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Chronique irrégulière du changement climatique : Le retrait des glaciers andins...

Publié le 22 mars 2009 par Greg Catel

Après une chronique en direct de Buenos Aires (ici), Nicolas, dans son périple à la rencontre du changement climatique, se retrouve cette fois à La Paz, capitale de la Bolivie. 


Rencontre avec Edson Ramirez, glaciologue à l’IHH de La Paz.
Edson Ramirez
Le glaciologue Edson Ramirez
Mon taxi, sans doute un fan de formule 1, semble prendre un malin plaisir à faire crisser ses pneus dans les virages de la voie rapide serpentant à travers la capitale bolivienne, sur plus de 1000 mètres de dénivelé, du centre touristique à la zone sud. Pas très rassuré, je suis sur le point de mettre ma ceinture de sécurité quand mon chauffeur s’arrête pour prendre un 5ème passager, qui vient s’assoir à mon côté, m’obligeant à me coller contre le levier de vitesse… Tant pis pour la ceinture.
Cette petite course n’est donc pas des plus confortables, ni des plus rassurantes, mais elle me permet de me rendre à l’Instituto Hidrico e Hidrologico (Institut Hydrique et Hydrologique) de La Paz, fief du glaciologue Edson Ramirez, pour une rencontre que j’attendais depuis longtemps...

