Majeure, elle peut donc théoriquement voter, conduire une automobile, voyager seule dans le monde, se marier, faire des enfants... et puis dire merde à ses parents lorsqu'ils s'évertueront à lui réclamer ses résultats scolaires, contrôleront ses sorties et veilleront à ce qu'elle ait une vie saine, équilibrée, adaptée à son statut de future étudiante.
Mais Félicie ne dira pas merde à ses parents dans la mesure où Félicie a des parents giga sympas qu'elle adore et qu'elle ne sait plus comment glorifier tant ils ont bien pris soin d'elle.
Il y a quelques mois, elle les remerciait même de l'avoir emmené sur cette île du bout du monde et de lui avoir permis de vivre "la plus belle expérience de sa vie".
Ici, en Islande, Félicie a parfaitement réussi son intégration.
Sa force de caractère et son enthousiasme l’ont sans aucun doute aidé à y parvenir.
Trois ans auparavant, en Bretagne, elle faisait pourtant vivre à ses parents les joies non partagées de l’adolescence.
La « crise d’ado ». Agrémentée de cris, de larmes et de réconciliations.
Mais surtout de cris et de larmes en fait.
Aujourd’hui, enfin, pour la plus grande joie de Valérie en particulier, Félicie a trouvé peu à peu le chemin de la sérénité, pour ne pas dire de la sagesse.
Tu sais papa, je me sens bien.A-t-elle un jour proclamé.
Je suis en accord avec moi-même !
C’est le genre de déclaration dont nous ne savons pas trop si nous devons la considérer comme le témoignage d’une éducation plutôt réussie ou pour la simple manifestation d’un reste d’égocentrisme adolescent parfaitement assumé.
Cette propension naturelle à l’autosatisfaction fait d’ailleurs encore l’objet de commentaires réguliers de la part de Valérie, qui souhaite que Félicie s’intéresse précisément un peu à autre chose qu’à elle-même. Et il faut reconnaître que les centres d’intérêt de Félicie sont assez exclusivement tournés vers… Félicie.
Mais que pouvons-nous raisonnablement attendre d’une ado de 18 ans ? Qu’elle rêve d’embrasser la carrière d’une Sœur Emmanuelle ? Qu’elle disserte quotidiennement sur les combats à mener contre la faim dans le monde ?
Félicie a un caractère de cochon, se montre parfois un peu fumiste à la maison, baratine de temps en temps, se révèle exigeante avec sa sœur Louise, mais elle est une fille bien. Honnête, pour ne pas dire intègre, fidèle en amitié, bosseuse quand elle comprend et accepte les enjeux, dotée d’un grand sens de l’humour et surtout douée pour le bonheur. Amoureuse de la vie. S’il y a bien une constante chez Félicie, c’est cette capacité à jouir de l’existence. Cette aptitude à s’approprier et à faire fructifier tous les instants, tous les moments riches de plaisirs, d’émotions, de partage que procure la vie. Comme si le fait d’avoir failli la perdre à l’âge d’un mois, d’un malaise vagal (plus couramment appelée « mort subite du nourrisson »), l’avait marquée du sceau indélébile d’un enthousiasme forcené. Sauvée par Valérie qui pratiqua la respiration artificielle sur cette poupée inerte et violette de 3 kilos à peine, à la sortie d’un bain, sans doute un peu trop chaud.
Un bouche-à-bouche d’amour et de vie. La vitalité maternelle ne lui a-t-elle pas été transmise ce soir-là, à mesure que Valérie vidait ses poumons pour remplir les siens ? La première n’a-t-elle pas abandonné un peu de son énergie et de sa force pour en faire don à la seconde ? Comme si, bien plus que l’air offert, ce fût l’essence de la vie qui passa d’une bouche à l’autre. Félicie gagnait son visa pour le bonheur quand sa maman perdait les illusions de l’enfance et apprenait l’angoisse d’être mère.
A compter de ce jour, Félicie est devenu la petite fille joyeuse qu’elle est encore aujourd'hui.
Désormais, l'une des préoccupations importantes de Félicie, c'est son allure. Ainsi, parce qu’elle a constaté avec dépit que le blond est aux crânes féminins autochtones ce que le noir est aux journées islandaises, elle a décidé de teindre ses cheveux en brun. Malgré les hésitations de son père qui perdait, l’un après l’autre, chacun de ses repères, l’ardent désir de différenciation de Félicie a été le plus fort.
Sa silhouette aussi, est l’objet d’attentions particulières. Ni obésité, ni même surpoids. Mais avec ses 52 à 53 kilos pour 1,60 mètres, elle regrette parfois de ne pas ressembler aux mannequins des magazines. Elle se trouve un peu trop ronde. La difficulté consiste donc pour elle à concilier une gourmandise assumée avec un régime adapté. Et cette traversée du dessert n’est pas du goût de Félicie, qui préfèrerait donner libre cours à ses envies de gastronome tout en évitant de prendre les kilos qu’engendrent parfois ces envies-là. Lécher le fonds du plat, en préservant ses formes. C’est toute la gageure de l’exercice. Elle y parvient. Parfois.
Bref.
Nous avons en définitive une chouette fille de 18 ans, parée pour démarrer sa nouvelle vie.
Rendez-vous dans 3 ans pour la seconde, 6 ans pour la suivante et 9 ans pour le dernier.
Encore un peu de boulot en perspective.