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Les miettes

Publié le 22 mars 2009 par Pffftt
Je ne sais pas où je vais.
Commencer un texte comme ça, c’est droit dans le mur…ça ouais je sais.
Plus ou moins libre derrière le curseur. Il clignote, où moi j’en suis, vers quoi je plie, noir ou pas vraiment, moi j’ai jamais trop bien compris.
Donne moi le prix.
Ben voilà…
On ne serait même pas libre dans ce foutu texte.
Il nous manque l’essentiel.
Je veux glisser le mot polychromie vers le milieu.
Bon.
D’abord écrire le début et ensuite trouver la faille, la petite fêlure sur feuille blanche qui me laissera la place pour…POLYCHROMIE.
Savoir aussi ce que signifie ce truc (avant de se la péter…).
Au début du texte je veux être assise, et pour une fois je reste de sexe féminin, y’en a marre de jouer au super héro à barbichette.
Assise sur le bord d’un lit, juste une fesse sur le coin du matelas, prête à me ramasser sur le tapis rouge (c’est que je ne suis pas encore bien réveillée) c’est un petit matin entre rose et gris.
Il y a des particules de lumières qui jouent à me faire sourire, elles dansent devant mes yeux en silence, je lève ma main vers la fenêtre, je la tourne, les particules s’y déposent…une pierre du matin à mon édifice endormi.
Je gratte ma cuisse et ensuite derrière ma nuque avec mes ongles courts.
Je fais ça…comme tous les matins…avant le départ.
Là, je veux que « je » devienne « elle », c’est compliqué parfois cette forme là, on finit par se perdre dans les lignes, comme les vagues effacent la plage, je ne suis pas là pour montrer mon passage, le texte est un abri, « je » en est le clandestin.

Elle se lève.
Regarde derrière le volet s’il y a un peu de bleu, frotte ses yeux pour voir mieux, soupire.
Dans le lit il dort, et elle regrette ce temps où elle ronflait comme lui, sans jamais craindre le dehors, comme une masse, en boule sur elle-même, et rien pour troubler les rêves, aucune peur dans son ventre, rien d’autre à comprendre.
Dans le lit il se retourne, il relève le drap blanc sur sa tête pleine de sommeil, et elle hésite à le rejoindre, elle se motive pour faire un pas, le deuxième, le seuil de la porte, quitte la chambre…il n’y a plus d’étoile dans le ciel…
…au petit matin clair.
Dans la cuisine elle allume le poste de radio, un morceau des Korgis en sort trés cyniquement, elle prend 15 ans dans la gueule (en 2 minutes de mélodie), une habitude chez elle…une habitude qui fait mal, tant pis.
Le café d’hier se réchauffe laborieusement sous les ondes du micro vieux de 150 ans, les années encore qui passent…jamais elle ne s’y fait, ami ou ennemi, le temps qui file continue de l’étouffer. Un trop con de discours, comme une corde à son cou ; elle le ressasse quand même, elle ne sait pas faire autrement.
Sous la douche elle écoute l’eau faire craquer les canalisations anciennes, rouillées ; de vieilles mémés de cuivre qui de temps en temps fuient…fuient mais pas pour partir, fuient pour laisser s’infiltrer l’eau crânement le long des murs verts de la salle de bain, qui moisit.
Elle ne se fait pas chier à fredonner un truc pour faire genre, on n’est pas dans un film de Lelouch ; elle se fatigue déjà de trop à faire semblant le jour, au dehors, face au monde, qui ne sera jamais vraiment le sien.
Je n’ai pas encore pu caser polychromie. C’est dommage, le plantage de décors en général se prête au détail incongru. Après, dans l’intrigue, il y a moins la facilité…
…d’autant que je n’ai pas encore trouvé d’intrigue…
Au départ j’imaginais un texte court…je me suis plantée…dès le départ.
C’est comme ça, ne pas savoir où l’on va.
C’est risqué.
Bien que dans la mesure…
Entre temps il s’était levé, le bruit de l’eau dans les tuyaux, un boucan du tonnerre. Elle le retrouve là, assis sur la chaise en bois, devant la table mauve et son bol, grand, très grand bol de café, rempli jusqu’au bord.
Le sien de bol, qu’il lui a piqué dans le micro à ondes toxiques et sournoises.
Mais elle ne dit rien.
Pas parce qu’elle l’aime, mais elle est fatiguée.
Elle s’assoit sur ses genoux à lui, et boit le café du bol rouge, il y en a assez pour eux deux. Il est brûlant, et mauvais.
Elle s’enhardit à lui poser la fameuse question du matin, la même chaque jour, et lorsqu’elle entend sa propre voix raisonner contre les faïences jaunes au dessus de l’évier, elle réalise que ceux sont les premiers mots du jour qu’elle prononce à voix haute. Et bizarrement sa voix trop grave et un peu cassée lui plait.
- Tu m’accompagnes ?
- Nan pas aujourd’hui, j’ai des trucs à faire.
- Des trucs comment ?
- Importants…
- Bon.
Elle décolle ses fesses de sur ses genoux à lui, dépose le bol dans l’évier en inox blanc de calcaire, embrasse sa joue qui pique, enfile sa parka, s’enroule dans son écharpe, sort dans la rue.
Elle respire fort, une fois, deux fois, trois fois.
Derrière les nuages blancs elle part à la recherche du bleu du ciel mais ses yeux noirs, trop sombres ne voient toujours rien. Elle pense qu’il lui faudrait peut-être des lunettes…très spéciales, qui transformeraient le monde aux 100 000 couleurs…
Non, je ne rêve pas quand même…ce serait trop ringard de le coller là…
…polychromie.
Je vais quand même m’assurer du sens, avant de faire une bourde magistrale et de l’utiliser correctement…je n’ai pas envie de le mettre à sa place polychromie, bien sûr que nan…je veux le malmener un peu quoi.
Est-ce que j’ai l’air de celle qui se prend au sérieux ?
Bon je cherche. Il pèse une tonne ce putain de Larousse…
Et ben, la définition est aussi moche que le mot : « Caractère de ce qui est polychrome ». Génial !
Il faut que je sache où elle va…je sais bien qu’elle va vers la polychromie, je sais pas comment, mais je sais qu’elle y va…elle y va même à pied…

