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La lettre du Pape (1) - l'information et ses obstacles

Publié le 13 mars 2009 par Hermas

Il nous paraît très important de revenir sur la lettre adressée par le Saint-Père, hier, aux évêques catholiques à propos de la levée des excommunications,  afin d'y apporter quelques commentaires.

Il convient, de prime abord, de souligner qu’il s’agit d’une lettre publique, d’une “lettre ouverte” en quelque sorte. Quand quelqu’un procède ainsi, c’est qu’il n’entend pas s’adresser uniquement à son destinataire. Il veut faire connaître à tous son message, pour qu’il soit connu de tous, et, peut-être aussi, ayant quelque raison de penser qu'il risque d'être étouffé, pour ôter au destinataire la faculté de le faire. Rares, en effet, sont les lettres ouvertes qui ont pour objet de faire plaisir… Publié, le présent message est entré dans le domaine public, il est devenu l’affaire de tous, pour le bien de tous. Il est donc, en quelque façon, un message qui nous est adressé à nous-mêmes, avec sa double vocation : d’information, d’une part, et d’ouverture spirituelle, d’autre part.

Dans cette lettre, le Pape ne se paye pas de mots. Loin de la forme  en usage dans les encycliques, le style y est direct ; on pourrait dire, à certains moments, familier, pour exprimer tour à tour la surprise, l'indignation et l'espérance.

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I.- Une information rendue étonnement nécessaire

 

Informer, « fournir quelques éclaircissements », tel est l’objet immédiat de cette lettre. Eclairer les raisons qui ont porté le Pape et « les organes compétents » à décider la levée d’excommunication des évêques consacrés par Mgr Lefebvre en 1988.

S’il est compréhensible que les fidèles aient pu être surpris par cette mesure, jusqu’à devoir être ainsi informés, ignorants de ce qu’ils sont en général des enjeux en cours, de la nature et de la portée d’une excommunication, ou de sa levée, il est plus surprenant que les « évêques du monde catholique », ou du moins certains d’entre eux,  en nombre assez conséquent pour nécessiter une telle procédure, aient eu besoin d’un tel message. Etonnant et, au fond, consternant. Le Pape, d’ailleurs, l’indique lui-même incidemment. Il évoque, en effet, ces catholiques hostiles « qui, au fond, auraient pu mieux savoir ce qu’il en était », et qui ne pouvaient en tout cas méconnaître que, dès le début de son pontificat, il s’est donné pour « ligne directive inaltérée » d’affermir ses frères, afin de répondre à l’injonction du Christ et de Pierre.

II.- Les obstacles à l’information

 

Outre l’ignorance, obvie, le Pape évoque trois éléments, qui ont concouru puissamment à transformer ce qui devait être un « geste discret de miséricorde » en une Affaire retentissante qui allait, selon l'expression obligée, « mobiliser l'opinion publique internationale » jusqu'à faire passer au second plan la crise économique mondiale.

Le “cas Williamson”

Le premier, sinon par son importance objective, du moins par son bruit, est « le cas (à tous égards) Williamson ». On a vu actionner à cette occasion tous les leviers devenus classiques de l’Antisémitisme fantasmagorique, mis en œuvre par les officines habituelles, pour suggérer au monde entier qu’en raison des affirmations de Mgr Williamson sur les chambres à gaz, le Pape, qui lui étendait sa miséricorde, sans connaître ses analyses, serait antisémite. Benoît XVI n’a aucune peine à montrer la sottise de cette thèse, en rappelant les efforts faits par l’Eglise depuis tant d’années pour rapprocher chrétiens et juifs, et ses propres travaux.

La thèse est tellement absurde que l’on se demande même comment des gens supposément sensés, de toutes cultures, ont pu y accorder le plus petit crédit. En vérité, elle n’est pas plus absurde que celle qui consiste à imputer au Pape, parce qu’il cherche à faire revenir les intégristes à l’unité de l’Eglise, l’intention de vouloir « revenir en arrière, au temps d’avant le Concile », pour l’effacer. L’impossible rationalité de ces deux thèses, également contredites par les engagements sans équivoque du Pontife et de l’Eglise, manifeste qu’elles puisent à une même source.

La haine du Pape

Cette source, qui a constitué ici un deuxième obstacle à une information claire et saine, est, n’ayons pas peur des mots, la haine du Pape. Cette « haine sans crainte ni réserve », il l’invoque explicitement lui-même dans sa lettre, avec beaucoup de lucidité douloureuse. C’est elle qui a donné lieu en cette affaire à « véhémence », à « déchaînement », à « un grand tapage ».

Cette haine n’est pas nouvelle, ni hors, ni dans l’Eglise, où elle est nourrie de l’intérieur par une sorte d’anti-culture libérale, qui usurpe l’autorité du Concile depuis près de 50 ans pour faire passer le rejet de pans entiers de « la foi professée au cours des siècles » et « couper les racines dont l’arbre vit ». Ainsi, en particulier, à propos de l'eucharistie ou des fins dernières, comme nous l'avons analysé sur ce blog.

Le Pape est l’empêcheur de délirer en rond. Il exprime ici sa « peine du fait que même des catholiques (…) aient pensé devoir (l’)offenser avec une hostilité prête à se manifester ». Le message est nuancé mais clair, et sans illusion : cette hostilité est « prête à se manifester » parce qu’elle couve déjà. Tant de choses ne “passent”  pas auprès de ce qui est devenu une sorte d’intégrisme progressiste : les questions de l’avortement ou de l’homosexualité, de la morale sexuelle en générale, de la situation des divorcés remariés, du mariage des prêtres ou de l’ordination des femmes, de la réhabilitation de l’ancienne forme et du sens liturgiques, de l’énonciation d’affirmations dogmatiques tranchées, de la dénonciation du relativisme, etc. Beaucoup de clercs ou de fidèles ont épousé peu ou prou la haine satanique du “monde” contre tout ce que cela représente, et sont prêts à enfourcher tous les chevaux de bataille qui se présenteront contre Benoît XVI, comme ils l’ont fait contre son prédécesseur.

