Deux agents provocateurs
Voici une autre raison pourquoi le port de masque est nÊcessaire, et que la rÊpression policière est permanente.
Des document internes de la SĂťretĂŠ du QuĂŠbec (SQ) obtenus en vertu de la Loi d’accès Ă l’information lèvent le voile sur l’ĂŠtendue de l’opĂŠration de surveillance des manifestants lors du Sommet de Montebello, en 2007: 26 agents civils ĂŠtaient sur place, jour et nuit, dans le cadre de cette opĂŠration baptisĂŠe ÂŤFlagrant dĂŠlitÂť.
Ces renseignements ont ĂŠtĂŠ obtenus par Francis Dupuis-DĂŠri, un professeur en science politique Ă l’UQAM dont l’un des objets de recherche est la rĂŠpression des mouvements sociaux par les forces policières. M. Dupuis-DĂŠri a ĂŠtĂŠ surpris par l’ampleur de l’opĂŠration menĂŠe lors du Sommet de Montebello, les 20 et 21 aoĂťt 2007.
L’organigramme de ÂŤFlagrant dĂŠlitÂť comprend une ĂŠquipe de jour, pour encadrer les manifestations, et une ĂŠquipe de nuit, pour surveiller les militants qui avaient ĂŠrigĂŠ des campements de fortune sur le site du Sommet. Il comprend les noms de 35 policiers de la SQ imbriquĂŠs dans la hiĂŠrarchie: deux responsables, deux chefs de groupe, cinq chefs de section et 26 agents, parmi lesquels figurent au moins trois agents qualifiĂŠs de ÂŤprovocateursÂť, et qui avaient ĂŠtĂŠ dĂŠmasquĂŠs lors des manifestations en marge du Sommet.
En effet, la SQ avait ĂŠtĂŠ plongĂŠe dans l’embarras et forcĂŠe de reconnaĂŽtre l’utilisation d’agents d’infiltration au lendemain des manifestations. Des militants avaient pris en grippe trois hommes assez costauds, vĂŞtus de noir et le visage recouvert d’un foulard. L’un d’entre eux portait un t-shirt d’appui Ă la station CHOI-FM, un accoutrement plutĂ´t rare dans les milieux d’extrĂŞme gauche. Un autre tenait une pierre dans ses mains. ÂŤLes dĂŠguisements n’ĂŠtaient pas super “tight”, ils ĂŠtaient vaguement habillĂŠs en noirÂť, dit Francis Dupuis-DĂŠri.
Une vidĂŠo diffusĂŠe sur YouTube (et vue plus de 437 000 fois) illustre Ă merveille cette situation rocambolesque. Pris Ă partie par des jeunes vĂŞtus de noir et masquĂŠs ĂŠgalement, les trois agents d’infiltration semblent dĂŠroutĂŠs. ÂŤPoliciers! Policiers!Âť, crient les jeunes militants. Un des agents d’infiltration, excĂŠdĂŠ, pousse mĂŞme le prĂŠsident du Syndicat canadien des communications, de l’ĂŠnergie et du papier (SCEP-FTQ), Dave Coles, qui essaie de lui arracher son foulard. Coles demande Ă plusieurs reprises Ă l’agent de ÂŤlâcher sa rocheÂť en anglais, mais il se fait envoyer paĂŽtre en termes typiquement quĂŠbĂŠcois. InvectivĂŠs de toutes parts, les trois agents finissent par se ranger derrière l’escouade anti-ĂŠmeute, qui ÂŤprocèdeÂť Ă leur arrestation. ÂŤOn va les voir se faire tabasser! Vive la police!Âť, crie un manifestant.
Dans les jours suivant l’incident, la SQ avait fait savoir que les agents en civil avaient le mandat ÂŤde repĂŠrer et d’identifier les manifestants non pacifiques pour ainsi ĂŠviter les dĂŠbordementsÂť. La SQ niait par le fait mĂŞme que les trois policiers aient pu faire des gestes de provocation ou commettre des actes criminels. Aucune sanction disciplinaire n’a ĂŠtĂŠ prise contre eux.
ÂŤMais qu’est-ce qu’un policier fait avec une roche dans les mains et un foulard sur le visage, si ce n’est pas de la provocation?, s’interroge Francis Dupuis-DĂŠri. Il y a quelque chose lĂ -dedans qui me met mal Ă l’aise. Quand tu te promènes avec un caillou dans la main, c’est sĂťr que t’as la possibilitĂŠ d’encourager d’autres Ă le faire.Âť
Le chercheur et militant pacifiste mesure trop bien l’utilitĂŠ des agents provocateurs dans les manifestations. ÂŤIl y a des situations oĂš les policiers vont tirer avantage Ă ce qu’une manifestation dĂŠgĂŠnère. Ça peut dĂŠtourner l’attention des arguments critiques du mouvement de contestation, puisqu’on va juste parler des gestes de turbulence dans les mĂŠdias. Ça peut ĂŠgalement faciliter les arrestations, et c’est certain que tant que la manifestation n’a pas dĂŠgĂŠnĂŠrĂŠ, les policiers ne peuvent pas faire ces arrestationsÂť, explique Francis Dupuis-DĂŠri.
La SQ a tirĂŠ des leçons de l’incident, selon les documents internes obtenus par M. Dupuis-DĂŠri. Un compte rendu de rĂŠunion suggère de ÂŤmodifier le profil des personnes sĂŠlectionnĂŠes afin qu’elles puissent fonctionner de façon efficienteÂť. Il y est question de la ÂŤgrosseurÂť des agents et de l’absence de femmes dans les ĂŠquipes d’infiltration. ÂŤUne bonification de la formation et des renseignements concernant les us et coutumes des manifestants serait appropriĂŠe. [Il est] plus ardu de se fondre dans la foule avec peu de connaissancesÂť, ajoute le document.
Le Sommet du partenariat pour la sĂŠcuritĂŠ et la prospĂŠritĂŠ (PSP) s’est soldĂŠ par quatre arrestations, cinq blessĂŠs mineurs parmi les policiers et des dizaines de blessĂŠs mineurs parmi les manifestants incommodĂŠs par les balles de plastique et les gaz lacrymogènes. Environ 1200 personnes ĂŠtaient descendues dans les rues du petit village de Montebello (996 habitants) pour protester contre le voile de secret entourant la rencontre entre les trois dirigeants nord-amĂŠricains, le prĂŠsident mexicain Felipe CalderĂłn, le prĂŠsident amĂŠricain George W. Bush et le premier ministre canadien Stephen Harper.
Les partis d’opposition Ă Ottawa, la FĂŠdĂŠration des travailleurs du QuĂŠbec (FTQ) et des groupes de militants avaient exigĂŠ une enquĂŞte publique sur l’utilisation d’agents d’infiltration. Le ministre provincial de la SĂŠcuritĂŠ publique, Jacques Dupuis, et son homologue fĂŠdĂŠral Ă l’ĂŠpoque, Stockwell Day, sont demeurĂŠs sourds Ă ces dolĂŠances.
On se demande maintenant qui commence les ÂŤ violences Âť lors de la manifestation annuelle du 15 mars : la police ou les manifestant-e-s ? Ă€ lire…
Merci beaucoup Francis Dupuis-DĂŠri pour son travail ! Je l’encourage Ă obtenir d’autres informations sur les activitĂŠs douteuses et illĂŠgales de nos chers policiers dont on ne peut se protĂŠger contre en cas d’abus. Merci encore !
Source : Le Devoir