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Assedic - Coupable De Démission.

Par Mélina Loupia
La dernière fois que j’ai pénétré l’institution, je me rappelle avoir été accueillie fort aimablement. Mon interlocutrice, malgré un physique de mère supérieure avec un string sous la soutane, m’avait tendue la main, désignée la chaise et m’avait priée de me détendre et de tout me raconter. « On est là pour vous aider, n’hésitez pas à tout nous dire sur votre parcours, comment s’est comporté votre dernier employeurs, comment avez-vous vécu vos 17 CDD, ça vous a plus de remplacer le chef de caisse pour le même tarif ? »   Je me rappelle aussi avoir patienté fort longtemps, suffisamment pour visiter les lieux rénovés de frais, et lire la totalité des brochures destinées à rassurer le chercheur d’emploi. Même je me suis offert un petit pipi, suivi de près par un gros caca. Mais j’avais compris ce délai d’attente, j’avais moi-même passé plus d’une heure dans le confessionnal.   Je me rappelle avoir quitté les lieux regonflée à bloc, avec mon super dossier en papier glacé flambant neuf, rempli de petites pochettes rigolotes et acidulées, contenant le sésame pour un nouvel emploi dont on m’avait dit que je ne tarderai pas à le trouver, avec mon parcours et l’assistance offerte. En plus, la petite cerise sur le gâteau, j’avais été tellement sage que j’avais droit à de l’argent de poche.   C’est donc dans cet état d’esprit que j’ai enfin décidé de me réinscrire au casting de la saison 2007, motivée par mes chers, dont une à laquelle j’avais promis de partager des petites bulles de Champagne en cas de sélection à la finale.   Tranquille comme sous camomille, j’utilise le 5ème pouvoir pour remplir le formulaire électronique destiné à la réinscription.   C’est là que tout est devenu comme un peu amer.   Premièrement, je constate après avoir retourné mes placards pour retrouver le papier décoré de ronds de café sur lequel figuraient mon identifiant et mot de passe, que le site de l’assurance chômage était sans nouvelles de moi depuis la fin 2006. Je suis un peu vexée qu’elle n’ait pas cherché à savoir comment j’allais, mais je me dis que forcément, il devait y avoir eu confusion épistolaire.   Et puis je tombe sur deux courriers, de la crèmerie partenaire, l’ANPE, qui fait suite à mon inscription précédente, et m’ordonne de me rendre dans ses murs, afin de me trouver un travail. Flattée de voir qu’autant de monde que je ne connais pas se soucier de mon devenir, je déchante rapidement quand je lis sur un autre papier post daté qui lui stipule que j’ai posé un lapin et que j’avais pas un mot de ma mère, en conséquence de quoi, j’étais punie, interdite de séjour pendant deux mois. La relance ne s’est pas faite attendre, en temps et en heure, et sans aucune forme de procès, me voilà radiée définitivement et simultanément de ceux qui m’avaient, peu de temps auparavant, offert un toit, un banc, un coin dans l’étable.   Certes, depuis la première entrevue sanctionnée par une aide et un don financier, les temps ont changé, j’ai, pour les raisons que je vais expliquer tout à l’heure, manqué à quelques devoirs dont j’allais payer le prix aujourd’hui. Mais qu’importe, qui ne tente rien n’a rien, faut bien cotiser quelque part et pour quelqu’un, même si ça n’était pas moi. (Ni chômeuse, ni retraitée, me tarde d’être l’un ou l’autre, voire les deux, vue la tendance actuelle…)   De clic en clic, de période en période, d’état civil en état civil, de plantage en encombrement, j’apprends que je suis attendue cinq jours plus tard, à l’heure de la pause café de ceux qui travaillent plus pour gagner autant qu’avant, les impôts en plus, le tout en se levant tôt, histoire de s’approprier l’avenir.   Et je vois, avant de quitter mon espace personnalisé, qu’il est possible de tirer des plans sur la comète et de simuler. Comme je suis une fille, je simule. Quelques indiscrétions plus tard faisant appel à mes plus lointains souvenirs, je simule tellement bien qu’on me laisse supposer une récompense équivalente à 75% de mon ancien salaire brut, sur une durée de tout de même 23 mois, mais à moi de faire mes preuves dans la pratique, ceci n’est qu’une estimation, normal, ils ne se souviennent plus de moi et donc ne me connaissent pas, d’autant plus que j’ai pas été aussi sage qu’il y a quelques années. Et ça, ils le savent pas. Mais j’étais sûre qu’ils allaient comprendre mes attitudes et en tenir compte pour ajuster au mieux la simulation à la réalité.   