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Médecin De Campagne.

Publié le 21 mars 2009 par Mélina Loupia
Parfois, à la télé, on survole plus ou moins des reportages de société au coeur de la France profonde.

Le bobo est rassuré, le peuple est ravi.

Quand c'est pas le coiffeur à domicile, c'est le facteur ou le boulanger ambulant qui vient apporter son lot de présence humaine, de pain quotidien, de courrier ou de mise en plis.

Le scénario est toujours le même, caméra embarquée à la place du mot, gros plan sur la mine concentrée mais résignée du visiteur, qui "fait le même trajet tous les jours, connaît la route sur le bout des pédales, changerait sa place pour rien au monde, est conscient d'être attendu comme le Messie dans les foyers, et considère qu'il n'y a pas que le métier, que la vocation et l'amour de l'humain aide à compenser la difficulté des trajets, des intempéries et de la vie privée inexistante." Sur quoi on roule sur une ornière, pile devant un troupeau de moutons ou se fait agresser par le Saint Bernard à l'entrée de la ferme.

On entre sans frapper, on fait sa petite affaire, et on repart après le petit café réchauffé sur la plaque du poële à bois, la fine servie dans un dé à coudre sur le bord de la table recouverte d'une toile cirée de la Libération, quand c'est pas avec une poule ou quelques oeufs dans la sacoche.

Et on reprend la route jusqu'à la prochaine famille à visiter.

"On fait le bien aux gens, on soigne les âmes, on tient compagnie, nous autres, on a pas le droit d'être malade, en panne ou en vacances."

En rase campagne, le docteur, c'est le chef de famille.
Il prend souvent la relève de son père et ainsi, souvent, il soigne les enfants des parents qu'il a vu naître.
On l'accueille comme un membre de la tribu, tout en sachant qu'il n'a pas que nous dans sa vie.

On prend pas vraiment rendez-vous.
Il le sait, c'est la donne par chez nous.

Dans chaque village, il a un patient référent, celui qui, toute la semaine, note qu'il doit passer chez untel puis à côté ou en dessus.
Le médecin prend acte rapidement.
Il part au petit matin avec quelques familles à visiter, prenant en compte qu'une fois sur place, sa voiture garée remuera une vieille douleur, un renouvellement de précaution, une occasion que les petits-enfants sont là ou qu'une urgence peut s'imiscer dans l'agenda pourtant vide.

Il le sait.
Il prévoit machinalement.

Alors on sait qu'il doit passer, mais pas quand.
Juste nous autres, on se lève tôt, des fois qu'on soit les premiers sur le trajet de sa tournée.
On en veut pas au patient précédent, peut-être que la prochaine fois, c'est nous qui passerons avant lui.

Ce matin, la tournée commençait par chez moi.
Une prise de sang à faire sur le moyen.
Quand il est arrivé, j'ai entendu ses roues écraser le gravier, la portière avant s'ouvrir, se refermer, l'arrière s'ouvrir, se refermer et enfin ma porte s'ouvrir et se refermer.

Pendant qu'il vidait mon enfant de tout le sang de son petit bras, il expliquait au dernier pourquoi plusieurs tubes, pourquoi le garrot et qu'est-ce qu'on allait trouver dans son sang.

Le grand a émergé dans un grand fracas d'éternuements, comme si un rangée de cyprès funèbres avait poussé dans le couloir.
Forcément, le docteur, il l'a ausculté.
Puis le dernier s'est mis à toussoter.
"Il tousse comme ça depuis longtemps?
-Quelques jours."
Forcément, il n'a pas rangé son stéthoscope, il était encore tout chaud de la poitrine de mon grand.

Ainsi, entre explications, petites blagues et rédaction d'ordonnance, 1 heure est passée lorsqu'il a été temps de prendre congé.
"Je descends voir le reste de la tribu, et notamment le responsable de tout ça, ton grand-père.
-Ah, j'allais oublier, il me semble que ma soeur a le petit qui tousse comme un camion, hier soit, il avait de la fièvre.
-Elle est chez elle, ou chez tes parents?
-Bougez pas, j'appelle."

Ma soeur attendait chez mes grands-parents avec son petit bout tout amorphe dans les bras.
Au moins, le docteur aurait pas à traverser à nouveau le village pour l'ausculter.
Il prendrait d'abord en charge le doyen puis le benjamin de la tribu.

Ici, c'est comme ça, le médecin de campagne dont on a tendance à souvent mettre en balance les compétences, nous autres, on préfère l'appeler le médecin de famille, du médecin référent, on a pas attendu la campagne de communication aberrante de la CNAM pour lui attribuer ce titre péjoratif, mercantile et désobligeant.
Quand il vient par chez nous, il vient CHEZ nous, depuis toujours, du premier au dernier atome, de la racine à la pousse.

Tant et si bien qu'on se demande finalement qui du docteur ou de la famille a le plus besoin de voir l'autre, une fois par semaine.


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