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La France du “touche pas”

Publié le 11 mars 2009 par Argoul

Hadopi et collectivités locales, deux symptômes de la mentalité particulière à la France : l’autoritarisme et les Zacquis. Dans la série « touche pas à », le fromage des zindustries du divertissement s’ajoute au fromage des zélus avides de petit pouvoir, même tout petit et peu rémunéré. Bourdieu avait montré à l’envi que le « capital » n’était rien moins qu’économique mais surtout social. Qui possède un pouvoir, par son statut, ses diplômes ou ses réseaux, est nanti d’un capital social bien plus important aujourd’hui que son capital à la banque.

Or les pouvoirs sont des Zacquis, l’un des rares mots inventés par la gauche depuis 30 ans - qui aurait dû l’être pourtant par la droite. Est-ce mimétisme ? On évoquait volontiers l’État UDR aux temps gaullistes, gardé par les vigilants du SAC en métropole et l’éminence grise Jacques Focart pour les ex-colonies. Depuis le Mitterrand final, les Zacquis sont l’une des clés de la politique à gauche. D’où ces « touche pas » qui couvrent tout et n’importe quoi (mon pote, mon hôpital de proximité, mon tribunal, ma liberté universitaire, ma recherche, ma formation des maîtres, ma méthode de lecture, ma retraite, mes fromages au lait cru…). Le dernier « touche pas » vaut notamment pour la pléthore d’élus dont les compétences se marchent sur les pieds, qui se construisent des édifices de fonction et commandent des véhicules ad hoc, en ne créant que des emplois de chauffeurs ou d’huissiers. Alors quand il s’agit de regrouper les communes, d’élaborer un Gross Paris, de diminuer le nombre des régions, c’est un tollé d’élus qui craignent pour leurs fromages !

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Mais, soyons justes, il n’y a pas que la gauche. Les zélus de droite sont aussi zélés dans le zut aux réformes. Le Sénat, composé des zélus élus par des zélus est en première ligne : il avait déjà viré De Gaulle quand celui-ci en avait proposé sa réforme – pour le rendre plus démocratique, ouvert aux forces nouvelles de la société. Pensez-vous qu’il va voter son propre affaiblissement ? L’ex-député européen du centre, Jean-Louis Bourlanges, cite volontiers ce proverbe de la sagesse américaine : les dindes ne votent pas en faveur de Noël. Pourquoi voudriez-vous que des zélus votent en faveur de la diminution de la réserve des zélus ? Le parc national est un fromage à conserver, « touche pas »…

Soyons encore plus justes, il n’y a pas que les zélus à craindre pour leur fromage. Les zindustries de la pop et du cinoche craignent que la grande liberté d’Internet ne vienne braconner dans leur parc. Bien que largement subventionnés d’État pour le cinéma, par les collectivités pour les festivals, par les assemblées pour les droits, les zinvestisseurs des zindustries du divertissement se regroupent en troupeau pour faire front. Non à la liberté, non à la jeunesse, non à la nouveauté économique ! Le fromage de « l’Exception Culturelle Française » (ECF) est bien trop fait pour qu’on le laisse couler : « touche pas »… N’avez-vous pas remarqué que les seuls pays qui contraignent par la loi sont des pays catholiques ? La France, l’Italie et l’Irlande sont les seuls à interdire et à pénaliser le téléchargement. L’Allemagne, la Suède, le Royaume-Uni, les États-Unis – auraient-ils moins à perdre ? Non pas, mais ils sont plus pragmatiques, plus réactifs, moins conservateurs envers leurs Zacquis. Le rêve français est pour le salarié celui du fonctionnariat et pour le patron celui du monopole. Innovation ? Concurrence ? Quelle horreur – et ils clignent de l’œil. Le patronat français a longtemps prospéré à l’ombre de l’État et des dévaluations monétaires avant l’euro. Depuis, évidemment (et c’est ça la pédagogie de l’euro), il faut bosser, changer ses zabitudes, s’adapter à l’international. Mais s’il reste un zeste de monopole, surtout « touche pas » !

Et de prendre pour cache-sexe « les créateurs » - les pôvres ! - qui seraient réduits à la mendicité si le piratage était laissé à lui-même. Sait-on que lesdits créateurs ne touchent que 8% du prix hors taxe d’un livre ? 10% du prix HT d’un CD ? Le double est pour l’éditeur qui a au moins le mérite d’aider à la création en mettant correctement en forme. Mais les plus de 50% de reste ? - Ce sont tous les parasites du marketing, du support matériel, de l’État taxateur – tout ce qui disparaît justement dans le nouveau système du net ! Zut, mon fromage ! Et les zélus zélés de légiférer en urgence – pour une fois tous d’accord – pour conserver la motte à schtroumpf qui alimentent et ses trous où l’on reste au chaud. Il y a clair changement de modèle économique, mais les zindustries du divertissement crient au loup en appelant à leur secours l’État-flic. Plutôt que d’inventer du neuf, ils cherchent à conserver le vieux. Cela ne peut prendre que dans une société vieillissante, formatée catholique et bonapartiste : autoritaire, hiérarchique, conservatrice. Une société qui a la hantise de la liberté : celle de croire, celle de baiser, celle d’échanger sans passer par les monopoles, celle qui troque sans payer de taxes.

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La gauche là-dedans ? Reste-t-elle fidèle à son image favorable à la jeunesse, aux libertés publiques et à l’inventivité ? La gauche aurait-elle une proposition alternative ? Même pas ! Concernant les zacquis des zélus, Martine Aubry a dénoncé une entreprise politicienne – est-ce ainsi qu’elle voit la monde, Martine ? Est-ce ainsi qu’elle voit le socialisme, comme du politicien à tous les étages ? Manuel Vals n’est pas contre la réforme des collectivités locales – évidemment si ce n’est pas Sarkozy qui le propose. Mais n’avez-vous pas remarqué qu’il a 15 ans de moins que sa Générale secrétaire ? Concernant les zacquis des zindustries du divertissement, la gauche si volontiers anticapitaliste n’a pas de mots assez durs pour fustiger les libertaires qui veulent tout avoir sans rien payer, ou inventer sans les structures assistées d’État. Tous d’accord sur la loi au Sénat, droite et gauche confondues – on n’avait jamais vu ça.

Références :

Rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales
Projet de loi Hadopi
Les opposants de la Quadrature du net
Un résumé du Monde sur la loi internet (abonnés)
La gratuité est-elle un modèle économique ? dans Fugues


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