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La vache!

Publié le 09 février 2009 par Catherinelunardi

Armée de mon CV fraîchement mis à jour, je sonnai aux portes des grandes entreprises de la région. Forte de ma formation en ressources humaines et de mes six mois d’expérience, j’attaquai le marché du travail avec l’aplomb d’un général. Le jour suivant cette amorce, je reçus deux coups de fil. Un de ces appels, plutôt court, se solda par une demande d’entrevue! Qui avait lieu aujourd’hui! 

J’eus tôt fait de localiser l’immeuble de cinq étages où avait lieu l’entrevue et me dirigeai vers la réception le coeur fébrile et l’esprit alerte. Il me fallut attendre une heure! Une heure pour que finalement, une porte s’ouvre devant un grand jeune homme mince à l’air nerveux d’une trentaine d’années. Je ravalai un soupir quand il s’excusa aimablement de son retard. Il me dirigea vers une salle exiguë, démunie de fenêtres. 

Il tenait une feuille à l’interligne serrée qu’il commença à lire religieusement. Il butait sur certains mots, comme s’il les voyait pour la première fois. Les questions se répétaient parfois, en des tournures différentes. Je me prêtai au jeu avec une certaine réserve, qui se mua tantôt en ennui puis en incompréhension. Était-ce là l’entrevue pour le poste tant convoité? Quel était le lien? L’entrevue allait de mal en pis et je sentais avec horreur l’humidité se former sous mes bras. Il me posa une question. La question qui tue.

 - Si vous étiez un animal, lequel seriez-vous? Et pourquoi?

Je ne vis que du noir, comme un trou béant devant mes yeux. Mon esprit refusait d’obtempérer. Je fixai mon sac à main, incapable de trouver une réponse cohérente. Puis, l’objet m’inspira le nom du seul animal auquel je pouvais penser. 

 - Une vache, je serais une vache.

J’entendis mes propres mots en différé. Ils s’imprimaient en caractères de feu dans mon esprit et la chaleur gagna mes joues. Mais il était trop tard. Je vantai les mérites de la vache, saisissant mon sac à main avec une conviction simulée. J’expliquai la beauté de tous les produits que l’on pouvait dériver de ce noble animal; je mis l’accent sur ses qualités, comme sa tranquillité, au grand désarroi de mon interlocuteur, qui revint au questionnaire en hochant faiblement la tête. Il enchaîna.

— Si vous pouviez recommencer votre carrière à zéro, que feriez-vous différemment?

Je m’enfonçai complètement dans ma chaise, les épaules voutées et le dos rond. Que pouvais-je répondre? Le malaise du jeune homme devenait palpable et ne faisait qu’ajouter au mien. Après un moment qui me parut une éternité, il me demanda, en poussant la feuille du bout de doigts « Combien valez-vous? ». À ce point, la réponse était claire, pour lui comme pour moi.


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