Vous aussi vous en avez rencontré. Vous rentrez de chez vous après une dure journée de labeur, il est là. Vous sortez le dimanche pour la balade familiale près de la mer, à la montagne, en campagne, dans les bouchons du périf’ (rayez la mention inutile, pouf, pouf), il est encore là. Le soir, le matin, à midi, à minuit, il est toujours là. Il ? L’homme à l’épaule baissée. Il roule en clio rouge, sa muse, ou en 103 Sp. On le reconnaît à son épaule baissée. La droite généralement. Au volant de son bolide, légèrement dressé sur ses ergots, il s’arcboute sur le volant en moumoute. Une seule de ses mains conduit son véhicule, l’autre lui sert à prendre la température du jour. Ballante, reposant sur la portière, la vitre ouverte, elle est bien là, à la fraîche, la main de l’homme à l’épaule baissée.
Sujet d’études scientifiques
De nombreuses études épidémiologiques ont tenté de percer le mystère de savoir pourquoi. Oui, pourquoi l’homme à l’épaule baissée a l’épaule baissée. Plusieurs hypothèses, autant dire à ce stade des recherches, d’improbables conjectures, ont été émises pour l’expliquer. En voici quelques unes :
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Doté d’un tuner FM numérique, quoique sans commande au volant, l’homme à l’épaule baissée zappe plus facilement sur les stations radios dès que la pub envahit les ondes ou que la musique n’est plus du Rn’b criard.
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N’ayant pas changé ses chaussettes depuis la dernière fois, l’homme à l’épaule baissée souffre de quelques démangeaisons au pied. Sa stature ainsi transformée lui permet de s’adonner au plaisir de la gratouille tout en conduisant. Toujours çà qu’il n’aura pas à faire au bar des Sports.
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Accompagné de sa donzelle, celle dont la tête bouge quand il passe sur les dos d’âne, l’homme à l’épaule baissée peut ainsi conduire tout en massant la cuisse de sa copine. L’avantage ? Pas de préliminaires. On pétrit, on écrabouille, on masse. Quand la copine a de la cellulite et qu’on est en formation de boulanger, cela s’appelle un stage.
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Enfin, dernière possibilité dont les chercheurs en comportement nous font part : cela lui donne l’air supérieur. Grâce à son épaule baissée sur la droite, l’homme à l’épaule baissée peut toiser plus facilement les gens qui le dépassent quand son moteur carbure à fond, engueuler les piétons sur le chemin de l’école, cela lui rappelle de mauvais souvenirs, cracher par la fenêtre tout en évitant le retour de postillon en cas de météo venteuse dont sa main, gauche car on dirait que c’est quelqu’un d’autre, ne l’aurait pas prévenu. L’avantage est certain en cas de dépassement d’un véhicule lent sur la file de gauche, notamment en centre-ville. Il peut ainsi passer les vitesses, tout en accélérant et en contrôlant la vitesse du vent. Pestant contre le renchérissement du prix de l’essence, il accélère le moteur vrombissant, pour s’arrêter dans un freinage d’urgence afin de ne pas griller le feu qui était rouge. Mais cela l’homme à l’épaule baissée ne peut l’anticiper.
Car la situation a quelques désagréments. En voici quelques uns :
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L’impossibilité de se curer le nez, sauf aux arrêts intempestifs, genre passage de trains, déboîtement de bus, passage d’une classe de maternelle.
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La difficulté à lire tout en conduisant. Une expérience qui ne manque pas d’intérêt quoiqu’un peu dangereuse et pas que pour les méninges.
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La sensation permanente d’avoir toute la misère du monde sur le dos alors qu’il n’a que la sienne, même si elle est lourde.
Après l’homo erectus, l’homo neanderthalensis , l’omo rudolfensis, l’omo lave plus blanc, voici l’homo à l’épaulus baissus dit Homo roulensanssix, une nouvelle variante de notre espèce. Cette évolution n’aurait pas déplu à Darwin qui s’y connaissait en iguanes. Attention néanmoins. L’attitude de l’épaule s’inscrit progressivement dans les gênes. Si bien que le fils de l’homme à l’épaule baissée vient bientôt au monde lui aussi l’épaule brinquebalante, inclinée à droite. Ne vous avisez jamais à dire cependant que vous connaissez son père. Il pense qu’il est metteur en scène à Broadway.
Régis est très pressé d’arriver.