Il est un désir qu’on ne peut pas ne pas avoir et qui pourtant n’est pas un besoin. Quelque chose qui est nécessaire sans être corporel, un impératif non physiologique. Une exigence qui à strictement parler n’est ni un désir substituable, ni un besoin animal. Cette exigence est peut-être la marque distinctive de l’homme.
L’homme n’est pas un vivant comme un autre, car il ne souhaite pas seulement de vivre mais de bien vivre. Il n’a pas seulement besoin de satisfaire ses besoins, mais besoin de bien les satisfaire. Au cœur de l’existence humaine il y a cette exigence d’un bien, l’existence d’une norme mystérieuse qui dépasse le simple appétit de vivre ou l’instinct animal de conserver sa vie. On ne pourrait pas souhaiter de vivre, disait Aristote, pour le seul plaisir de dormir ou de se nourrir. Notre vie est normée par l’exigence du bien, finalisée par elle, tendue vers elle. Qu’est-ce que ce « bien » ?
Cette idée est irréductible au goût des plaisirs, car n’importe quel plaisir, rejeté ou pris, est encore soumis à cette idée, relatif à elle, estimé par rapport à elle. Ainsi règne-t-elle sur la vie de l’ascète comme sur celle du libertin. C’est en son nom qu’on refuse les plaisirs ou qu’on s’y livre. Elle reste prescriptive jusque dans l’activité licencieuse, assumée ou honteuse.
Cette idée d’un bien supérieur est mystérieuse, car on ne sait d’où elle vient quoiqu’elle s’impose immanquablement comme fin ; à la fois immanente et transcendante, déterminante et indéterminée. C’est ce que Platon appelle une Idée, Kant un impératif, Nietzsche une valeur. Pour le premier elle existe à part de l’homme ; pour le second elle dérive de l’imagination ou de la raison ; pour le troisième enfin elle émane de la situation pulsionnelle de chacun…