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Séance du 16/03/2009

Publié le 23 mars 2009 par Colbox

marieemiseanu.1237827203.jpg“La mariée mise à nu par ses célibataires, même” ou “Le grand verre” (1915-1923) Marcel Duchamp

Le montage pulsionnel comme Réelle fiction
(De la pulsion au désir 6)

Comment se fait-il que si la cure psychanalytique nous montre répétitivement que la sexualité participe à la dialectique du sujet, c’est pratiquement toujours (dans la névrose) sous la forme de pulsions partielles ?
Comment se fait-il qu’un concept aussi dénué de subjectivé que celui de la pulsion, tel qu’il fût construit par Freud, puisse, paradoxalement, signer la présence d’un sujet dans la cure dés lors que celui-ci en évoque l’impact dans son existence ?
Comment s’articulent Pulsion et Désir, objet partiel et objet d’amour ?

C’est – entre autres – pour répondre à ce type de questions que Lacan va redéfinir la pulsion en tant que concept fondamental de la psychanalyse, et pour cela, il va d’abord commencer par la resituer vis-à-vis de ce qui a cours et qu’on peut, d’une certaine façon, qualifier comme théorie évolutionniste de la personnalité.

Pour prendre un détour métaphorique, on pourrait dire par exemple que, si juste soit - elle, la théorie Darwinienne de l’évolutionnisme ne peut rendre compte de l’humanité. Si tel était le cas on ne voit pas pourquoi notre organisation sociale peut conduire au chaos plutôt qu’à un ordre silencieux.
Autrement dit, il n’y a certainement pas d’évolution sans histoire et il n’y a pas non plus d’histoire sans langage. A partir de là, à partir de la naissance du signifiant, commence donc une autre histoire et dés lors, toute évolution tient compte de cette détermination : Il s’agit là d’une rupture.
Avec son « Au delà du principe du plaisir », Freud prend en compte une nouvelle donne, qu’on pourrait condenser à l’extrême comme la découverte d’une écriture de la mort à l’intérieur même de la pulsion et de son destin. C’est encore une rupture, après toutes celles qu’il a déjà découvertes.
Mais, cette brèche là, dans l’évolution des théories analytiques, restera lettre morte pour quelques temps… jusqu’à ce que Lacan reprenne la lettre en souffrance en 1964 dans le cadre de son onzième séminaire.

Quand Freud abordait la pulsion comme un mythe (fondateur), il tentait à sa manière de l’accrocher au monde symbolique. Avec Lacan, nous sommes d’emblée dans le langage. Il se dégage de tout substrat physiologique et conseille de la considérer comme une convention, et même comme une fiction : c’est dire qu’il s’agit là pour lui surtout d’une écriture.

A chaque fois qu’il trouve une écriture, Lacan la questionne et se demande à quoi elle peut bien servir, ce qu’elle veut bien dire ?
La première question qu’il va se poser, c’est de savoir ce que signifie cette poussée, cette Drang, qui active la pulsion, de quel ordre est-elle ? Parce que si elle est bien continue, permanente, quasiment invariante, c’est bien qu’elle n’a pas grand chose à voir avec quelque chose qu’on peut individualiser comme un besoin vital qui pourrait être réduit au moins temporairement. Sa constance la place aussitôt dans un autre ordre, puisque la poussée c’est aussi bien « ce qui ne cesse pas » de pousser. En pointant ce caractère incessant de la poussée, du « Drang », Lacan coupe aussitôt court à toutes les discussions stériles qui animèrent le monde analytique entre pulsion et instinct : la rupture est consommée.

La seconde question qu’il saisit très vite c’est de se demander en quoi la pulsion peut bien permettre de rendre compte de la satisfaction. Et, qu’est que c’est que cette satisfaction pulsionnelle ? Et, bien évidemment, par prolongement qu’est ce que c’est, dans l’économie psychique que la satisfaction en elle-même ?
Freud avait assigné quatre destins à la pulsion – en dehors de sa réalisation immédiate. Ces quatre destins sont autant de détournements du but pulsionnel, et parmi ceux-ci, l’un d’entre eux est paradigmatique au sens où il est secondaire à l’inhibition quant au but justement. Pour autant la sublimation, puisque c’est de cela qu’il s’agit, donne satisfaction. Alors qu’est ce qui, en l’occurrence, est satisfait ?
De même on peut tout aussi bien dire que la pulsion se satisfait du symptôme, et que finalement la pulsion se satisfait toujours, quelque soit la voie empruntée.

