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Substitute

Publié le 25 mars 2009 par Joachim

Dans le numéro de janvier de So Foot, Kim Jee-Won (dont je n’ai vu que le schizoïde Deux Sœurs 2004) tente une analogie entre la narration cinématographique et le déroulé d’un match de foot. Il avoue réfléchir à la façon d'introduire des nouveaux personnages dans son histoire comme un coach fait rentrer des remplaçants sur le terrain : pour insuffler du sang neuf. Gare tout de même ! Autant l’usage de l’impact player dénote un grand sens tactique et psychologique dans l’art du coaching, autant sortir de sa manche un protagoniste aux quatre cinquièmes du récit (et lui donner le statut de deux d’ex-machina) ne peut s’avérer, pour le story-teller qu’une énorme facilité.

En attendant, petit florilège des grands contre-exemples où les remplaçants (de l’histoire) se sont avérés plus marquants que les titulaires.

Rebecca(Alfred Hitchcock 1940)

Une “deuxième épouse” dont on ne connaîtra jamais le nom étouffe sous l’emprise de Rebecca, la première épouse disparue, évanouie, et pourtant omniprésente, jusque dans ses linges (le R brodé qui surgit pendant la visite du vestiaire). Grand classique aussi bien du mercato que de la psychanalyse : le transfert raté. 

Ou comment oser prendre la place de l’idole évanouie tout en sachant que malgré toutes ses qualités, on ne réussira jamais à totalement la faire oublier. Somme toute, le destin de Gourcuff ou de Benzema, tel qu’il se joue ces années-ci chez les Bleus (glorieux meneurs de jeu ou ombres de Zidane ?). En même temps, Tigana avait bien osé reprendre le 14 de Johan Cruyff, mais pas fou, dans une autre équipe, sous un autre maillot…

Chaînes conjugales (Joseph Mankiewicz 1949)

Trois pré-Desperates Housewives et une quatrième, Addie Ross leur "meilleure amie", partie avec le mari d’une des trois premières. Film qui passe par le point de vue de chacune des trois amies, mais racontée par la voix off d’Addie, qui, on l’imagine, va rentrer dans l’histoire à chaque prochaine séquence, pour finalement mieux faire l’Arlésienne. Addie, c’est à première vue le remplaçant qui s’échauffe sans cesse au bord du pré sans jamais étrenner ses crampons… mais sa parole influe tellement sur le récit qu’elle la propulse dans une position plus glorieuse et stratégique : celle du coach éructant sur le bord de la ligne. Addie serait donc une sorte d’hybride contradictoire : l’entraineur-joueur, mais qui décide finalement de ne pas s’aligner.

Pour continuer sur Mankiewicz, rappelons qu’au générique du Limier (1972) figuraient... 

... tous ces noms d’acteurs inconnus pour des rôles (dont l'inspecteur Doppler pas si loin de doppelgänger) ne figurant pas dans le script. La légende dit pourtant que ces non-acteurs avaient pourtant droit à leurs loges –vides- sur le plateau, soit des n°12, 13, 14, 15, 16 figurant bien sur la feuille de match mais condamnés à en rester spectateurs.

Psychose (Alfred Hitchcock 1960)

Exemple canonique du changement de personnage principal, la pauvre Marion Crane étant zigouillée au bout de vingt minutes. Ce n’est qu’à la toute fin et plusieurs victimes plus tard que l’on comprend de qui le film racontait l’histoire : pas tant celle de Norman Bates que celle du propre effroi du spectateur, effroi qui prend la couleur de la complicité (avoir suivi Marion dans son vol et dans sa fuite), complicité immédiatement punie par les meurtres de Norman.Somme toute, utiliser deux personnages principaux comme des leurres pour mieux démasquer le seul personnage qui au fond intéresse Alfred : son spectateur.

Bon, alors dans le foot, ça donnerait quoi le schéma de Psycho (schéma repris sur le versant schizophrène par Lynch dans Lost Highway 1996) ?Un joueur star sorti ou blessé au bout d’un quart d’heure puis relayé par un obscur qui se transcende et se révèle aux yeux du monde. Ca doit bien exister dans les archives, mais comme ça, à chaud, pas d’exemple.

