Il est vrai qu'il est dans un domaine où la crise se fait déjà assez fortement sentir et pour lequel la sortie du tunnel ne semble pas se profiler avant de longues et très pénibles années. Mais, et c'est ce qui est réellement intéressant, notre vitupérant témoin ne se focalise pas spécialement sur les problèmes de sa profession.
Comme on peut l'entendre, son courroux, très loin des saines colères pleines de ségolhaine, se résume essentiellement dans l'argument suivant:
En effet, pourquoi aider les institutions bancaires et leurs influents patrons qui, finalement, ne risquent rien, alors qu'en retour, l'argent du contribuable ne sert manifestement pas à l'aider, lui ?
Derrière cette question relativement simple se cachent en réalité deux éléments distincts. En outre, on le lira plus bas, on peut tirer d'intéressantes conclusions de l'analyse sur la façon dont est posée la question, dans ce petit moment de vérité croustillante qui fouette les sens comme rarement à la radio.
Deux éléments distincts, disais-je, se cachent donc derrière cette question apparemment simple :
- Pourquoi doit-on aider une institution plutôt qu'aider directement les contribuables ?
- Pourquoi doit-on aider les banques, en particulier, et les grosses entreprises plutôt que les petites ?
D'autre part, pourquoi aider d'abord les banques et pas les industriels ? Pourquoi aider les gros, et pas les petits ? Là encore, où est le gain ?
A la première question, on peut rapidement se rendre compte que l'utilisation d'un intermédiaire permet de centraliser l'aide. Centraliser l'aide, c'est très pratique quand on veut, par exemple, la compter, la répartir comme on veut ou se servir au passage. Sans intermédiaire centralisateur comme les banques, l'état a plus de mal à venir fourrer ses gros doigts avides dans la mécanique de l'entraide. Et sur le plan publicitaire, il devient alors très difficile de faire valoir l'importance de l'état lorsqu'on se rend compte qu'on se passe fort bien de ses services. A ce titre, le politicien n'aimera donc pas se passer des banques.
A la seconde question, on notera qu'aider de grosses institutions, de grosses entreprises, c'est assurer d'une façon claire la survie (même partielle, même illusoire, même temporaire, peu importe) de milliers d'emplois d'un coup. L'aspect totalement putatif de cette sauvegarde d'emplois ne permet guère de la publicité, mais la perte soudaine de 10.000 emplois dans un secteur donné, elle, est une contre-publicité catastrophique pour le politicien. Là encore, il aura donc tout intérêt à favoriser la partie émergée de l'iceberg plutôt que le travail de fond sur les petites entreprises, bien plus nombreuses : perdre trois emplois chez Duchmol Plomberie ne coûte, électoralement et au pire, que 3 voix. Perdre 10.000 emplois chez Société Générale ou chez Renault, c'est 1.000.000 de votes en moins.
Et voilà comment, par un effet d'un côté de publicité positive et de l'autre pour lutter contre une publicité négative, le système tout entier favorise la sauvegarde des banques, des gros, contre les contribuables et les petits...
Il est beau mon billet, hein ? Je l'ai imprimé moi-même !
Plus profondément encore et au-delà de ces aspects publicitaires, les politiciens font tout pour sauver "le système" : en fait, ils veulent sauver celui de la réserve fractionnaire, de banques centrales et de production monétaire contrôlée par l'état parce que c'est la source de leur pouvoir. La création monétaire à volonté, l'absence de lien avec un bien matériel comme l'or, c'est la corne d'abondance pour l'homme d'état : avec, il peut créer de la dette autant qu'il veut, puisqu'il la remboursera ... en monnaie de singe. D'où, d'ailleurs, le confortable paradigme keynésien d'une inflation entre 1 et 2%, rabotant tous les ans les paquets de dettes émises.
En face, le principe, tout à fait libéral-kasher, qui consiste à dire que "si c'est pourri, on laisse tomber" est naturellement réclamé par les gens de bon sens (dont notre tempétueux Christophe), parce que ce sont précisément ceux-là qui sont, de fait, dans la merde à cause des jeux malsains sur la monnaie, opérés par les banquiers centraux et les gouvernements.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, on a ici l'exemple caractéristique d'une colère directement dirigée contre un des éléments les plus importants de la politique étatique.
Le souci majeur de cette colère, c'est que cet individu ne sait pas exactement pourquoi il a raison : il sent intuitivement qu'il est anormal de sauver un gros bloc d'emplois comme BNP ou Renault et de laisser tomber des centaines de milliers d'emplois dans des petites structures. Mais serait-il vraiment prêt à voir s'effondrer le système de réserve fractionnaire, par exemple ? Comprendra-t-il que sa garantie de retraite puisse disparaître, puisque elle est en grande partie couverte par une cavalerie étatique possible justement grâce à ce système assis sur les dettes ? Serait-il prêt à renoncer aux solidarités imposées de l'état, solidarités exorbitantes justement financées par ces jeux d'écritures subtiles dont on a bien sagement tenu le citoyen à l'écart ?
Pas sûr. Tellement peu sûr, qu'en pratique, cette colère, aussi puissante soit-elle, risque de se terminer en cri impuissant devant la déferlante de moraline qu'on va nous imposer. Finalement, la colère est la bonne, les demandes sont de bon sens, mais la compréhension ne semble pas là, l'information ne passe pas, et l'action sera, elle, l'opposée de celle qu'on braille vouloir. La conclusion saute aux yeux.
Ce pays est foutu.