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Cavalleria Rusticana

Publié le 18 mars 2009 par Porky

Que voilà donc un opéra qui a mauvaise réputation ! Ils sont nombreux, ceux qui se bouchent les oreilles rien qu'en entendant le titre... et profèrent des sentences rédhibitoires sur un ouvrage que la postérité a plutôt malmené, il faut bien le dire. Musique facile et d'un goût douteux, mélodrame vieillot, ouvrage sirupeux et quelque peu écoeurant, voilà, en gros, les reproches adressés à cette œuvre. Le vérisme poussé à son extrême n'a pas vraiment bonne presse parmi les amateurs d'opéra. On accepte Puccini parce que c'est Puccini, (bien que dans le genre mélo, Butterfly soit tout de même un sommet) mais Mascagni, vraiment... Non : de la daube, point final.

Mais pourquoi, si l'ouvrage est vraiment si nul que ça, tant d'immenses interprètes comme Callas, Simionato, Corelli, Di Stefano, Los Angeles, Milanov, Rysanek, Varnay, Domingo, Crespin et bien d'autres encore ont-ils accepté de le chanter, d'en enregistrer des extraits ou des intégrales ? D'accord, le mauvais goût est la chose la mieux partagée, comme on dit ; et tout le monde a besoin de travailler pour manger ; mais les œuvres définitivement nulles ne sortent en général plus jamais de l'enfer où on les a plongées. Alors ?...

Alors, peut-être (et même sûrement) que le monde de l'opéra n'est pas exempt d'un certain snobisme et de modes certaines qui portent aux nues tel ou tel compositeur et condamne tel ou tel autre à gésir dans la géhenne de l'oubli musical. Parce que vériste jusqu'au bout de sa dernière note, Cavalleria Rusticana a failli subir ce sort peu enviable...

Précisons d'abord ce qu'est le vérisme : il est à l'opéra ce qu'est le réalisme ou le naturalisme à la littérature. Le mot lui-même contient sa définition : c'est l'irruption dans une œuvre de fiction du vrai, de la réalité quotidienne à l'état pur, et généralement d'une tranche de vie sanglante. Ainsi La Bohème de Puccini décrit-elle le Paris des artistes du 19ème siècle en insistant sur leur misère et leur insouciance ; Tosca, du même Puccini met en scène des éléments du quotidien en les mêlant au drame politique et nous offre un deuxième acte où torture, cris de douleurs et de rage, sentiments exacerbés sont poussés jusqu'au paroxysme. Cavalleria Rusticana nous plonge dans l'univers de la tragédie campagnarde.

Le vérisme fut d'abord une révolte politique, puis sociale ; il fut d'abord littéraire puis musical. Il réunit sous son étiquette presque tous les opéras de la jeune école italienne, quel que soit d'ailleurs au début le sujet traité et son époque. Dès 1861, de jeunes auteurs italiens, bourgeois milanais, las du combat politique et sanglant dont était née l'unité italienne, s'adonnent au romantisme comme d'autres s'adonneraient au jeu ou à la boisson ; ils découvrent Hugo, Heine, Poe, Baudelaire. Ils veulent dénoncer l'émergence de cette nouvelle caste bourgeoise, issue de l'industrialisation du nord et qui exploite la pauvreté des paysans du sud. Parmi eux, un certain Giovanni Verga écrit dix ans plus tard une Vita dei Campi dans laquelle figure le récit qui sera à l'origine de l'opéra. Tous les ingrédients du drame sont déjà en place : place du village, proximité de l'église, importance de la religion, sens de l'honneur, attachement à la famille, soumission au destin. Pour que l'œuvre atteigne le public, les paysans de Sicile ne s'expriment pas dans leur dialecte mais dans la langue du nord. Très vite, la nouvelle devient une pièce de théâtre ; puis Mascagni en fera un opéra. (Verga en obtiendra d'ailleurs 143 000 lires de droits alors qu'un ouvrier agricole gagne une lire par jour. On a beau se révolter contre son milieu, celui-ci finit toujours par vous rattraper quand les intérêts personnels sont en jeu...)

Après avoir fait ses études à Milan (où il a rencontré Puccini et est devenu ami avec lui) puis mené une vie de bohème, Mascagni rencontre Lina et l'épouse en février 1888. Le couple s'établit dans une petite ville des Pouilles et le compositeur décide à la fois de reprendre ses études et d'achever un opéra qu'il avait commencé quelques années plus tôt. Mais il lui faut gagner sa vie et les temps sont durs, il doit donner des leçons particulières de piano et, dépourvu de moyen de locomotion, doit faire à pied les trajets entre les différents villages. Il prend peu à peu conscience qu'il ne pourra pas commencer une véritable carrière musicale en restant dans l'Italie méridionale. Les principaux théâtres sont au nord, dans les grandes villes, et les grands éditeurs sont à Milan, là où se trouve la Scala. Un jour, il lit dans le Giornale illustrato que la revue ouvre un concours pour la création d'un opéra en un acte qui sera publié par un éditeur de Milan. La date limite est mai 1889. Un prix de trois mille lires sera remis au lauréat et le troisième verra son œuvre créée. Il demande à son ami Tozzetti de lui écrire un livret d'opéra. Après avoir d'abord refusé, Tozzetti se laisse convaincre et propose l'adaptation de Cavalleria Rusticana. Mascagni se met au travail avec enthousiasme puis perd confiance en lui-même et c'est Lina qui enverra in extremis la partition avant la date fatidique.

