Je n'ai pas lu "Testament à l'anglaise" avant de me lancer dans cette première lecture d'un roman de Jonathan Coe et j'ai été très vite embarquée dans le rythme soutenu de cette fresque des années soixante-dix. L'Angleterre pittoresque fleure bon les écoles privées, les uniformes, les actions syndicalistes et les débuts d'une longue guerre civile avec l'IRA. La toile de fond politico-socio-économique de cette période sert de décor aux jeunes héros de l'histoire, élèves à King William, un collège privé de Birmingham: Benjamin, Philip, Doug et leurs camarades de classe ont bien d'autres chats à fouetter et sont loin des musiques planantes et de l'ère providentielle du thatchérisme. En effet, ils souhaitent s'intégrer aux groupes et aux divers clubs archaïques du collège, ils cherchent le courage d'adresser la parole aux filles, ces êtres intimidants qui rient sous cape en lançant leurs regards remplis de promesses vers ces pauvres adolescents torturés par leurs hormones. Ils espèrent devenir un jour artistes et fuir Birmingham et ses langueurs, ses plages d'ennui, ses maisons qui donnent le blues. Benjamin est un artiste en herbe, il est rêveur, a l'impression d'être toujours à côté voire en dehors du monde, il est timide, fan de musique et compose inlassablement des symphonies plus improbables les unes que les autres, Doug espère intégrer un jour un grand journal et Philip le sérieux du groupe. Puis il y a Paul, le petit frère de Benjamin, un môme chafouin, toujours prêt à tirer son épingle du jeu quitte à marcher sur autrui et jeter aux orties les principes et la morale. Autant Benjamin est rêveur, empoté avec les filles et doux, autant Paul est cynique et très thatchérien avant l'heure. Il a compris que l'avenir était dans l'ironie, le matérialisme et l'opportunisme, il s'avère être un personnage horripilant car précurseur d'une époque dont on souffre encore: individualisme, dénigrement de la culture inutile et contre productive. On a envie de lui donner des claques mais il réussit à faire sourire.
Richards, Steve de son prénom, le seul noir du collège, le brillantissime Steve qui provoque la jalousie et l'animosité exacerbée de Culpepper à toujours le surclasser en tout! Jusqu'à ce qu'un après-midi une étrange chose arrive et provoque une défaillance de Steve qui verra non seulement ses espoirs universitaires tombés à l'eau mais surtout la réalité ethno-sociale le rattraper.
"Bienvenue au club" ne serait plus acidulé à souhait si j'omettais de parler de Cicely, la belle et irréelle Cicely, cachant sous sa blondeur et son apparente liberté une blessure que Benjamin découvrira un jour d'été, lors de vacances familiales au Pays de Galles. Cicely, éreintée par Philip à l'issue de la représentation d'Othello, Cicely qui fait tourner la tête des jouvanceaux aux hormones en ébullition, amour absolu de Benjamin qui lui dédie, en un inlassable secret, ses symphonies.
Les années soixante-dix sont aussi les années des grèves et des manifestations, démonstrations de force des syndicats. Ce sont aussi celles des attentats meurtriers perpétrés par l'IRA, Loïs la soeur de Benjamin et Paul perdra son fiancé et gagnera une longue et douloureuse dépression, bouleversant sa vie et celle de la famille....rien ne sera jamais plus comme avant; les haines envers les étrangers commencent à se dire plus ouvertement, l'extrême droite retrouve de la voix et propage un discours raciste dans le monde ouvrier, l'autre, l'étranger est celui qui menace les emplois des ouvriers britannique; enfin, une époque bénie s'achève, laissant un voile flou sur un passé, les babas cool ne sont plus de mise, la musique planante s'efface devant la rudesse d'une musique de la révolte. La cohésion sociale lentement se fissure avant de sombrer dans les années violentes du thatcherisme.
Jonathan Coe, l'oeil goguenard, fait perdre à un de ses héros, Doug, fils d'un responsable syndical, ses illusions sur le comportement de la hight society anglaise....sa rencontre londonienne avec une jeune femme de la haute bourgeoisie est une révélation érotique et sociale. Il n'aura de cesse de parvenir à intégrer ce club très fermé de ceux qui se fichent comme d'une guigne de tous et de tout et prennent leur plaisir selon leur bon plaisir!
"Bienvenue au club" est un roman foisonnant, multiple où le lecteur aime se perdre et se retrouver au rythme de ses souvenirs d'enfance et d'adolescence: les rêves entrevus qui ne deviennent pas forcément réalité, les envies d'ailleurs, les moments d'ennui étirés par un temps qui se moque de coller à la vitesse de la jeunesse. Les années collège et lycée avec son cortège de doutes, de réussites et d'espoirs amoureux, la découverte des sentiments, la douce brûlure de la passion naissante et le mystère du monde adulte qui peu à peu se révèle. Un voyage bien sympathique dans un passé pas si lointain, un passé que l'on n'oublie jamais et que l'on regarde toujours avec une tendresse particulière...celui de nos seize, dix-huit ans, juste avant de partir en fac.
Roman traduit de l'anglais (Royaume Uni) par Jamila et Serge Chauvin
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