Edson va me parler de l’inquiétant recul des glaciers entourant La Paz et El Alto, sa ville siamoise, et de ses conséquences.
L’IHH travaille en proche collaboration avec l’Institut de Recherche et Développement (IRD) français. De fait, l’IRD a initié en 1991 le programme Great Ice consistant à surveiller et récolter un maximum d’informations sur les glaciers andins. De nombreux spécialistes boliviens se sont formés à Paris – c’est le cas de Edson Ramirez – et travaillent aujourd’hui en équipe avec les experts de l’IRD. Chaque mois, ces équipes se rendent sur certains glaciers entourant La Paz pour effectuer un équilibre de la masse, une mesure de l’épaisseur de glace qui permet de savoir si la masse du glacier a connu des pertes ou des gains. Une fois par an, ils en mesurent la superficie totale. L’IHH procède également à une comptabilisation régulière des précipitations, du taux d’humidité ou encore des radiations solaires. Enfin, l’IRD a introduit il y a quelques années l’extraction de carottes glacières permettant de reconstituer le climat d’époques éloignées.
Edson m’avait proposé de l’accompagner sur une expédition à la rencontre de la population du village de Quoni, communauté vivant entre 3000 et 4000 mètres d’altitude, juste en-dessous du glacier Illimani. L’objectif était d’en savoir plus sur leur perception des changements climatiques récents dans la région. Malheureusement, cette sortie a dû être annulée au dernier moment, mais je m’estime heureux de pouvoir rencontrer le plus éminent glaciologue bolivien.
Quelle est donc l’influence du changement climatique sur les glaciers andins, et plus précisément ceux qui entourent La Paz ? Dans la région andine, on a observé une diminution progressive des glaciers depuis le début du XXème siècle. Mais à partir de la fin des années 70, on constate une forte accélération : en 30 ans, certains glaciers on fondu 3 fois plus vite que depuis le début du siècle. Le cas le plus éloquent étant feu le glacier de Chacaltaya (voir photos), aujourd’hui disparu, sur lequel les paceños avaient l’habitude d’aller skier il y a encore 10 ans.
Chacaltaya
Le retrait du glacier Chacaltaya
Pour introduire son propos, mon interlocuteur m’explique la nécessité de différencier les notions de variabilité climatique et changement climatique. 
Une partie des changements observés actuellement est due à la variabilité climatique, c’est à dire les évolutions cycliques du climat d’origine astronomique, causées par exemple par la variation de l’axe de rotation terrestre. Ces mutations cycliques ont lieu sur des périodes très longues, de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers d’années. Mais les modèles et la grande quantité de données récoltées nous révèlent qu’une partie non négligeable de ces changements est due à l’activité humaine et l’émission de gaz à effets de serre comme le CO2, coïncidant avec la première révolution industrielle. C’est à cela que l’on doit le changement climatique, qui lui n’est pas cyclique, mais provoque une accélération des tendances naturelles. 
Ce qui marque ce phénomène, c’est des variations de températures fortes qui ont lieu sur une période très courte (200 ans par rapport à des milliers d’années dans le cas de la variabilité naturelle.) Au cours du dernier siècle, on a constaté une augmentation moyenne des températures de 0,5 degrés Celcius sur l’ensemble du globe. En plus de cette progression, on a vu dans les Andes une augmentation des amplitudes de températures observées - hivers plus froids  et étés plus chauds - qui pourrait presque masquer le phénomène d’augmentation moyenne des températures.
La somme de ces changements d’origine naturelle (variabilité climatique) et humaine (changement climatique), appelée changement global, a de graves implications pour les populations vivant depuis des millénaires au contact des glaciers andins. Le cas des villes de La Paz et El alto est représentatif de nombreuses agglomérations situées sur une région allant de l’Equateur jusqu’à la Patagonie. 
Selon Edson Ramirez, le premier impact à déplorer est la perte du paysage traditionnel andin qui a toujours caractérisé la région. Cela pourrait en effet entraîner  de graves conséquences économiques avec une baisse des revenus touristiques : de nombreux touristes se rendent à la capitale Bolivienne attirés par les nombreux et majestueux glaciers qui l’entourent.
Un deuxième effet, peut-être plus grave, concerne l’usage de l’eau. Les ressources actuelles sont utilisées avant tout pour l’eau potable et la génération d’électricité. Elles proviennent de deux sources: le glacier et la pluie. Si l’on considère qu’il continue à pleuvoir autant qu’auparavant, une crise de l’eau n’est pas à craindre. Seulement,  les modèles prédisent une réduction des précipitations conséquente au changement climatique dans le nord de la Bolivie. A titre d’exemple, cette année la région a connu un déficit des précipitations de l’ordre de 30%, et les réservoirs de la ville n’ont pas pu se remplir.
Edson m’explique que les glaciers andins sont pour l’essentiel des glaciers tropicaux, et ont un fonctionnement bien distinct de celui de nos glaciers alpins. Dans les Alpes, l’hiver correspond à la période des pluies, pendant lequel les glaciers se nourrissent. Au fur et à mesure que les températures augmentent avec l’approche de l’été, ils fondent et nous alimentent en eau. Dans les Andes tropicales par contre, la saison des pluies arrive en été. Pendant la seule période où le glacier peut s’alimenter en eau, il voit aussi sa masse diminuer rapidement. Les glaciers andins ont donc un fonctionnement complexe qui peut être affecté par des modifications minimes du climat. C’est la raison pour laquelle les glaciers des zones tropicales sont considérés comme d’excellents indicateurs du changement climatique (cela explique la présence de l’IRD dans la zone depuis 1991.)
Cette tendance a donc des conséquences dramatiques pour l’usage des ressources en eau.  En effet, les villes de La Paz et El alto augmentent leur consommation (croissance annuelle de 5% pour El Alto), et cette tendance doit se poursuivre avec la croissance de la population. On se heurte donc à un problème puisque les ressources en eau, quant à elles, sont limitées et promettent même de se réduire. On a donc ici tous les éléments pour une crise de l’eau affectant les villes de La Paz et el Alto… 