A moins que…. Sydney Govou lors de la Coupe du Monde 2006. Entrée superstitieuse et systématique à la 75e minute. Pas vraiment de saveur ni de poids dans le jeu, mais à chaque fois l’équipe gagne. Pour la finale contre l’Italie, Domenech se dit que quand même, les choses sérieuses commencent et le laisse en réserve. Pas de bol, coup de boule, défaite, drame national que l’on sait. Deux mois plus tard, revanche contre l'Italie, Govou titulaire plante deux buts, cinglants coups de couteau à la soi-disant « meilleure défense du monde ». Un gentil garçon qui se révèle un tueur : ça y est, on l’a trouvé, le Norman Bates du foot.

Boulevard de la mort(Quentin Tarantino 2007)

Un cascadeur sur le retour drague quatre beautés qui finissent massacrées à la mi-temps du film. Coach Quentin fait alors rentrer son deuxième posse féminin qui prend son éclatante revanche. Ou la guerre des sexes sous forme de match aller-retour, équilibré en temps (une heure chacun) mais pas en impact : victoire éclatante des filles par un fun et un speed qui parviennent à conjurer la tragédie initiale quand le mâle n’a plus que sa pauvre testostérone pour pleurer.

Une sale histoire (Jean Eustache 1977)

Quelque part, une matrice du précédent tant dans la césure que dans la thématique (hommes, femmes, mode d’emploi, voyeurisme, vice et désir). Un homme (Michael Lonsdale) raconte sa sale histoire, mais dans la théâtralité de ses mots choisis. Ca recommence. Un autre homme (Jean-Noël Picq, présenté comme le protagoniste "réel" de l’histoire) raconte la même histoire, mais dans la veine crue du documentaire direct. mais dans cette répétition (aussi bien une sale histoire qu’une histoire sale), brouillage entre remplaçant et titulaire, entre « modèle » et « comédien », entre « document » et « fantasme ». Entre « l’acteur » et le « modèle », lequel paraît le plus naturel, le plus sincère. In fine, lequel remplace l’autre ? Montrer la « fiction » avant le « document », c’est aussi établir un jeu de miroir qui renvoie à l’essence même du récit « trop obscène pour être vrai » mais « trop vécu pour avoir été fantasmé ».

Cet obscur objet du désir (Luis Bunuel 1977)

Confusion entre titulaire et remplaçant, suite…Toujours fuyant, jamais fixé, « l’obscur objet » ne peut être qu’à faces multiples, et partant avoir un double visage : deux actrices pour le même personnage de Conchita. Le plus étrange, c’est que finalement, cette substitution alternative de l’une par l’autre sans explication rationnelle (au gré des séquences) ne gêne finalement personne aussi bien dans le film que dans la salle. Obscur désir dès lors qu’il a deux visages d’anges…

Equivalence « poste pour poste » qui rappelle le dogme de Louis Van Gaal quand il entraînait le Barça : disposer de deux équipes A, chacune, qui plus est, composée de onze internationaux, deux équipes de stars, deux équipes interchangeables…. comme les deux stars en devenir, les deux visages d’Angela Molina et Carole Bouquet. Ou comment passer de La femme et le pantin (dont le film de Bunuel est une adaptation) à deux femmes et deux fois onze pantins.

Mulholland Drive (David Lynch 2001)

Variante de la situation précédente mais avec une combinatoire de substitutions des plus retorses : non seulementdeux actrices pour le même nom de star (Camilla Rhodes), mais aussi deux actrices qui jouent chacune deux personnages. 

Le conte lynchien, de coups de dés en battements d’ailes qui sont autant de déplacements psychanalytiques, tricote et détricote le rêve hollywoodien, comme un rêve cruel qui peut vous transformer star un matin, serveuse de fast-food l’après-midi. Symptôme de la star brutalement ramenée à la réalité qui résonne curieusement avec les débuts malheureux de Jean-Pierre Papin au Milan AC (saison 1992-1993) : ruminant sur le banc sa splendeur passée de l’autre côté des Alpes. Voilà ce qui arrive à ceux qui croient Berlusconi …

Et pour en revenir au Lynch, le souvenir d’une tribune de Kaganski dans les Inrocks « Mulholland Life » remarquant que sept ans après les faits, l’effet le plus spécial du film restait son influence vénéneuse sur la carrière de ses deux actrices : Naomi Watts (en bas dans Le cercle 2003) étant devenu qui l’on sait quand Laura Elena Harring continuait à végéter entre téléfilms et films de séries plus ou moins exportables. Comme si l’émergence d’une star s’accompagnait nécessairement , en miroir, d’un destin marqué par la frustration. Comme si derrière chaque star se tapissait, dans son ombre, sa doublure inconnue…

Bon, ben voilà, Kim Jee-Won, si ça peut t’aider…


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