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L’Amérique hors du monde

Publié le 25 mars 2009 par Jean-Philippe Immarigeon

Ah ! qu’il nous plait ce rêve que le président américain ne cesse de célébrer depuis ses premiers discours de campagne ! Qu’elle est réconfortante cette idée que les vieilles recettes, qui ont fait son succès durant deux siècles, vont de nouveau permettre à l’Amérique de rebondir ! Mais qu’il est régressif et infantilisant ce repli vers une pastorale sublimée, qui serait détachée des contingences de l’histoire et repousserait les agressions d’un monde tragique ! Mais n’est-ce pas cela qui nous attire dans cette Amérique de l’éternelle adolescence ?

Mais quel âge ont les Séguéla, les Labro, les Bacharan et même les Royal, pour régresser au point de nous avoir infligé ces derniers mois leurs rédactions de rentrée des classes : « En Amérique il y a des maisons qui montent très haut, et les Américains sont tellement forts qu’ils gagnent toutes les guerres, et n’importe quel pauvre peut devenir riche en inventant des inventions et en construisant des constructions, etc etc. » ? Mais les mêmes se répandent en avertissements : nous ne sommes pas dupes, nous savons bien que tout ceci n’est qu’un rêve, et que le président américain ne pourra pas le réaliser. Ça tombe bien, Barack Obama n’a rien promis. Il a juste cultivé ce côté christique et sacrificiel de l’homme qui fait don de sa personne à l’Amérique pour atténuer son malheur. Il sait qu’il entre déjà dans l’histoire : soit il réussit, et sa tête sera rajoutée au Mont Rushmore, soit il échoue et il sera celui qui aura tout tenté. Mais l’ont-ils écouté, ceux qui n’attachent à ses paroles qu’une importance finalement toute relative ?

Le président de la peur américaine

Le problème des Européens est que les discours des hommes politiques américains, et tout particulièrement ceux du candidat puis président Barack Obama, sont codés, ou plutôt qu’ils visent des images neuronales typiquement américaines. Et que, ce qui est plus grave, nous refusons de voir qu’ils sont codés. Il est vrai que rien de la culture américaine ne nous échappe ; elle est universelle en ce sens qu’elle nous est transparente. Sauf que nous croyons depuis deux siècles avoir le même logiciel et les mêmes références. Résultat : nous n’entendons rien, ne comprenons rien, et élevons nous-mêmes le gibet de notre désillusion à venir.

Deux exemples pris dans son discours du 20 janvier 2009 : il y évoque à la fin la retraite de Valley Forge, grand mythe immortalisé par un tableau célèbre représentant George Washington traversant le Delaware. Pour les écoliers américains il s’agit d’une sorte de Longue Marche avant l’heure (sauf qu’il n’y avait qu’une rivière à franchir) : mais c’est une retraite. Et de fait les Insurgents ne sortirent de leur réduit militaire qu’à l’arrivée à Newport d’une escadre française commandée par l’amiral d’Estaing. C’est donc une image de repli qui est évoquée par le président Obama, celle d’une Amérique qui va s’isoler pour se ressourcer. Nul besoin pour le président d’en dire plus.

Seconde évocation surprenante dans son discours, celui de la guerre du Vietnam. Le président américain a cité quatre batailles, et il est évident que, dans un texte préparé à la virgule près, ces évocations ne sont pas innocentes : Concord (guerre d’Indépendance), Gettysburg (tout autant parce que ce fut une immense boucherie que parce que la bataille est connue du fait de la proclamation du président Lincoln qui suivit, appelée Gettysburg Address), le D-Day (ce qui froissera encore une fois nos amis britanniques, fatigués de rappeler qu’ils fournirent ce jour-là les deux–tiers des moyens terrestres et les trois-quart des moyens navals et aériens), et… Khe Sahn. Etrange citation que cette demi-victoire, Dien-Bien-Phu à l’envers dont se vantent les Américains, alors que, dès la levée du siège, ils n’eurent rien de plus pressé que de démanteler la base et de se replier.

Ce que le président Obama a ainsi décrit à ses concitoyens, tant dans ses mots soigneusement choisis que dans ses évocations historiques, est terrifiant : un pays en panne, une nation en guerre, un avenir incertain. Formules de rhétorique, dirons certains, pour mieux faire passer le message d’optimisme et d’espoir. Non, et c’est la grande différence d’avec la fameuse phrase de Roosevelt, qui suggérait à ses concitoyens que leur peur était irrationnelle. Obama au contraire a décrit un monde dangereux, et de ce point de vue il renoue avec la peur ontologique de l’Amérique. En 1933, elle ne savait et ne voulait encore rien savoir du monde : en 2009, elle s’est laissée contaminée par ses tragédies.

