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Ressuscité

Publié le 17 mars 2009 par Docrica

On monte dans le degré de complexité et de fragilité de l'état de santé de l'homme qui est mort 6 fois.

(J'avais participé à la prise en charge initiale, la « réanimation » lors de ce fameux, pour nous, et surtout pour lui, jour noir )

Vous ne pouvez imaginer la satisfaction qui vient du « plus profond de soi », lorsqu'on rencontre un patient qu'on a ramené de parmi les morts. Il vous parle, vous sourit , vient vous voir en consultation, vous parle de sa famille... ça c'est quand tout se passe bien. (Parfois les personnes que vous ramenez à la vie sont dans un tel état, qu'on se demande si on a bien fait de le faire... malheureusement, on ne peut pas trop prévoir l'état résultant d'une réanimation, et on extrêmement peu de temps pour réfléchir , quelques minutes, au plus ! )

Satisfaction d'autant plus grande, que ce n'est pas tout les jours que de tels évènements arrivent.

En 7 ans, c'est le seul encore vivant....

On n'est appelé, en médecine générale de campagne, que rarement sur les arrêts cardiorespiratoires, les arrêt cardiaques. Quand c'est le cas, c'est bien souvent pour nous demander... un certificat de décès (… de la paperasserie qui nécessite un très haut niveau de compétences diagnostiques et thérapeutiques (sic !) ).

En tant que médecin pompiers, j'en vois plus souvent que certains de mes confrères « non-pompiers ». Nous ne sommes que 4 médecin pompiers sur notre « caserne ». A ce « poste » , on est appelé par le SAMU (le plus souvent) ou le SDIS.

Approximativement - vu les faibles chiffres qui me concernent , et ils doivent être faux -, j'estime réanimer en moyenne... 2 à 3 fois par an. Sachant, que dans le meilleur de cas, les taux de succès de la réanimation est de l'ordre de 3-4%. (Après on peut avoir « de la chance », et réussir coup sur coup, plusieurs réanimations, ou « resuscitation » comme disent les anglais).

Une étude canadienne récente (2005) donne des chiffres avec/sans équipe d'urgence, et précise ce que nous savions déjà, l'élément le plus important dans la prise en charge initiale est la présence d'un témoin qui sache réaliser les gestes de premiers secours.

A postériori, lors de mes fonctions urgentiste/convoyeur / régulateur, la fréquence des arrêts cardiaques étaient parfois journalières. Les succès (et les échecs... ) étaient comparativement bien plus nombreux en terme de « vie humaine sauvée ».

Il est légitime, je pense, de se poser la question de la précision des gestes techniques chez un praticien ne les réalisant que 2 fois par an, voire moins.

Je ne peux que constater qu'une baisse de ma compétence dans le domaine (essentiellement acquise lors mes années samu, et entretenu par ma fonction de médecin-pompier). Les gestes réels se faisant beaucoup plus rare depuis mon installation. La formation sur mannequin a ses limites, et surtout un « coût » en terme de temps qui rend difficile la cohabitation de ses deux fonctions.

J'intubais il y a 10 ans, « les doigts dans le nez », ou presque les « yeux fermés ». C'est devenu aujourd'hui une difficulté systématique , avec des échecs.

Je plaçais des voies veineuses quelque soit l'état du malade, qu'il soit « bouffi », ou sec, avec veines visibles ou pas, palpables ou pas. Quand il le fallait, je plaçais des « voies centrales » (on va chercher des veines de plus gros calibre, dans le cou, ou autour des clavicules).

Depuis l'installation, plus une seule ! Ce n'est pas du matériel disponible dans les véhicules de secours des sapeurs pompiers. Se former ? La, c'est carrément inutile, puisque de toute manière , jamais plus, on ne placera de voie centrale de notre carrière.

La manipulation des « drogues » et des « protocoles » se faisaient de tête, avec un pense-bête dans la poche « au cas où ». Aujourd'hui, j'ai quasiment tout perdu … Les protocoles ont changés (j'ai appris récemment , lors de mon « dernier infarctus » que le nouveau protocole, c'est 4 comprimés de Plavix en phase aigue... suite à une étude chinoise ! ), leur utilisation est quasi inexistante en médecine de ville.

Il me reste, me semble-t-il , les compétences « diagnostiques » de ces situations à urgence, mais le coté « thérapeutique » en a sacrément pris un coup. C'est , on ne peut plus, regrettable !

A part revenir aux « urgences », ou partager mes fonctions entre l'hôpital ou le rural (quasiment impossible pour un médecin de campagne installé seul), je ne vois pas comment inverser la tendance.

J'ai par contre aujourd'hui, ce que je n'avais pas avant, cette satisfaction de pouvoir soigner, discuter, voir vivre un patient « ressuscité ». Mon rôle est alors de tenter de maintenir dans le meilleur état de santé possible ce patient.

Et c'est le cas pour ce patient qui est mort 6 fois: il habite seul dans sa maison, reçoit ses enfants, marche, rit et pleure. Il est quand même bien diminué, seul 1/3 de son cœur reste fonctionnel. Un petit écart de régime (un peu trop de sel par exemple) … et il se retrouve en Insuffisance cardiaque, gonfle comme une baudruche, et n'arrive presque plus à respirer. Ça fait la 3ième ou quatrième fois qu'il se retrouve aux urgences pour un tel motif.

Il prend une « dose de cheval » de diurétique, plus de 30 fois plus que ce qu'on donne en « routine ». Je vais le voir en visite régulièrement , toutes les semaines, ou tout les 15 jours, ça dépend de l'équilibre précaire de son état de santé.

C'est difficile car son état de santé est « sur le rasoir » en permanence, et nécessiterait une « attention hospitalière » qu'il est quasiment impossible de donner avec le rythme infernal de la médecine générale de campagne actuelle. Et « au pif »... il ne faut pas que je me trompe dans les délais que je lui impose quand « ça va moins bien ». Une faute à ce niveau là pouvant être mortelle et m'être reproché.

Ce problème est arrivé il y a quelques jours , un vendredi:

Lui: « Rica, ca fait plusieurs jours que je regonfle des mollets. La gène respiratoire se fait plus présente »

Moi: « Pire que la dernière fois ? »

Lui: « Non, mais... »

Moi: « Je suis au cabinet. Salle d'attente pleine.. je suis de garde ce soir. Augmentez le lasilix de 250mg, et si ca ne va pas mieux, rappelez moi et on verra ce qu'on fait »

Lui: « Ok, ½ comprimé de plus et on voit »

Quelques minutes plus tard, sa fille m'appelle.

Elle: « Il a fait un écart la semaine dernière, et c'est depuis qu'il a commencé à gonfler. Il faudrait l'hospitaliser »

Moi: « Je viens de l'avoir. On tente de monter le diurétique et si ca ne passe pas, on avisera. Je suis de garde cette nuit, et je consulte demain matin »

Elle ne fut pas convaincu. Aucun appel le concernant durant la nuit de garde, ni aucun appel durant la matinée de consultations qui a suivi.

J'ai appris le lundi par le confrère de garde le week-end, qu'il l'avait fait partir « vite » le samedi après midi car il « était plein de flotte jusqu'aux épaules »... (il avait sacrément décompenser son « oedeme du poumon »).


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