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Le malheur des uns… (gballand)

Publié le 22 mars 2009 par Mbbs

« Faites vous-même votre malheur, téléphonez au 02 75 25 88 34  »
Il avait lu cette annonce dans Libération, et il avait téléphoné immédiatement. Sans doute fallait-il être un peu fou pour téléphoner, ça tombait bien, il l’était. La première fois qu’il avait appelé, personne n’avait répondu, la deuxième non plus. Ce n’est que la dixième fois qu’une voix de femme lui avait confirmé qu’il était bien chez la personne qui avait passé l’annonce.
- Vous voulez donc faire votre malheur ? S’enquit la voix.
- Oui.
- Pourquoi ?
Sa question l’avait un peu déstabilisé. Il pensait qu’il aurait tout de suite pu faire son malheur, sans avoir d’explication à fournir.
- Je n’ai pas envie de vous répondre.
- Alors je ne peux pas accéder à votre requête.
- Mais pourquoi toutes ses questions ? Insista-t-il énervé.
- Pour savoir si vous êtes apte à faire le saut. D’ailleurs il vaudrait mieux qu’on se voit. Je procède toujours ainsi avant de signer le contrat.
La voix était agréable, ferme, grave quoiqu’un peu voilée. Il se laissa convaincre et  rendez-vous fut fixé le lendemain, à la coupole. Elle avait dit qu’elle aurait un chapeau noir à voilette et qu’il ne pourrait la manquer.
Elle était installée près d’une large baie vitrée, habillée de noir. Ses mains arboraient d’étranges mitaines à dentelle et il se dit qu’elle en faisait peut-être un peu trop.
- Bonjour, dit-il en se plaçant devant elle, c’est moi qui vous ai téléphoné hier pour l’annonce.
Elle le regarda derrière sa voilette, puis elle souleva le tulle. Quand il découvrit son visage, il en eut le souffle coupé. Elle remit immédiatement sa voilette en place, comme si trop de choses avaient déjà été découvertes. Il finit par dire, la voix tremblante.
- Alors c’est toi !
- Alors c’est moi. Je me disais que cette annonce te ferait peut-être sortir de ta tanière.
- C’est réussi.
- Tu m’en veux ?
- A ton avis ?
Elle était devant lui et il aurait préféré l’oublier. Comment avait-elle su qu’il répondrait à cette annonce ? En deux ans, elle n’avait pas changé.
- Eh bien assieds-toi. Ne reste pas là, planté !
Il regarda la chaise qu’elle lui désignait, puis finit par s’asseoir sur le bord, prêt à s’enfuir au premier danger.
- Tu chasses les déprimés ? Lui dit-il enfin.
- Appelle ça comme tu veux.
- Beaucoup d’appels ?
- Toi et quatre autres. Je t’ai donné la préférence. Je verrai les autres après.
- Et que comptes-tu faire ?
- J’écris un livre, et plus si affinités.
Il la regarda sans comprendre, comme un enfant perdu.
-  Un livre sur quoi ?
- Je te laisse deviner.
Il préféra éluder la question.
- Tu n’as pas perdu ton talent de mise en scène.
Elle sourit et remonta sa voilette qui fit sortir de l’ombre son nez droit et ses yeux clairs.
- J’ai fait des études pour ça.
Il se souvint qu’elle avait suivi un cours de théâtre et qu’un temps, elle s’était dédié à la mise en scène dans un théâtre parisien.
- Tu as l’air contente de toi, semble-t-il ?
- Peut-être. Et toi ?
Ce « Et toi ? », prononcé sur un ton léger fut de trop, elle l’avait mal joué. Elle s’en rendit compte, mais une fraction de seconde trop tard. Il se pencha vers elle, la gifla, et se leva. Juste avant de partir, il lui asséna d’une voix tranchante.
- Ça ne te pas suffit de m’avoir conduit au suicide, il t’en faut d’autres ?
Cette fois-ci il marquait un point. A toute chose, malheur est bon, pensa-t-elle. Elle se souvint qu’elle avait rendez-vous avec son deuxième client à 11 h 00, il était temps de partir. Avec lui, elle avait déjà trop joué.


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