Quelles sont les solutions envisagées pour faire face à cette situation ? 
On a vu se multiplier au cours des dernières années les négociations internationales pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Mais même si demain voyait la naissance d’un compromis mondial pour une réduction drastique de ces émissions (ce qui est malheureusement fort peu probable), il faudrait des dizaines années pour qu’apparaissent des répercussions positives. Non, le changement climatique est déjà là et nous n’avons d’autres choix que de nous y adapter (les négociations internationales restent bien sûr une impérieuse nécessité.)
Quelles mesures d’adaptation donc ? C’est bien là le principal problème auquel font face Edson Ramirez et ses pairs. Certaines voix ont proposé d’exploiter de nouvelles nappes souterraines. Une solution rejetée par Edson, qui avance l’incertitude sur les quantités d’eau disponibles dans ces nappes. On risquerait ainsi de surexploiter des ressources qui doivent être réservées aux générations futures. Les solutions d’adaptation posent plusieurs difficultés. D’une part, elles ont souvent une forte composante technologique et donc un coût les rendant prohibitives pour les pays en développement, qui connaissent de plus certaines limites pour implémenter ce type de mesures (infrastructures existantes, know-how, etc.). 
D’autre part, même si un avancement important a été fait au cours des dernières années en termes d’investigation, on n’a pas encore une idée complète de la priorisation à faire de ces mesures. En clair, reprend Edson, même si quelques agences de coopération internationale sont disposées à intervenir financièrement, on ne sait toujours pas exactement à quoi s’adapter en priorité.Cependant, plutôt que de se croiser les bras en attendant que ces recherches soient complétées, Edson Ramirez a son idée sur la manière de réagir dans l’immédiat.  Selon lui, il faut avant tout commencer par rationnaliser l’usage des ressources existantes. Actuellement, le réseau d’approvisionnement de la ville de El Alto, touchant à peu près un million d’habitants, accuse des pertes qui peuvent atteindre 40 à 50% des ressources en eau (fuites, eau non comptabilisée, etc.)
Rien qu’en apportant une solution à ce problème on pourra, sinon éviter une future crise de l’eau, du moins en repousser l’échéance. Il s’agit donc d’optimiser l’eau dont les Boliviens disposent plutôt que d’avoir recours à de nouvelles ressources dont les capacités sont incertaines. 
Ensuite, poursuit Edson, on doit également considérer des options technologiques au coût relativement faible tel que le recyclage de l’eau. Il peut s’agir de filets récoltant l’humidité de la brume, une solution déjà adoptée par le Chili, mais également d’installer des systèmes de récupération des eaux de pluie chez le particulier. Par ailleurs, de nombreuses activités ménagères comme la vaisselle, l’arrosage des plantes ou le lavage de la voiture ne nécessitent pas l’usage de l’eau potable.On voit donc que les seuls types de mesures applicables immédiatement passent, d’une part, par l’optimisation des ressources existantes dans la région et, d’autre part, par un meilleur usage de l’eau par les habitants.
On ne pourra pas optimiser les ressources en eau sans un engagement fort du gouvernement. Edson m’explique qu’il y a dix ans, il avait porté le même message au gouvernement de l’époque, mais les prévisions présentées alors n’avaient pas permis d’obtenir plus que de pieux vœux de la part des politiciens en place.  
Quel est justement le degré de compréhension des enjeux et la volonté d’action de l’administration Evo Morales ? Les effets annoncés jadis se faisant sentir désormais, le gouvernement fait preuve d’une plus grande attention. Les ministères de l’eau et de l’environnement commencent à s’impliquer fortement dans cette problématique, et les glaciologues de l’IHH et de l’IRD ont même pu rencontrer le président pour lui porter directement l’alarmant message. 
Il y a donc une vraie prédisposition à travailler ensemble entre tous les acteurs concernés, résume Edson. Mais il existe un décalage temporel. C’est une course contre la montre dans laquelle les acteurs de la lutte contre le changement climatique accusent un lourd retard.2009 est, en effet, une année charnière, m’explique le Doctor Ramirez. Les données statistiques existantes la désignent comme l’année de la rupture de l’équilibre : on utilise plus d’eau que ne peut en apporter la nature.
Pour la première fois, la ville de La Paz a été au bord du rationnement. Les réserves de la ville ne se sont presque pas approvisionnées pendant une saison des pluies marquée par un manque de précipitations. Et si l’on a pu éviter le rationnement, il a fallu modifier des comportements culturels ancestraux. Pour la première fois, il a fallu interdire aux habitants de la capitale de jouer avec l’eau pendant le carnaval Bolivien, la plus importante fête populaire de l’année où petits et grands ont la gâchette (de pistolet à eau) facile. Il est très probable que cette interdiction se poursuive l’année prochaine, menant fin à une tradition ancestrale.
Ce qui nous mène au deuxième type de mesures applicables immédiatement, la promotion d’un meilleur usage de l’eau auprès des habitants de La Paz et El Alto. 
Dans ce domaine, le travail a commencé avec la diffusion de spots publicitaires sensibilisant la population à la raréfaction de l‘eau, et à la nécessité d’adapter les comportements. L’IHH n’est pas en reste, et mène des actions d’éducation dans les collèges des deux villes jumelles. Celles-ci consistent pour l’essentiel en des discussions avec les enfants, à qui l’on montre les alarmantes photos du Chacaltaya. Edson conclue notre entretien en insistant sur le potentiel des enfants pour faire passer le message aux adultes. 
De plus, ce sont bien les générations futures qui hériteront de cette situation, à laquelle elles doivent être préparés le mieux possible.
Par Nicolas Deburge - Résolutions écologiques
A lire aussi : Chronique irrégulière du changement climatique : Buenos Aires, Argentine...

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LES COMMENTAIRES (1)

Par KUIKUI
posté le 14 août à 22:50
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De toute façon ils paieront très très chère pour être ainsi d'être indifférents comme des hypocrites et menteurs ?

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