Une fois de plus, nos médias viennent de céder à leur constant goût pour l’emphase. Il s’agit en l’occurrence d’un domaine qui passionne des millions de Français. Je veux parler du football. Pour ceux qui, comme moi-même, ne s’intéressent à ce sport que de loin, je rappellerai que, au cours du championnat de France de Ligue 1, chaque équipe rencontre successivement au cours de la saison les 19 autres, une fois sur son terrain et une fois sur celui de son adversaire. La saison comporte ainsi 38 journées, à l’issue desquelles sont attribués des points, trois pour une victoire, un pour un nul et aucun pour une défaite. On peut ainsi établir un classement de ces équipes.
Dans la pratique, pour des raisons de calendrier, les matches d’une journée donnée peuvent avoir en fait lieu sur un, deux ou même trois jours. A l’issue de chacun de ces jours, certaines équipes se trouvent avoir joué et d’autres ne l’ont pas encore fait. Ceci m’amène au sujet de ce billet. Depuis 2002, il se trouve une équipe, celle de l’Olympique Lyonnais, qui se permet de gâcher une grande partie de l’intérêt de ce jeu, en remportant chaque année le championnat de la Ligue. Pour ranimer un peu cette compétition, on en est réduit à guetter le moindre faux-pas du premier du classement et, lorsqu’il n’y en a pas, à en inventer un. Ce samedi 21, Lyon n’ayant pas encore joué son match, se trouvait très momentanément dépossédé de sa place de premier. La plupart de nos médias ont alors glosé d’abondance sur cette perte. Ayant gagné son match le dimanche, l’OL occupe toujours cette place de premier. Cela n’a pas empêché nos commentateurs distingués d’épiloguer à nouveau sans fin sur un rétablissement qui n’avait jamais eu lieu pour l’unique raison qu’il ne suivait aucun recul.
Il est tout à fait normal de classer les équipes à l’issue d’une journée calendaire. Mais il n’y a aucune raison de comparer les performances d’équipes qui n’ont pas joué le même nombre de matches. Au lieu de s’en tenir à un classement en fin de journée, on pourrait tout aussi bien réaliser un classement en temps réel, tel qu’il est pratiqué par exemple dans les compétitions de ski. Ainsi, chaque fois qu’au cours d’un match une équipe prendrait l’avantage sur son adversaire, on la créditerait du gain de la partie, quitte à réajuster ensuite si son adversaire renversait la situation. On aurait ainsi la vraie mesure en temps réel du niveau de chacun, ce qui donnerait l’occasion à tous ces experts ès football de se livrer à de savantes exégèses, si toutefois le rythme de réalisation des buts leur en laissait alors le temps.
Ce qui m’a choqué également ce samedi, c’est cette persistance de ce que j’appellerai le syndrome Poulidor. Il y a bientôt cinquante ans, deux coureurs cyclistes se mesuraient régulièrement, Anquetil et Poulidor. Le premier gagnait presque toujours, le second arrivait avec constance second. Eh bien, les foules adoraient Poupou et n’appréciaient guère le vainqueur. Pourquoi ? Parce que cheu nous, on n’aime pas ceux qui gagnent. C’est comme ça, quelqu’un qui gagne, c’est louche, il doit tricher. De là à imaginer que ce mépris du sportif victorieux contamine également le succès en affaires…
Autre coquetterie pédante des milieux sportifs, le nom de Division a cédé la place à celui de Ligue, si joliment évocateur des Leagues américaines, tout comme play-off est en passe de supplanter celui de barrage, sans doute beaucoup trop compréhensible aux yeux des spécialistes.