Le déficit d'information et la désinformation

Enfin, dernier obstacle : le manquement à l’information, avec son corollaire, la désinformation. Le Pape s’attriste de ce que « la portée et les limites de la mesure du 21 janvier 2009 n’ont pas été commentées de façon suffisamment claire au moment de sa publication ». Sans doute peut-on comprendre ici que Benoît XVI évoque un défaut de diligence de la part des « organes compétents » du Vatican. Mais peut-être s’applique-t-il aussi au rôle joué par certains évêques ou d’autres clercs.

L’épiscopat français, qui s’était montré lui-même si « tapageur » lors de la réhabilitation de l’ancienne forme liturgique, a été clair dans l'ensemble sur cette information, en particulier dans la Déclaration (1) du Conseil permanent des évêques de France [28 janvier 2009], même si cette information paraissait parfois s’accompagner du souffle rassuré de celui qui se dit que l’unité avec les traditionalistes n’est pas prête de se réaliser. C'est que le contentieux est vieux et que l'épiscopat français n'est pas étranger, loin s'en faut, à la situation que le Pape se propose de résoudre, en partie contre, ou malgré lui. Outre qu'il est comptable de la situation tragique de l'Eglise en France, dénoncée par les traditionalistes, l'épiscopat français, qui n'a jamais répondu, dans son ensemble, aux appels à la générosité et à l'unité à l'égard de ces derniers, explicitement lancés par le Pape Jean-Paul II, s'est plutôt réjouit, il faut bien le dire, du schisme de Mgr Lefebvre, parce qu'elle le plaçait enfin hors circuit.

La désinformation, elle, est venu de l’imbécillité ou du calcul, sur la voie desquels on a vu se bousculer, comme de bien entendu, journalistes, politiciens de toutes plumes et ecclésiastiques, comme s’ils étaient devenus d’un coup maîtres en théologie, docteurs en droit canonique et surtout gardiens du Temple. Parmi eux, un certain curé du Bordelais qui s’est fendu d’une lettre stupide d’ignorance et d’insolence adressée au Pape, en le tutoyant, lettre que le bien-pensant Figaro s’est fait une joie de publier, sans paraître mesurer le discrédit qui lui en revenait. Après tout, l’essentiel n’est-il pas d’être “tendance” et pluraliste ? D'aucuns, d'ailleurs, dans le clergé, se sont montrés plus attentifs à ce genre de plaintes circonstantielles qu'à celles des milliers de catholiques maintenus à bout de gaffe depuis des décennies dans leur "réserve indienne".

Les remous parfois hystériques provoqués par tous ces “gens de bien”, qui placent au pinacle de leurs valeurs la tolérance et le consensus, fut-ce au prix du sacrifice de la vérité, portent le Pape à les interroger sur leur rôle dans la société, puisqu'ils se sont cru habilités à entrer dans l'arène : « La société civile aussi ne doit-elle pas tenter de prévenir les radicalisations et de réintégrer – autant que possible – leurs éventuels adhérents dans les grandes forces qui façonnent la vie sociale, pour en éviter la ségrégation avec toutes ses conséquences ? Le fait de s’engager à réduire les durcissements et les rétrécissements, pour donner ainsi une place à ce qu’il y a de positif et de récupérable pour l’ensemble, peut-il être totalement erroné ? ».

(à suivre)

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(1) On peut regretter tout de même que cette Déclaration, qui éclairait la portée de la levée de l'excommunication, dût s'achever par ces mots : « Les évêques saluent la volonté du Saint-Père d'aller jusqu'au bout de ce qu'il pouvait faire comme invitation à une réconciliation », comme s'il n'y avait rien à faire au-delà de la levée de la sanction, avant d'ajouter qu'ils « sont en communion avec lui dans l'exercice de la vigilance épiscopale ». Contre quelle menace ? On voit poindre ici cette peur irrationnelle de la disparition du Concile. Le Pape et les évêques français sont-ils ici sur la même longueur d'ondes ? En outre, après le laisser-faire de tant de scandales et le laisser-dire ou écrire de tant d'erreurs, jusqu'à l'effondrement de l'enseignement catéchétique lui-même, que recouvre l'énoncé si solennel de cette "vigilance" ? Cela porte tristement à sourire. Enfin, la Déclaration s'achève par un soutien et une reconnaissance adressés aux prêtres, diacres, religieux et laïcs  « qui composent l'Eglise catholique en France et animent fidèlement les communautés chrétiennes vivantes et proches des hommes de ce temps ». Difficile de ne pas y voir une pique dirigée contre ceux qui ne sont pas dans la mouvance de l'épiscopat, et qui sont ainsi présumés n'être pas dans des communautés vivantes ni proches des hommes de ce temps. Qu'en est-il d'ailleurs, des communautés qui relèvent de la Commission Ecclesia Dei ? Peut-être nous reprochera-t-on de couper un peu les cheveux en quatre, mais il s'agit-là, a priori, d'une Déclaration pensée et réfléchie avant d'être rédigée. Leurs mots ont donc un sens voulu, et celui que nous relevons ici va trop dans le sens d'une praxis durablement expérimentée pour risquer d'être démenti.


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