De détournement en détournement, en renversement, en inversement, finalement la satisfaction pourrait bien arriver par la voie du déplaisir.
On peut ici citer Lacan « à savoir qu’il est clair que ceux à qui nous avons affaire, les patients, ne se satisfont pas, comme on dit, de ce qu’ils ont. Et pourtant, nous savons que tout ce qu’ils sont, tout ce qu’ils vivent, leurs symptômes mêmes, relèvent de la satisfaction. Ils satisfont quelque chose qui va sans doute à l’encontre de ce dont ils pourraient se satisfaire, ou peut-être mieux encore pourrait-on dire, ils satisfont à quelque chose. Ils ne se contentent pas de leur état mais quand même, en étant dans cet état si peu contentatif, ils se contentent et toute la question est justement de savoir qu’est-ce que c’est que ce «se » qui est là, contenté.
Dans l’ensemble, et à une première approximation, nous irons même à dire que ce à quoi ils satisfont par les voies du déplaisir, c’est, nous le savons, (aussi bien d’ailleurs est-ce communément reçu) c’est quand même la loi du plaisir. »
Et Lacan nous ramène à la clinique, à la plainte en quelque sorte : les sujets, et peut-être particulièrement ceux qui s’en plaignent, se donnent du mal pour se satisfaire, et d’ailleurs ils trouvent pour cela des arrangements parfois étonnants. Il y a donc des satisfactions pour le moins paradoxales qui, peut-être ne se satisfont pas de leur objet. Ou plutôt, ça ne semble pas être l’objet qui apporte ou conduit à la satisfaction.
Et ça, c’est très freudien, parce que Freud indiquait bien dans les « Trois essais… » comme dans son article sur les destins pulsionnels, que l’objet de la pulsion était finalement tout à fait interchangeable, et donc tout à fait indifférent. Alors, si c’est tout à fait indifférent, qu’est ce que ça veut dire ?
Et puis, est-ce si évident que cela que l’objet est interchangeable ? Et de quelle manière ?
Parce que, d’une certaine manière, la clinique nous montre répétitivement que rien n’est plus fixe pour un sujet que sa relation à un objet pulsionnel. On ne change pas d’objet comme de chemise. Il y a eu un choix, et combien même ce choix a pu être indifférent, lorsqu’il est fait, il se répète toujours de la même façon. Et on voit du coup l’un des liens qui existent entre la pulsion et la répétition.
Quelque soit la forme que cela prenne, la pulsion arrive toujours à satisfaction, et quand ça prend la forme d’un déplaisir, et que ça insiste à se reproduire, Lacan appelle ça « Jouissance ». On pourrait dire que la satisfaction de la pulsion en tant que déplaisante, est une des définitions de la Jouissance : l’union insensée satisfaction – déplaisir. C’est un, et non des moindres, des paradoxes de la pulsion, de la logique pulsionnelle.
C’est ici la troisième question que formule Lacan : Qu’est ce que l’objet de la pulsion, qu’est ce que l’objet partiel ? Quel est sa fonction? Qu’est ce que c’est que cette série des objets partiels, comment est-ce qu’ils s’articulent les uns par rapport aux autres ?
En quoi est-ce qu’il y aurait là un progrès, une progression quelconque, qui pourrait conduire, dans une perspective évolutionniste, voire téléologique, à un objet total qui, lui-même aurait quelques accointances avec un hypothétique objet d’amour ?
Avec toutes ces questions Lacan nous amène à ce constat que, finalement, la pulsion est un montage sans queue ni tête. Un montage qui, pourtant, représente la sexualité dans le psychisme, mais une sexualité qui est donc toujours partielle et qui, en aucun cas, ne pourrait rendre compte d’une quelconque subjectivité ou subjectivation. Ce montage n’a pas de sens, il n’a pas de sens pour un sujet qui n’y est pas.
C’est surréaliste nous dit même Lacan ! Ce montage est surréaliste, et il faut l’entendre et le voir comme il le montre, avec ce tableau de Duchamp : « La mariée mise à nue par ces célibataires, même ». C’est surréaliste en ce sens que s’y trouve pêle-mêle des élément Symboliques, Imaginaires et Réels sans que ça puisse prendre sens pour un sujet qui n’y est pas, et Lacan insiste là-dessus.
Alors, probablement il faut en déduire que s’il n’y est pas c’est qu’il pourrait y advenir ? C’est peut-être à cet endroit que ça pourrait prendre un sens qui serait une direction. Et, en la matière on sait bien que le bon sens n’indique rien qui vaille : comme souvent il faut faire un pas de côté puisque ça tourne en rond. Mais si ça tourne rond, ça nous cerne bien quelque chose et du coup, ça prend une autre allure cette histoire sans queue ni tête.
En fait, de ce montage, Lacan en fait un trajet, un circuit : celui que parcourt et dessine la pulsion.

La pulsion s’origine d’un orifice corporel pour englober l’objet - dont l’absence constitue cet orifice comme zone érogène - , puis elle revient en boucle à son point de départ sur le sujet. Elle n’a donc fait que le tour d’un vide. Ce faisant, elle a fait le tour de l’objet partiel et, en même temps elle l’a escamoté : la place est irréductiblement vide, et structurellement, la pulsion n’atteint pas son but.

