« A l'époque du Web 2.0, de l'information collaborative, des réseaux
sociaux, l'industrie de l'information semble perdre un peu ses repères.
Assistons-nous à une évolution ou une révolution ? »
C'est la question que me posait un étudiant lors de la remise des prix I-Expo 2008, à l'occasion d'un petit
événement organisé pour célébrer les "trois ages de l'information". Voici ma
réponse, sous forme de témoignage.
Pour moi, si révolution il y a eu, c'était il y a une quinzaine d'années, au
milieu des années quatre-vingt dix, dans un petit local de recherche
documentaire d'une grande bibliothèque pour laquelle je travaillais. C'était
mon premier poste en tant que bibliothécaire. Je me souviens très bien du soir
où j'ai fait mes premières recherches sur Wais (Wide Area Information Servers),
j'ai eu l'impression de tomber dans un trou noir et je me suis dit
« Whaou ! » Je pense que chacun dans sa vie professionnelle doit
connaître ce « Whaou, » le moment où l'on se dit « ça c'est
vraiment génial, je veux travailler là-dedans, je veux en être ».
Les mots de ma révolution sont donc « telnet », « FTP »,
« mail », « Mosaic ». Je me souviens d'ailleurs du jour où
un informaticien est passé me voir pour me proposer la version 0.94 d'un truc
pas encore bien stable, encore un peu rugueux, Netscape, autre nom important de
ma petite révolution personnelle.
Depuis, l'histoire a montré que sur Internet, tout va très vite et très
lentement... Une succession de petites évolutions s'inscrivent dans les sillons
de tendances. Et font parfois même des allers-retours.
On parle beaucoup des communautés sur le Web 2.0. Mais il faut savoir que
l'on retrouve la trace des premières communautés virtuelles aux États-Unis au
milieu des années quatre-vingt, avec le Well (Whole Earth 'Lectronic Link).
Ce qui est certain avec le Web 2.0, c'est que ces tendances s'accélèrent et les
processus sont facilités.
La sécurité est un réel sujet de préoccupation de nos jours. Mais jusque dans
les années quatre-vingt dix, Internet était considéré comme une technologie
américaine non sécurisée. Le changement aujourd'hui, c'est que l'on confie
nous-mêmes nos données personnelles aux serveurs en ligne, alors que ce n'est
pas moins risqué, si ce n'est pas plus.
Sur le plan de la qualité des sites, nous connaissons de vrais progrès avec une
nouvelle génération de développeurs web sensibilisés aux enjeux de
l'accessibilité. Mais nous avons toujours des problèmes avec le navigateur
dominant, nous n'avons toujours pas en France de référentiel de recommandations
dans le domaine (cela arrive avec le RGAA, Référentiel général
d'accessibilité pour les administrations), et dans le cas de l'emailing,
nous devons coder nos messages comme nous codions des pages il y a dix ans afin
que tous les webmails hétérogènes puissent les lire.
Nous retrouvons donc ce phénomène de boucle dans toutes les tendances.
Comme l'agrégation de données. Je me souviens que quand Internet Explorer 4 est
sorti, il proposait déjà des « chaines actives » : l'information
arrivait sur le poste sans avoir besoin d'aller sur le site. L'idée de la
dilution de l'information est donc ancienne. Le problème c'est qu'à l'époque
nous avions tous des modems chez nous et n'allions pas payer le téléphone
pendant des heures pour suivre en continu les actualités.
Concernant les modèles économiques, la publicité marque toute la période, elle
est un élément central autour duquel s'articule toutes les tentatives de
stratégies. En 1998, La Tribune fermait ses archives gratuites sur le
Web pour lancer un cédérom payant ; en avril de cette année (2008), le
même quotidien annonçait rendre gratuites l'intégralité de ses archives. Et
l'on sait que d'autres titres vont suivre cette voie.
La morale de l'histoire : rester serein et ne pas basculer d'une extrême à
l'autre. Reconnaître que le Web 2.0 vient poursuivre des évolutions entamées il
y a plusieurs années, tout en restant ouvert, attentif... Pour
conserver intact sa capacité d'étonnement et
d'émerveillement !