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L’épître aux Corinthians

Publié le 22 mars 2009 par Boustoune


Une famille brésilienne
, le nouveau film de Walter Salles et Daniela Thomas s’inscrit dans la lignée de leur Central do Brasil, le film qui les a fait accéder à la notoriété internationale. Il s’agit d’une chronique sociale réaliste, qui dépeint le quotidien d’une famille modeste, habitant les quartiers pauvres de Sao Paulo.
Cleuza, la mère, est femme de ménage. Elle s’occupe seule de ses quatre enfants et est enceinte d’un cinquième. Tous sont issus de pères différents, amants de passage. Chacun des quatre fils personnifie l’une des options qui s’offre à un jeune brésilien défavorisé pour garantir son avenir dans une métropole qui compte pas moins de vingt millions d’habitants.
Dinho, le cadet, sage et raisonné, a intégré une communauté évangéliste. Son ambition est de devenir prêtre et d’aider son prochain.
L’aîné, Denis, est au contraire attiré par l’ombre, et la tentation de recourir à la délinquance pour augmenter son train de vie. Une nécessité pour ce jeune homme déjà père de famille, qui n’arrive pas à s’en sortir avec son modeste salaire de coursier.
Le troisième, Dario rêve de devenir footballeur professionnel. Il a du talent, mais d’autres en ont tout autant, et sont plus jeunes que lui. Pour avoir la chance d’intégrer le club pro de la ville, les Corinthians de Sao Paulo, il faut dénicher assez d’argent pour verser des pots-de-vin à des intermédiaires et aux entraîneurs.
Enfin, Reginaldo, le benjamin, ne pense pas trop à l’avenir et est plutôt tourné vers le passé, à la recherche de ses racines. Ce doux rêveur emprunte assidument les lignes de transports en commun de la ville dans l’espoir d’y croiser le père qu’il n’a jamais connu, et dont il sait juste la profession : conducteur de bus.
Quatre destins entrecroisés, quatre portraits complémentaires d’une jeunesse ballotée entre rêves et désillusions…
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Le scénario, qui insiste sur cette famille pour mieux symboliser des milliers d’autres brésiliens, tout aussi démunis et déboussolés, pourrait facilement tomber dans le mélodrame larmoyant et laisser entrevoir le côté artificiel de son dispositif.
Il n’en est rien, heureusement. Les deux cinéastes ont de l’expérience et savent traiter des sujets sensibles avec subtilité. Leur mise en scène maîtrisée, conjuguée à un montage dynamique, confère une grande fluidité à la narration et permet de faire progresser les cinq petites histoires de façon homogène.
Oui, il s’agit bien de cinq histoires différentes, même si elles concernent cinq membres de la même famille. Chacun des protagonistes obéit à des motivations individuelles, cherche sa propre voie, sans se soucier réellement des autres. Il n’est pas évident de jouer la carte du collectif dans une ville aussi tentaculaire et grouillante de monde, ce que soulignent les plans larges sur la ville et le flot continu d’automobiles qui engorgent les rues. Pourtant, intégrer un groupe et faire preuve de solidarité est probablement la seule solution pour espérer sortir de la misère. Le titre original, Linha de Passe, en est l’illustration. Il désigne un enchaînement de passes entre les joueurs d’une équipe de football, sport collectif, où la solidarité est essentielle pour remporter la victoire.
Le foot, c’est plus qu’un simple jeu, au Brésil, c’est un culte, une religion à part entière. Le stade des Corinthians est d’ailleurs un lieu de communion où la foule – immense – de supporters vibre aux exploits de leurs héros. Non sans humour, les réalisateurs opposent les scènes de matchs à ces petits rassemblements de la paroisse évangéliste de Dinho, où les prêtres promettent une guérison miraculeuse à leurs fidèles, à condition qu’ils aient une foi parfaite.
L’épître aux Corinthians  L’épître aux Corinthians
Tout le film repose d’ailleurs sur de petites oppositions, qui permettent de dresser un portrait assez fin de la société brésilienne. Il montre notamment le décalage entre les différentes classes de la population. Pour autant, jamais Walter Salles et Daniela Thomas ne versent dans le manichéisme. La patronne de Cleuza, par exemple, une bourgeoise habitant les beaux quartiers, n’a rien d’une esclavagiste. Elle est juste inconsciente du niveau de vie de son employée, et de la détresse sociale qu’elle subit. Et les pauvres ne sont pas non plus que des braves gens. Ce sont des êtres humains faillibles, imparfaits, qui tentent tant bien que mal de survivre dans un environnement hostile, et qui peuvent à tout moment déraper. Chaque personnage, complexe, est à l’image du film, tout en nuances, oscillant entre espoir et désespoir.
Le rôle le plus marquant, celui qui assure la cohésion de l’ensemble et porte à la fois le courage, la foi et les blessures de la vie, c’est celui de Cleuza. Une mère-courage capable de tout sacrifier à ses fils, mais trop engluée dans ses propres problèmes pour apaiser leurs angoisses existentielles. Que l’on trouve ou non exagéré l’octroi du prix d’interprétation féminine à Sandra Corveloni lors du dernier festival de Cannes, on ne peut qu’apprécier sa prestation et la qualité de son jeu d’actrice, intense et lumineux.
Le reste du casting est également très attachant. Comme souvent, les cinéastes ont choisi de faire appel à des jeunes acteurs non-professionnels pour garantir une certaine spontanéité, une justesse de ton, et c’est avec plaisir que l’on retrouve, dix ans après, Vinicius de Oliveira, le gamin de Central do Brasil.
L’épître aux Corinthians  L’épître aux Corinthians
Il manque juste à ce beau film, bien construit, un petit supplément d’âme, une touche d’émotion qui pourrait nous transporter véritablement, comme l’avaient fait à l’époque Central do Brasil ou Carnets de Voyage. Mais au moins, on saura gré à Walter Salles et Daniela Thomas de ne pas s’être vautrés dans le pathos et la facilité.
Sans posséder l’intensité de ses plus belles œuvres, Une famille brésilienne permet toutefois à Walter Salles de retrouver un cinéma humaniste qui lui convient parfaitement, après s’être noyé dans les eaux troubles du remake de Dark water. Et ça, c’est aussi une belle source d’espoir…
Note : ÉtoileÉtoileÉtoileÉtoile
L’épître aux Corinthians 


Tags : Une famille brésilienne, Linha de passe, Walter Salles, Daniela Thomas, Sandra Corveloni, football, religion, Sao Paulo

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