Me voilà donc à l’aube de ce grand jour, assise par terre, à trier et tenter de rassembler les pièces justificatives de mon passé de laborieuse employée, entre certificats de travail, solde de tout compte, attestations diverses, séance d’épilation du mollet droit inopinée et confection de yaourt à la cassonade.   Trois heures d’un sommeil serein plus tard, je confie la maisonnée à mes deux aînés, charge Copilote d’accompagner le benjamin pour sa rentrée anticipée, marche dans la bouse d’Agrippine sur le paillasson de l’entrée, insulte le mammifère au fragile transit, claque la porte et descends chez maman. Maman, est, entre autres missions, mon chauffeur attitré lorsque je dois faire face à une situation de stress intense, provoquant chez moi la furieuse envie de me cacher sous le lit. On partage un café avec ma grand-mère et le gynécée se vide.   Je redécouvre avec plaisir le siège carcassonnais (ça m’a échappé), que dis-je le palais public de l’aide, du bon droit pour le retour à l’emploi.   Je suis accueillie rapidement par l’agent d’accueil du jour, fort charmant au demeurant. Grand, élégant, du beau bleu dans les yeux et le cheveu en bataille. Sa cabine exhalait le musc discret de sa fragrance et sa mobilité dans cet espace réduit démontrait qu’il n’était pas là pour se faire traiter de fonctionnaire.   Il me prie de bien vouloir patienter à l’espace vidéo, après quoi on viendrait me chercher. Chic, un film ! En effet, en boucle, et ambiance sonore digne des plus grandes salles de cinéma m’attendaient, même le siège était confortable. Au moment où je m’apprêtais à demander des pop corn à l’ouvreuse, c’est l’agent d’accueil en personne qui me tend mon ticket, soit le suivant d’après le tableau d’affichage électronique. A peine le temps de connaître par cœur les droits, et les obligations du parfait chômeur et voilà que du haut de l’escalier, j’entends mon nom. Légère et court vêtue pour la saison, je monte les marches quatre à quatre et tombe nez à nez avec  le garant de mon avenir que j’espérais serein.   « Bonjour madame. -Bonjour ! » Et je lui tends la main, comme maman m’a toujours dit de faire. Il cherche la sienne et me la serre mollement. Il a les mains moites, ça sent l’écurie. Il me montre une chaise métallique et se plonge dans son ordinateur. « Une pièce d’identité en cours de validité s’il vous plait. -Voilà. » Je lui propose mon permis de conduire, ma carte d’identité datant elle de 1986 et je doutais qu’il ne trouve la plaisanterie à son goût. « Non mais il me faut la carte d’identité. -Elle est en cours d’actualisation. » Je ne mens pas, elle est réellement en cours d’actualisation. Dans le tiroir de mon bureau. Depuis 2006. « Bon, le livret de famille alors, vous nous la ferez parvenir dès que possible, ça peut remettre en cours votre inscription. -Ma réinscription. -Pareil, pour nous c’est pareil, bon, alors on va faire le point. » Cette façon qu’il avait de ne pas se mouiller en parlant au pluriel termine de me retrancher dans ma réserve naturellement timide. Je ne suis plus du tout sereine. « Bon alors, je vois inscription, radiation, réinscription, radiation encore… -Oui, il semblerait que l’ANPE et moi nous soyons mal compris… -ça, c’est pas notre problème, à voir avec l’ANPE. -Bien. -Bon alors je continue, d’après la dernière attestation Assedic, je vois démission. -Oui, mais je tiens à dire autre chose au sujet de l’employeur en question… -ça non plus, ce n’est pas notre problème, bon, et avant lui ? -Celui-là. -Ok, démission… -… -Et le dernier, démission, tiens, pour revenir avec l’ancien patron… -Oui, le précédent était trop loin. -Ah, oui, en effet, je vois où vous habitez, ça fait beaucoup de trajet ça. Et dans votre coin, c’est agricole non, donc y a rien, et votre mari, il travaille sur place ? -Non, il travaille juste à côté de chez vous. -Et lui ça lui pose pas de problème ? -Disons qu’il n’a pas le choix. -Donc bon, démissions sur démissions, et en plus, vous attendez un an avant de venir nous voir ? -Entre les courriers qui