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Scène d'un trajet quotidien

Publié le 26 mars 2009 par Anaïs Valente

Journée pluvieuse mais douce.  17 heures, entre chien et loup dit-on je pense.  Le ciel n'est plus tout à fait clair, mais pas encore tout à fait noir.  La soirée s'annonce joviale : je vais cuisiner.  Folle envie d'escalope de poulet pannée, ça ne s'explique pas.

Le bus arrive, je monte et m'installe tant bien que mal, chargée que je suis par un gros sac de courses.  Le chauffeur n'est pas brun ténébreux mais il a un petit charme, je l'avoue.  Peu de cheveux, petites lunettes.  Un petit côté intello qui n'est pas pour me déplaire.

La valse des entrées et sorties prend quelques minutes, et je vois entrer une dame relativement âgée (expression qui ne veut rien dire, cela va de soi, car qu'est-ce que c'est être « relativement âgée » sinon un terme qui temporise le mot interdit « vieille »).  Elle est d'une élégance certaine avec ses beaux cheveux blonds lissés en carré court, coiffure inhabituelle pour une femme de cet âge, généralement plus adepte des boucles de « mémé ».  Un maquillage parfait ajoute encore à sa classe.  Elle se déplace cependant très difficilement, à petits pas tout petits tout petits, et à l'aide d'une béquille toute noire.

Elle s'approche de moi à petits pas tout petits tout petits, et s'assois sur le siège juste devant le mien, à côté d'une ado au look extravagant, aux dents appareillées de fil presque barbelé et dont l'ipod déverse un son agressif que j'entends malgré Hana Pestle qui chante dans mes propres oreilles.

Le bus quitte enfin la gare et s'apprête à traverser la ville à la verticale, via l'artère principale, laquelle est à sens unique (important pour la suite de l'histoire, concentrez-vous).

Notre dame relativement âgée sonne immédiatement, signalant son intention de descendre au prochain arrêt, situé sur cette fameuse artère principale à sens unique (je sais, j'insiste lourdement).

Lorsque le bus s'arrête, elle se lève péniblement (j'ai un tantinet pitié, « comme on devient ma bonne Dame ») et se dirige à petits pas tout petits tout petits vers la sortie.  Elle s'arrête devant la porte, se tourne tant bien que mal vers le chauffeur ni brun ni ténébreux et lui demande « pour redescendre la rue ensuite Monsieur, je prends le bus en face ? »  A noter qu'on ne redescend pas la rue, on la remonte, direction Nord, mais qu'importe.  A noter aussi que, vu le sens unique, il est clair qu'aucun bus ne passe dans l'autre sens, mais cette pauvre dame ne semble pas s'en rendre compte.  Le chauffeur acquiesce d'un œil distrait.  Je me concentre mieux sur la conversation, ne croyant pas entendre ce que j'entends : un chauffeur de bus qui répond n'importe quoi à une pauvre dame lourdement handicapée.

Etant donné qu'elle doit être un tantinet sourde de surcroît et qu'elle met, à raison, la parole du chauffeur en doute, elle insiste « donc je reprends le bus à l'arrêt en face alors ? »

Et le chauffeur de confirmer allègrement « oui oui c'est cela Madame ».

Cette brave dame descend enfin, ignorant tout du drame qui s'est noué.

Je suis sciée, estomaquée et chamboulée, tout à la fois, de constater à quel point ce chauffeur ne manque ni de culot ni de sensibilité.  Et penser à cette pauvre dame qui va, après quelque temps, vouloir reprendre le bus à l'endroit même où le chauffeur lui a confirmé qu'elle pouvait le reprendre.  J'ose espérer qu'elle réalisera rapidement que la circulation ne se fait que dans un sens et que retourner à la gare en bus est impossible.

Quant à ce chauffeur ni brun ni ténébreux ni sympa, je lui souhaite d'être un jour très vieux et très impotent, et de se retrouver perdu dans une ville qu'il connaît peu, à la merci d'un chauffeur dégueulasse tel que lui.  Rira bien qui rira le dernier.  Salaud, va.

Ma bonne résolution pour la prochaine fois : vaincre ma timidité maladive et oser intervenir dans ce genre de conversation afin d'orienter au mieux les gens maltraités par les chauffeurs ignobles.



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