicains souvent doublés en dialecte (oriental) mais également en arabe standard [même si c'est de moins en moins le cas].

Dès lors que le principal hebdomadaire en vernaculaire marocain Nichane (présenté dans cette chronique à l’occasion d’une interdiction) appartient au même groupe que le « principal hebdomadaire francophone » TelQuel, qui, le premier, brisa un tabou en publiant, en 2002, un numéro « historique » titrant sur le darija (dialecte marocain) comme langue nationale, et dès lors, de plus, que le phénomène suscite par ailleurs l’intérêt de linguistes originaires de l’ancienne puissance coloniale, tous les ingrédients sont réunis pour un débat explosif.

En effet, au regard de la tradition culturelle locale, et dans le contexte de la montée en puissance de partis d’opposition religieux fort attachés à la « pureté » de la langue originale, vecteur de l’unité arabe et islamique, prôner l’usage de la langue vernaculaire, le marocain, que renforcent à coup sûr les médias actuels, a quelque chose de sulfureux.

(Il existe néanmoins une manière de le faire, qui dépasse les clivages immédiatement politiques, et c’est ce que l’on s’efforcera d’expliciter dans un ultime billet, la semaine prochaine.)


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