L'impression qu'eut l'œuvre sur le jury du concours fut phénoménale, de même que l'ampleur de l'enthousiasme lors de sa création le 17 mai 1890. En quelques heures, l'Italie découvrait un talent d'exception qui commençait sa carrière à l'âge de vingt-six ans... C'était aussi, pour les provinces du sud, une sorte de revanche alors que huit ans plus tôt, le Risorgimento les avait abandonnées en signant le traité de la Triple Alliance. Les opéras qui suivirent obtinrent le même succès et triomphèrent dans le monde entier. Mais le vérisme se voit détrôné par d'autres modes, d'autres écoles.  De tous les opéras de Mascagni, ne surnagera que Cavalleria Rusticana.

A cette œuvre est pratiquement toujours associée celle de Leoncavallo, Paillasse. Quand un théâtre lyrique se décide à monter une production de l'une, elle est dans 99 % des cas représentée avec l'autre, à tel point qu'on pourrait presque parler d'un diptyque, à l'instar du fameux Triptyque de Puccini. Un autre billet sera consacré à l'ouvrage de Leoncavallo.

Argument : La place publique d'un village sicilien, le jour de Pâques. Après un prélude joué à rideau fermé, un chœur de femmes chante la beauté de ce matin de Pâques. Santuzza, jeune paysanne, s'approche de la maison de Mamma Lucia et demande à voir son fils Turiddu qui a été son amant. Lucia lui répond qu'il est allé chercher du vin à Francofonte. Santuzza sait qu'il a été vu au village la nuit même. Entre Alfio, le charretier, suivi des villageois. Après avoir chanté les joies de son existence et vanté la beauté de Lola, sa femme, Alfio demande à Lucia s'il lui reste du vin. Elle répond que Turridu est allé en chercher à Francofonte. Surpris, Alfio affirme l'avoir vu non loin de chez lui le matin même et Santuzza empêche Lucia d'exprimer son étonnement. Dans l'église, on entonne un chant religieux : s'élève alors l'hymne de la Résurrection, conduit par Santuzza puis tous les villageois rentrent dans l'église.

Restée seule avec Santuzza, Lucia lui demande pourquoi elle lui a enjoint le silence après la remarque d'Alfio. Santuzza commence alors le récit qui va permettre de comprendre la situation : avant que Turridu ne parte pour l'armée, il était amoureux de Lola qui, lasse d'attendre son retour, a fini par épouser Alfio. Turridu, à son retour, a séduit Santuzza mais toujours attiré par les charmes de Lola, il profite des absences d'Alfio pour revoir son ancien amour.

Turridu apparaît. Santuzza lui reproche sa visite clandestine à Lola et son infidélité. La voix de Lola s'élève en coulisses : son chant est insouciant, léger, à l'image de son caractère, volage, égoïste et légèrement cruel. Elle entre, et se moque de Santuzza avant d'entrer dans l'église. Turridu s'apprête à la suivre mais Santuzza l'implore de rester avec elle. A l'issue d'une scène violente et très dramatique, Turridu la repousse et rejoint Lola dans l'église tandis que Santuzza appelle sur sa tête la malédiction.

Alfio arrive, il cherche Lola. En peu de mots, Santuzza lui révèle que sa femme l'a trompé avec Turridu. La réaction d'Alfio est violente, il jure de se venger. Les deux jeunes gens sortis, la place reste vide ; L'intermezzo musical qui suit rappelle les événements qui viennent d'avoir lieu et annonce la tragédie imminente. Sortant de l'église, Turridu invite ses amis à boire chez sa mère. Alfio les rejoint et refuse le verre que lui propose Turridu. Les femmes partent en emmenant Lola. Alfio provoque Turridu et les deux hommes se donnent l'accolade à la mode sicilienne. Ils conviennent d'un lieu de rendez-vous pour le duel au stylet.

Turridu adresse un adieu vibrant à sa mère et lui demande, s'il ne revenait pas, de prendre soin de Santuzza. Lucia ne comprend pas ce qui se passe et pleure. Santuzza la rejoint, folle d'angoisse. La foule se presse autour d'elles, il règne une atmosphère d'excitation tendue. Puis des voix s'élèvent dans le lointain, une femme crie « Hanno ammazzato compare Turridu ! » « Ils ont tué le voisin Turridu ! ». Santuzza s'effondre dans un cri de désespoir.

Photos des différentes productions de Cavalleria Rusticana : album photo n° 12

VIDEO 1 : Deuxième partie de la scène entre Turridu et Santuzza après la rentrée de Lola dans l'église : Placido Domingo et Fiorenza Cossoto, Tokyo 1976.

VIDEO 2 : Les adieux de Turridu et final de l'opéra - Gênes 2007.

 


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