Pour autant, un but est inscrit au score puisque ce qui va s’inscrire avec ce vide qui centre le trajet pulsionnel, ce qui se dessine, par cette absence, n’est autre que l’objet perdu ou l’objet a.
Nous avons donc là une ébauche d’écriture, même si elle n’y est que par défaut.
Il y en a une autre : La sexualité ne se réalise que par l’entremise des pulsions partielles, et, il n’y a pas de synthèse aboutissant à une pulsion totale vis à vis de laquelle adviendrait un objet total synthétique. Si la pulsion est – par définition – partielle, c’est aussi parce qu’elle représente partiellement la sexualité qui a toujours partie liée avec la mort. La pulsion amène avec elle la figuration et la promesse de la perte, une perte initiale, qui est avant tout une perte d’être.
Au même titre qu’Héraclite , Lacan, après Freud, nous rappelle que si le nom de la pulsion peut-être vie (Bios), son œuvre est aussi mort. Le lien entre le sexe et la mort est organique au sens où il est à la fois organisateur, fondateur et destructeur ; promesse d’à venir et retour éternel au passé. La satisfaction sexuelle contient en elle-même l’insatisfaction d’être mortel, ce qui s’éprouve avec la détumescence et la mort – provisoire – du désir sexuel. Cette satisfaction, qui prend nom de jouissance, fait apparaître une béance de l’être.

Ce qui peut nous ramener, comme Lacan nous le montre, à une autre béance constitutive qui est qu’il n’y a, dans l’Autre, au lieu de l’Autre (Maternel par exemple), aucun signifiant qui pourrait rendre compte de la différence sexuelle pour le $.

La pulsion partielle ouvre à un au-delà parce qu’elle inscrit dans la vie, dans le vivant sexué, une perte initiale, la perte de l’immortalité. Son tracé, son trajet, implique un vide, qui est à rapporter à un objet partiel, à l’objet perdu. C’est avec cet objet partiel que le sujet peut éveiller, évoquer, quelque chose dans l’Autre qui peut le situer lui-même comme manquant (manquant de cet objet).
Le trajet pulsionnel constitue bien une boucle mais, entre le point de départ et le point de retour il apparaît un écart. Et c’est ce que Lacan nous montre en reprenant l’exemple freudien d’une pulsion qui se décline facilement en couple de réversion comme la pulsion scopique .
Pour lui dans ce couple pulsionnel avec les version actif/passif, il n’y a pas deux temps mais trois, et c’est dans ce troisième temps qu’apparaît un « Neues Subjekt », qui est nouveau au sens de nouvellement apparu, au sens où vient d’apparaître un sujet à la pulsion. Et c’est au niveau de l’Autre que ce sujet apparaît.
Le premier temps est la forme active , il s’agit de voir (soi-même) le membre sexuel d’un autre.
Le second temps est la forme passive, il s’agit de ce que son membre sexuel soit vu par l’autre.
L’écart qui se constitue dans la boucle est ce qui sera support de l’autoérotisme, où il s’agit de se contenter soi-même de la vue de son membre sexuel.
Le « se » de se contenter, ou de se voir n’est là que pour se faire voir , c’est à dire provoquer l’Autre à voir, à voir qu’il manque à voir :
C’est le troisième temps. Il s’agit là de susciter l’Autre comme désir, de s’appuyer sur le manque qui lui est attribué. La pulsion voyeuriste, achève son trajet quand le voyeur se trouve surpris comme voyeur, comme regard caché, objet soustrait à l’Autre, objet dont l’Autre se compléterait à découvrir ce qui lui manquait. A ce point il y a jouissance de l’Autre, mais agencée par le Sujet. Il y a là surgissement du Sujet au niveau de l’Autre, un nouveau Sujet. Ceci concerne le pervers
L’objet de la pulsion est donc ici le regard et non le phallus. Et, avec ce Sujet qui apparaît dans l’Autre, c’est la fonction de la pulsion qui se réalise : La pulsion arrive à satisfaction sans atteindre à son but. Le but c’est le retour au circuit, la pulsion se referme sur elle-même, sur l’objet en creux, l’objet manquant, l’objet a.
Donc au manque dans l’Autre, le sujet peut apporter la réponse de son manque précédent : sa perte d’être. En glissant sa propre perte dans l’intervalle, il fait de son désir, le désir de l’Autre. Il y a donc deux manques, qui se recouvrent, se soutiennent pour supporter la fonction du Sujet. Quand la pulsion apporte la présence de la mort, la fonction du désir peut s’étayer sur l’homologie des béances : La béance du corps (la sexualité le laisse en morceaux), et la béance du signifiant.
Si, comme on l’a vu, dans la perversion, le Sujet s’imagine en grand Autre, dans la névrose, il y aura une affinité profonde entre la pulsion et la demande, puisque le névrosé rate la dimension du désir et prend pour objet de son désir la demande de l’Autre. Ici, le fantasme se réduit à la pulsion.

M. Vincent (16/03/09)


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