se sont croisés, l’arrêt maladie et les séances chez le psy, j’ai laissé passer le temps et n’ai plus eu le courage d’actualiser ma situation. -Ah ça, nous, tant qu’on a pas une plainte déposée auprès du Procureur de la République, on peut pas en tenir compte pour une éventuelle indemnisation. Nous, dès qu’on voit démission, on se pose pas de question, on met le code, on envoie et voilà. Nous sommes une assurance contre la perte de l’emploi involontaire. Dès l’instant que vous avez démissionné, c’est volontaire. Dans tous les cas, le fait que vous m’apportiez tous ces documents ne changera rien à votre situation. Là, je vous imprime le formulaire –codé par des lettres que je ne me rappelle plus mais qui ne me parlent pas, et je pense qu’il est content de lui là-, grâce auquel vous allez pouvoir nous prouver, dans les 4 mois qui ont suivi votre démission, que vous avez cherché activement un emploi, après quoi nous transmettrons à la commission qui statuera sur votre cas. Mais je vous préviens, c’est aléatoire, autant celui qui aura répondu à 150 offres ou obtenu 40 entretiens d’embauche ne sera pas indemnisé, autant vous, si vous nous fournissez 2 recherches, on pourra vous attribuer une allocation. -… » Je me rappelle que j’avais tenté de lui expliquer que j’étais paumée, ce à quoi il m’avait répondu en substance qu’il était là pour tenter de comprendre et de faire le point. Celle là de réplique, il la tenait bien. « Je vous remets également la convocation de l’ANPE, mardi prochain, pour vous aider à entamer une procédure de retour à l’emploi. Vous savez, ANPE, Assedic, tous ces rendez-vous sont obligatoires, il faut vous y rendre. » Il se lève, je l’imite, je comprends que c’est la fin du spectacle. Je rassemble mes affaires éparpillées sur son espace de travail, et ce coup-ci, c’est lui qui me tend sa main. « J’espère vous avoir éclairée. -Sans aucun doute, au revoir. »   La descente de l’escalier a été lente. Au passage devant l’accueil, j’ai affiché mon sourire léger pour prendre congé de l’agent, qui a interrompu son dialogue pour me saluer. Je suis sortie dans le vent frais. Mon téléphone a sonné, appelant inconnu, je n’ai pas répondu. Ma mère a immédiatement compris la situation. « Tu veux quand-même aller dans les librairies pour proposer ton livre et faire quelques courses ? -… -On rentre. »   Elle m’a laissée chez moi, mes petits étaient déjà chez elle en train d’engloutir un plat de spaghettis et n’avaient aucune idée de ce qui venait de se passer. Je suis rentrée chez moi, après avoir récupéré un énième courrier de mon banquier qui lui aussi, visiblement, semblait vouloir jouer les moralisateurs sur mon inactivité « volontaire ». J’ai jeté mon sac en toile contre le mur, balancé mes chaussures dans la salle à manger, fait voler mon nouveau dossier tout neuf sur la table et ai cette fois-ci répondu à cet appelant inconnu qui visiblement cherchait à me joindre. « J’ai votre livret de famille. -Ah, j’avais pas fait attention. Vous fermez entre midi et deux ? -Nous rouvrons à 13h. -Bon, je peux vous envoyer mon mari, disons que ça m’enchante que très moyennement de faire un aller-retour supplémentaire. -Oh je vous comprends, il pourra le récupérer sans problème à l’accueil. -Au revoir. -Bonne journée ! »   Il me comprend. Il me souhaite une bonne journée.   Et si j’avais pris sur moi et avais décidé de tout lui expliquer, comme sa prédécesseur quelques années auparavant, m’avait invitée à le faire ? M’aurait-il comprise plus tôt ?   Si je lui avais expliqué que la première démission, elle était motivée par une proposition de CDI ? Si je lui avais expliqué que la seconde avait fait suite à 4 mois d’esclavagisme, de tâches de travail incompatibles avec ma formation, comme se servir d’un engin motorisé sans en posséder le permis, établir des devis d’installation électrique dont je n’avais que de vagues notions, traiter avec les commerciaux, passer des fax, accueillir le client, remplacer le chef de rayon pendant ses congés, me conduisant tout simplement à la fatigue et au surmenage ? M’aurait-il comprise ? Si je lui avais expliqué que j’étais allée en discuter avec mon patron et que celui-ci, dans son charmant flegme, m’avait invitée à prendre la porte, dans la mesure où ce que je