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L’affrontement Chine-Japon sur le marché asiatique de l’automobile : Gentlemen Agreement ou jeu de Go ?

Publié le 13 mars 2009 par Infoguerre

La sécurité de l’approvisionnement énergétique est un enjeu majeur de la stratégie de puissance chinoise. Les industriels chinois de l’automobile ont donc préféré pénétrer le continent africain (priorité aux ressources) et ouvrir leur marché intérieur aux Japonais capables de répondre technologiquement aux attentes des 140 millions de consommateurs de la classe moyenne chinoise (effort sur la paix sociale intérieure).

Un marché qui présente des intérêts communs et des caractéristiques complémentaires

Le marché de l’automobile en Asie évolue vite car, ces dernières années, les demandes intérieures des deux plus gros acteurs ont changé. Le Japon « s’occidentalise ». La clientèle est plus féminine (le nombre de femmes ayant obtenu leurs permis de conduire a augmenté de 24 % au cours des dix dernières années), le produit est devenu plus banal (44 % des Japonais considèrent les voitures comme un bien pour se déplacer) et le consommateur nippon conserve sa voiture plus longtemps (6,8 ans). Forte d’une croissance moyenne annuelle proche de 10 %, la Chine dispose désormais d’une nouvelle classe moyenne significative : elle serait estimée à plus de 140 millions de personnes et consomme des produits plus sophistiqués. La voiture devient alors un signe extérieur de richesse.

Ce marché doit aussi faire face aux évolutions macro-économiques du monde actuel. Le prix des matières premières ne cesse de croître. Même s’il fluctue au gré des évènements, il augmentera toujours sur le long terme. Le fer, l’aluminium et le magnésium seront les principales matières premières touchées par ce phénomène. Cette évolution sera d’autant plus significative que l’on s’attend à une forte augmentation de la production de voitures dans le monde. Selon Carlos Ghosn, le PDG de Renault-Nissan, la production mondiale pourrait quintupler d’ici 2050. Une étude du Ministère de l’industrie montre d’ailleurs le besoin exponentiel en matières premières de l’industrie automobile chinoise entre 2010 et 2020.

La Chine et le Japon ont pris en compte l’équation environnementale mais n’entendent pas la résoudre de la même manière. Le Japon mise sur ses investissements en Recherche et développement (R&D) pour produire des véhicules moins polluants tandis que la Chine écoule sa production dans des pays où il y peu ou pas de normes environnementales : l’Afrique (30 % des exportations chinoises en 2008).

La stratégie de marché et la stratégie de puissance

Les deux géants s’affrontent sur ce secteur en adoptant deux stratégies différentes. Le Japon est dans une logique de marchés en faisant un effort sur la croissance externe. Depuis 2008, les industriels produisent plus à l’étranger que sur le territoire national. Les marges ainsi dégagées leur permettent de financer des nouveaux modèles pour le marché intérieur et de s’attaquer au marché de la classe moyenne chinoise.

Ainsi, Honda, Nissan et Toyota produisent à Canton respectivement depuis 1997, 2003 et 2004 : C’est la première zone de production chinoise devant Shanghai depuis 2008 ; Une zone de libre échange au sein de l’Association des Nations de l’Asie du Sud Est (ANASE-ASEAN) se met progressivement en place (une étude de KPMG le soulignait dès mai 2005) (1) ; Sa situation géographique est idéale et située au centre de l’Asie du Sud-est.

Seul Mitsubishi, victime de transfert de technologie vers le coréen Hyundai dans les années 1990, a décidé d’attaquer le marché chinois à partir de la Thaïlande afin de limiter au maximum un tel nouveau risque.

La Chine est dans une toute autre logique, plus politique mais qui obéit à une volonté de puissance : le contrôle des sources extérieures d’approvisionnement et le maintien de la stabilité intérieure. Les industriels chinois de l’automobile participent ainsi à la politique énergétique nationale en s’implantant sur un autre continent sans aucun lien historique avec la Chine. Great Wall Motor, Chery Automobile, et Geely Gramp attaquent ce marché africain par une politique de prix très compétitifs (une occasion japonaise est plus chère qu’un 4×4 chinois neuf). L’Afrique représente alors un véritable laboratoire permettant l’écoulement de voitures peu sophistiquées, à bas prix et peu écologiques.

La Chine a aussi choisi d’ouvrir ses frontières aux grandes marques japonaises non seulement pour permettre l’accès de sa classe moyenne à des produits « plus haut de gamme » mais aussi pour combler son retard technologique (débauche du personnel et surtaxes aux importations de pièces détachées dont elle préfère la production locale, etc.).

Ainsi, la Chine et le Japon ont choisi de ne pas s’affronter directement sur le marché de l’automobile régionale car ils n’y ont pas intérêt. Qu’il s’agisse de territoires ou de clientèles, la victoire consiste donc à occuper le plus rapidement possible des espaces où il n’y a pas encore de concurrents.

PF

(1) Extrait de l’étude citant Paul Brough : « Les conséquences des accords de libre-échange ne doivent pas être sous-estimées. Elles déboucheront notamment sur la création d’un certain nombre de centres de production de première importance en Asie. L’Inde, la Chine et la Thaïlande essaient déjà de « challenger » la prédominance traditionnelle des industries automobiles japonaise et coréenne, même si ces deux pays conservent encore un avantage technologique important. Les fabricants automobiles n’ayant des opérations que dans un ou deux pays deviendront l’exception plutôt que la norme ».


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