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Pour les Américains le signe est clair : face à un univers hostile et agressif, le repli sur soi est la seule chose à faire. Lorsque le monde est définitivement méchant, lorsque Wall Street menace la quiétude de l’Amérique provinciale, l’ultime refuge est le rêve d’un monde sublimé sans Ben Laden, sans discours du vilain Villepin au Conseil de Sécurité, sans friction et sans contrariété. C’est la promesse américaine, c’est surtout le rêve d’un peuple qui n’a eu de cesse de chercher un trou pour y faire l’autruche. C’est une régression fœtale déroutante lorsqu’on veut dans le même temps gendarmer le monde, un retour en petite enfance qui n’a pas commencé avec Barack Obama mais qu’il parachève. Il est lui-aussi le candidat de la peur, et c’est ainsi, et pas autrement, qu’il a pu faire basculer les quelques Etats du Middle West qui lui ont permis de déborder le ticket McCain-Palin sur son propre terrain : c’est-à-dire, pour dire les choses crûment, auprès d’un électorat de « petits blancs » traditionnellement républicain et isolationniste qui, en tout autre circonstance, n’aurait jamais voté pour un « noir prénommé Hussein ».

Le retour de Mary Poppins

Voilà où réside cette « imposture » Obama, dont il n’est pas l’inventeur. Mais c’est le Rest of the World qui voit en lui un nouveau Mary Poppins. Qu’il représente déjà beaucoup au regard de la réconciliation d’une nation avec son histoire et le péché originel que fut l’esclavage puis la ségrégation, est évident. Mais nous, qui ne sommes pas Américains, qu’attendons-nous ? Qu’il ferme Guantanamo par un coup de baguette magique, alors qu’il a lui-même reconnu le 11 janvier dernier que cela poserait quelques problèmes constitutionnels ? Qu’il repousse les Talibans jusqu’aux confins de l’Himalaya, puisqu’il a réaffirmé, dans la grande tradition américaine à la Westmoreland, la nécessité d’une victoire militaire ? Qu’il évacue l’Irak, comprenant de travers son : « We will begin to responsibly leave Iraq to its people », qui ne veut pas dire « We will leave Iraq » ? Qu’il résolve enfin la question palestinienne, alors qu’il a, lors de son périple de l’été 2008, assuré Israël de son indéfectible soutien, y compris sur le principe de Jérusalem « capitale éternelle et indivisible » ?

Et surtout, sommes-nous tous dans un tel état d’infantilisme que nous ne réagissions pas lorsque le nouveau président, dans la lignée de tous ses prédécesseurs depuis Thomas Jefferson, réaffirme que la destinée de l’Amérique est de conduire le monde, ce qu’il n’a cessé de marteler durant toute sa campagne ? C’est plaisant de se dire qu’Obama va nous prendre par la main et nous entraîner dans un monde idéal, là où il n’y aura pas de course de pingouins qui parlent comme dans le film de Disney, mais les Minutemen et les habits rouges du roi d’Angleterre, des cloches fendues et des Indiens fourbes, Cette Amérique de Pocahontas est le référentiel unique du président américain, qui ne cesse de citer les Pères Fondateurs, la Déclaration d’Indépendance, la Constitution de 1787.

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Cette Amérique-là n’est pas celle d’un monde globalisé, multipolaire et toutes ces choses. On ne comprend pas en Europe l’esprit agraire des Américains, que le président ne cesse de flatter et d’entretenir. Mais comment une nation peut-elle avancer avec pour seul horizon des concepts et des principes inventés il y a plus de deux siècles, du temps des rois ? Quelle attraction peut bien représenter au XXIème siècle une pensée du temps de la marine à voile et de la lampe à huile ? En quoi ce travail d’introspection va-t-il résoudre la crise universelle et nous aider en quoi que ce soit ? Voilà une nation que le monde croit tout entière tendue vers l’avenir, et qui ne cesse de se retourner et de regarder son passé, qui s’interroge en permanence pour savoir si elle est à la hauteur de l’œuvre entreprise par des Pères Géniteurs à la sagesse quasi-divine.

L’élection de Barack Obama peut-elle permettre à l’Amérique de sortir d’elle-même ? Peut-il arrêter ce lent repli qui a mené les Etats-Unis, de puissance impériale au lendemain de la seconde guerre mondiale, à se réfugier dans un esprit provincial, fatigués qu’ils sont de guerres à moitié gagnées ou totalement perdues, et dans un infantilisme de commémoration et de sublimation des origines ? « Voilà le vrai génie de l’Amérique, a t-il dit le soir de son élection : l’Amérique peut changer. » Non : sa pensée n’est pas réformable. Ne varietur. Le président Obama sera-t-il alors celui qui, à son corps défendant, soldera les comptes de l’Amérique ?

Jean-Philippe Immarigeon © Revue Défense Nationale, février 2009

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