faisais au sein de l’entreprise était compris dans les termes de mon contrat et que si j’estimais que c’était trop, je serais remplacée dans la minute ? M’aurait-il comprise ? Si je lui avais expliquée alors qu’à l’époque toujours en contact avec la chef de caisse de mon emploi précédent, celle-ci m’avait proposée de me réintégrer pour la remplacer durant son congé parental de trois ans ? M’aurait-il comprise ? Si je lui avais expliqué que dans la réalité, avant d’avoir entre les mains ce fameux contrat de remplacement, que je n’ai JAMAIS signé, deux autres m’ont été proposés ? Si je lui avais expliqué qu’entre temps, j’ai fait du ménage, de l’accueil clientèle, de la promotion de cartes de fidélités, de l’assistance quotidienne dans le comptage des caisses, pour finir au département gestion, comptabilité de base, prise des commandes des différents rayons en temps record, création et gestion des affiches promotionnelles, du standard téléphonique, de la saisie, du rapprochement bancaire, entre deux prises de poste de caisse dans les coups de feu, tout ça sans avenant au contrat, avec une demi-journée supplémentaire non payée à ce jour et avec la jalousie, la rancœur et les réflexions si peu discrètes de mes « collègues », sans passer par les avertissements sur mes non-compétences de la part du P.D.G de l’entreprise, m’aurait-il comprise ? Si je lui avais expliqué que lors d’un premier arrêt maladie de 8 jours, la chef de caisse avait pris un ton beaucoup moins enjoué pour me proposer un chantage selon lequel ou je retournais en caisse, ou je démissionnais, m’aurait-il comprise ? Si je lui avais expliqué qu’ayant cédé à cette pression, j’étais retournée à ma caisse en ayant été priée de prendre le tout avec le sourire, mais de rester cependant disponible pour les tâches dont on m’avait reprochée d’être incompétente, m’aurait-il comprise ? Si je lui avais expliqué qu’un samedi matin, avant que je parte au travail en chantant, mon médecin m’avait interdit de prendre le volant et m’avait immédiatement mis sous antidépresseurs et envoyée chez le psy, m’aurait-il comprise ? Si je lui avais expliqué encore bien d’autres secrets de polichinelles venant de la part de l’Inspection du Travail, qui reconnaissait l’abus et dénonçait les conditions de mon embauche, me précisant que sans le savoir j’était en CDI et qu’on se gardait bien de me le dire, mais qu’il me serait bien difficile d’obtenir gain de cause et que j’étais bien trop fragile, seule, face à cet employeur, m’aurait-il comprise ?   En gros, aurait-il compris qu’en fait de démission, il s’agissait tout simplement de choix ultime pour me préserver, quitte à devoir bouffer des nouilles toute l’année, ne plus pouvoir conduire Cariolette ailleurs qu’aux alentours de ma campagne chérie, étant dans l’impossibilité financière de la passer au contrôle technique, ne plus pouvoir cacher nos ennuis financiers aux enfants, pour justifier que les Noëls allaient être désormais moins rigolos, qu’aucune activité extra scolaire ne serait possible et qu’il fallait éteindre la lumière en quittant la cuisine, quitte à y retourner 5 minutes après ? En gros, aurait-il compris que je ne pourrai pas une fois de plus, obliger ma mère à m’accompagner ou me prêter sa voiture pour aller aux convocations de l’ANPE ou autres pour à nouveau, me faire sermonner sur le fait que j’habite trop loin, que je devrais déménager de la maison dont je suis encore propriétaire, que les revenus du ménage étaient largement trop élevés pour que j’aie droit à une indemnité de mobilité ou quelque autre allocation que ce soit, et qu’à moins de quitter mon mari, de maltraiter mes enfants, je ne pourrais jamais être aidée ?   J’en doute. Mais là, au téléphone, il me comprend et me souhaite une bonne journée. Alors les convocations, je ne m’y rendrai pas. Je ne répondrai certainement pas aux sommations précédant mon exécution. Je serai à nouveau inexistante, mais on me foutra la paix, j’éviterai d’être à nouveau jugée.   J’étais déjà regardée de travers, suspectée de glandage actif en ma qualité de mère au foyer, voici maintenant que ces grandes maisons, partenaires de l’avenir du chômeur,  dont l’ASSEDIC, me désignent coupable de démission.

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