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La provoc' à deux balles

Publié le 24 mars 2009 par Doespirito @Doespirito

Il y a une expression que je déteste particulièrement, c’est «Il faut savoir jusqu’où ne pas aller trop loin». Ça sent son politiquement correct à 100 lieues. Il suffit de regarder autour de soi pour voir à quel point la provoc’ à deux balles est devenu la règle, reléguant la provocation géniale (Duchamp et son urinoir date de 1917, je le rappelle) au rang d’exception qui la confirme. Je vais prendre un exemple au hasard, cette pub pour Durex.

La provoc' à deux balles

Elle met en scène des petits animaux en ballon qui se voient, se reniflent, s’accouplent dans toutes les positions, se reposent, embarquent un troisième larron de latex dans une partie de bicyclette bulgare endiablée. Le tout rythmé par le bruit du plastique gonflé et frotté de nos bestioles surexcités. Mes amis se sont empressés de m’envoyer les liens, il y a deux ou trois mois, avec des «Lol» et des «mdr» à tire-larigot. Je l’ai vu repasser par ma messagerie, récemment, c’est pour cela que je vous en parle. Le buzz dit que ce clip, destiné au marché américain, serait interdit en France. C’est d’ailleurs ça qui m’a mis de mauvais poil, si je puis dire sans verser dans la plaisanterie graveleuse. Je dis bien haut ce que je suis le seul à penser tout bas. : je trouve ça un peu facile, côté humour et provocation. Si, si ! Inutile de protester, c’est mon blog. Et c’est moi qui modère les commentaires…

C’est trop facile, et je le prouve ! Il suffit qu’on parle de sexe pour que de vagues sourires gênés apparaissent sur les visages poupins de nos contemporains, que leurs yeux pétillent de joie contenue, et que, dans les jardins, les lilas se trémoussent, comme disait Trenet. On mettrait en scène des légumes, des ustensiles de cuisine, des origamis, des fruits de mer ou des boulons de 8, le résultat comique serait le même. Le sexe fait partie des sujets qui permettent de déclencher l’hilarité sans trop se fatiguer. Vous me direz que là, l’analogie entre le matériau de base du préservatif et les animaux en ballons est assez réussie.

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Moi, je dis que tout ça s’appuie sur des ressorts (vis comica) bien connus, pour ne pas dire éculés, et je suis poli. Qui n’a pas déjà soufflé dans le ballon, en effet, pour voir comment ça faisait ? Et qui n’a pas souri au spectacle du clown  aux grandes godasses et à la perruque rouge fabriquant une sculpture de boudin polymère à grands coups de pompe à vélo, puis l’offrant aux bambins sous les yeux de parents attendris comme un steak de chez Tribolet ? Et qui n’a pas éclaté de rire au bruit tordant du ballon qu’on dégonfle en tirant sur le plastique pour moduler la mélodie caoutchouteuse ? «Ah ! Oh ! Oh !  Ouf ! Hi ! Hi ! Hi!» couine le bon peuple, qu’une peccadille fait s’esclaffer. Dans ces situations, moi aussi. Mais dans celles qui les reprennent sans vergogne, ça sera sans moi.

Je serais dans un bon jour, ça parviendrait à m’arracher un long sourire douloureux. Pourquoi rire aujourd’hui, si ce n’est pour oublier qu’on risque de perdre son emploi avant d’avoir vu la fin du clip ? Et qu’il faudra attendre 150 ans avant de pouvoir baffer Bernie Madoff à sa sortie de prison ? Non, en fait, mon vrai sentiment, c’est que c’est un peu paresseux côté humour, et que côté provoc’, ça ne va pas assez loin, si je puis m’exprimer ainsi sur un sujet aussi propice à la gaudriole verbale.

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Je vais jusqu’au bout de ma pensée : si on avait voulu donner une autre ampleur à tout ça, il suffisait de demander à Durex de parrainer l’expo Jeff Koons à Versailles, qui s'est terminée en janvier dernier. Il paraît que certains se sont émus du voisinage de ces sculptures avec le décor extravagant concocté par Charles Le Brun himself sur ordre du Louis XIV. Mais pourquoi les chantres du choc artistique se sont-ils arrêtés en si bon chemin ? Tant qu’à piétiner les beaux-arts, la bienséance et la pelouse des jardins de Le Nôtre, il fallait y aller à fond et adapter un peu la mise en scène. Vous voyez déjà le tableau : une orgie de sculptures en baudruche chromée forniquant dans les salons du Roi-Soleil. Et en toile de fond musicale, non pas Lully façon «Tous les matins du monde», mais un bruit infernal de polystyrène frotté à vous faire péter les canines, et l’air moite de la galerie des glaces empesté d’effluves nauséabondes de caoutchouc brûlé… Filmé genre téléphone portable et relayé sur Youtube, Twitpic et Dailymotion. Quel succès ! Quelle notoriété planétaire instantanée ! Cela aurait eu une autre gueule, vous ne trouvez pas ? Cela aurait déclenché un scandale d’une autre mesure que ces minables polémiques sur l’opportunité d’exposer les kooneries kitchouilles de l’ex de la Cicciolina sous les dorures emphatiques de Versailles

Ah, c’est sûr, il y a fort à parier qu’il y aurait eu quelques dégâts sur l’image de nos fabricants de ballons d’amour. Mais on n’a rien sans rien. Ça se serait aussi terminé, j’en mets ma main au panier, pardon au feu, par un procès retentissant. La loi est dure, mais c’est la loi. Durex sed lex. Mais au moins, là, j'aurais rigolé !


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