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J'aime Jean Quatremer...

Publié le 23 mars 2009 par Edgar @edgarpoe

... quand il est énervé...

Je ne sais pourquoi, mais Jean Quatremer est tout chose depuis la nouvelle de la prochaine reconduction de Barroso à la présidence de la Commission. Quelque chose s'est cassé et il est comme un enfant de choeur qui aurait bu son premier pastis, il se laisse aller.

Je relevai récemment son gros chagrin :  "pourquoi voter si cela n'a aucune influence sur la composition de l'exécutif européen ?" Ce gros chagrin correspondait à une illumination, un eurêka tragique : "les chefs d'État et de gouvernement sembl[ent] se moquer comme d'une guigne de l'opinion des citoyens européens".

Il est un peu facile d'y revenir, mais c'est qu'hier Quatremer a ajouté d'autres révélations bien inhabituelles de sa part. Quelques partisans de l'Europe-qui-nous-fait-tant-de-bien essaient, tant bien que mal, de lui remonter le moral, mais décidemment, rien n'y fait, il est déprimé. Lisez donc. Voilà Yoplait qui tente de le ramener à la raison :

Yoplait : « Dès lors, pourquoi voter si cela n'a aucune influence sur la composition de l'exécutif européen ? »

Euh, pour avoir une influence sur la législation ? La reconduction automatique est effectivement déprimante mais votre conclusion me fait penser à un comptoir de café.

D'autant plus qu'a posteriori, même s'il est vraiment déplorable que le président ne soit pas un enjeu de campagne, cela ne changera rien. Si une majorité composée d'une quelconque configuration de libéraux, verts et socialistes se dessinait malgré tout, la place de Barroso ne serait plus assurée. Le Conseil aura à négocier avec un autre parlement qu'annoncé. Et rappelons que le PPE a, lui, officiellement choisi son candidat. La situation n'est pas si dramatique.

Réponse du désespéré Quatremer :

JQ : J'ai voulu dire que l'on passe à côté de la politisation de l'Union. En outre n'oubliez pas que la Commission a le monopole d'initiative. Que peut faire le Parlement si la Commission ne veut rien faire? On a vu sa capacité de nuisance sur les marchés financiers.

Oh le beau scoop ! On croyait que le magnifique Traité de Lisbonne était, selon ses défenseurs, une vraie avancée démocratique, un progrés décisif. Quatremer, au bord du gouffre, lâche la vérité, inchangée d'un traité à l'autre : Que peut faire le Parlement si la Commission ne veut rien faire? Rien, en effet, dans les deux traités.

On croirait la scène finale de M.Smith au Sénat, où le sénateur malhonnête en finit dignement.

Je vous rassure, la flamme est revenue par la suite. Quatremer défend l'Europe, face à un Toral qui tente de le convaincre que l'Union ne peut pas grand chose sur la scène mondiale (ce que je crois aussi), en tout cas en matière économique :

Toral : Vouloir aujourd'hui réglementer de manière étatique la finance internationale, sans que ses principaux acteurs n'acceptent de tous jouer le jeu, équivaut à peu près aux tentatives de brouillage radio des Soviétiques dans les années 60. Pour être clair, c'est une ambition vouée à l'échec.

Quatremer se défend mollement (je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous), mais avance que la Commission aurait pu prendre des initiatives, mais n'en a rien fait, sur au moins trois dossiers :

JQ : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. Trois exemples: rien n'obligeait la Commission à militer pour l'adoption des normes comptables proposées par des organismes dominés par des anglo-américains (et même pas adoptées par les USA). A l'époque, il y avait eu un sacré débat sur le sujet, mais la Commission n'a écouté personne. Sur les agences de notation, même chose: on pouvait les contraindre à s'enregistrer en Europe et leur imposer un certain nombre de règles: General Motors ou Microsoft, lorsqu'ils agissent chez nous, doivent respecter nos règles. Enfin, sur le régulateur européen, je ne vois pas en quoi il fallait attendre les USA, vraiment pas. C'est comme dire que le marché unique devait attendre les normes US pour se faire. Donc je ne crois absolument pas à cet argument de la nécessité de passer par le niveau monde en zappant la case Europe.

Par la suite, Toral continue et Quatremer défend un truc invraisemblable : la régulation. Pour le lire régulièrement, histoire de prendre la température de l'européisme le plus avancé, je sais que la régulation ne lui plait que lorsqu'elle s'inscrit dans un accord parfait entre l'Europe et les Etats-Unis, qu'elle ne défrise en rien les marchés.

Point du tout ici. Quatremer s'exprime comme un journaliste à Libé avant l'introduction de la pub :

JQ  : Votre raisonnement peut se résumer ainsi: à marché mondial, réglementation mondiale. C'est le point de notre désaccord. Car les capitaux ou les entreprises vont là où leur présence est rentable. La norme différente est un inconvénient, mais guère plus. Donc je ne crois absolument pas que les capitaux fileraient ailleurs sous prétexte que nos normes comptables sont plus strictes ou que les agences de notation sont plus contrôlées. Au contraire, même, la qualité normative pouvant attirer les capitaux. Preuve que votre raisonnement ne tient pas: les capitaux ne s'investissent pas tous dans les paradis fiscaux, mais aussi en Chine où le contrôle étatique et les risques sont très grands...

Quant au régulateur européen, vous faites, à mon sens, la même erreur de raisonnement. Si on vous suit, soit il y a régulation mondiale, soit il n'y a rien. Or il existe des régulateurs nationaux qui ont joué plus ou moins bien leurs rôles. Si en Allemagne, la Buba a laisser ses banques investir massivement dans les titres pourris, la Banque centrale espagnole, elle, a déconseillé à ses banques de le faire. Résultat: pas d'exposition des banques espagnoles aux subprimes. Renforcer la régulation au niveau européen permettra de mieux détecter les risques.

Double scoop : on peut introduire des régulations qui dérogent au règne du tout marché, il existe même des institutions nationales qui ne sont pas défaillantes ! A croire que la France pourrait introduire toute seule une petite taxe Tobin, ou sortir de l'UE, sans que le monde ne s'écroule.

Résumons : on apprend, en lisant Quatremer ces derniers jours, qu'il ne sert à rien de voter aux prochaines européennes.

Que la structure de décision européenne est telle que rien n'y oblige les gouvernements à écouter les citoyens.

Que la Commission rate toutes les occasions de faire de bonnes politiques car elle se fait fourguer les législations minables que même les américains refusent.

Que c'est la même Commission qui va être reconduite, car tant de bêtise mérite bien récompense.

Que le Parlement, dont le Traité de Lisbonne était censé faire le remède souverain au déficit démocratique, n'aura aucun rôle réel, pas plus après qu'avant : il ne peut rien faire contre la Commission.

Pour finir, on apprend que les régulateurs nationaux tiennent souvent la route, et que ce n'est pas si dramatique de sortir du rang.

Je ne sais pas vous, mais ça fait comme un courant d'air frais...


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