En descendant les marches, ses pieds font tip-tap. Elle n’a pas de talons hauts mais le bruit de ses semelles raisonne fort. Elle marche vite à cause du froid, mais pas pour gagner du temps. Ce temps là, celui de la journée elle s’en fout.
Au guichet n°12 le type à la mèche rebelle lui annonce que toujours pas de boulot pour elle, peut-être élargir son CV, bosser hors des frontières, ou même mieux, rester au lit, car on n’a pas idée de se pointer ici tous les matins à l’ouverture des portes pour s’entendre dire toujours : RIEN.
C’est vrai. Il a raison ce type, avec sa mèche rebelle. Mais quand même, elle se sent un peu agressée, ou pas respectée, ou les deux. Alors elle marmonne – connard ! – et elle se casse, dehors, dans la rue, et toujours pas de ciel bleu.
Elle décide quand même qu’il faut rester au dehors, ne pas s’enfermer, profiter d’être ce qui pourrait ressembler à libre, ou sans contrainte.
Elle s’assoit sur une pierre rectangulaire, à proximité d’une bouche d’aération, où l’air est chaud et sent bon la brioche aux pépites de sucre. Elle s’assoit d’abord pour réfléchir, puis comme ses pensées tournent en rond, elle décide de « structurer ». Elle se plonge dans la contemplation des pieds de la rue, ceux qui traînent, ceux qui courent, ceux qui sont maladroits, ceux qui seraient danseurs, marathoniens, footballeurs.
C’est le bruit de la pièce qui échoue sur le pavé à quelques centimètres de sa semelle qui l’a fait sursauter. Elle entend le son limpide et joyeux avant même de voir l’objet ; deux euros en un seul morceau.
Dans son intérieur il se passe comme un effondrement, une perte de tous ses repères, est-ce à ça que ressemble la crise ? se dit elle.
Elle prend les deux euros, regarde les jambes, les troncs, les têtes qui seraient associés aux pieds de la rue. Elle ne voit rien.
Sauf un peu plus loin derrière le vilain bâtiment aux vitres fumées, un tout début de ciel qui s’éclaircit.
Dans la boulangerie avec sa pièce tombée du bout de ciel bleu, elle choisit une belle viennoiserie, la plus grosse avec des pépites de chocolat sur le dessus.
Toujours pas de polychromie…j’en vois souvent des textes qui m’échappent et font les petits malins avec moi…des fois ça me coule sur les joues, ça me glisse des doigts…comme de l’or…un peu mon trésor.
J’aime bien tenter les fleurs, l’amour, la joyeuseté…mais toujours à ce foutu texte de m’envoyer ailleurs, en l’air et retomber bien loin…
…de la polychromie.
Elle tourne la clé dans la serrure, défait sa parka, accroche son écharpe à la poignée. L’eau dans les canalisations coule.
Elle fait un café, un vrai. La machine à faire du café s’agace, et râle comme une feignasse en luttant contre le calcaire. Le liquide noir finit par sortir en crachotant.
Elle dépose deux bols sur le plateaux rose (un peu bonbon) trouvé dans une brocante. Puis dans l’assiette verte en porcelaine de Limoge de chez sa mémé quand elle était petite, elle dépose la viennoiserie. Et ça sent super bon.
Dans la chambre, elle vire son pull, son jean, ses chaussettes et l’élastique qui retenait à peine ses longs cheveux bruns. Elle se glisse sous le drap, remonte la couverture.
Il sort de la salle de bain, vient se coller à elle sans un mot, sa peau est humide et froide, le ballon d’eau chaude doit être vide.
Ils sont assis, bien calés contre les oreillers.
Elle croque dans la viennoiserie, le regarde et bafouille la bouche pleine :
- C’est vraiment important c’que t’as à faire aujourd’hui ?
- Ouais…
- Tu veux dire encore plus important qu’un coin de ciel bleu ?
- Non. Si tu me trouves ça, c’est bon je reste…
Elle se lève, sa petite culotte est blanche, son débardeur noir, donc il se dit que ce n’est pas la qu’on regarde pour le ciel bleu…dommage.
Triomphalement elle tire le rideau, ouvre d’abord les fenêtres, fait grincer les volets et pointe son index vers en haut.
Il doit quand même faire un effort, plisser les yeux à mort, être le mec le plus compréhensif et le plus imaginatif de la terre avant de la rejoindre près de la fenêtre, les bruits de la rue qui montent jusqu’à eux…il l’a regarde un peu dans les yeux, et la miette à la commissure de ses lèvres gercées :
- Okay, je reste, tu l’as bien mérité…

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