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ANPE/Assedic : Aveux Signés.

Par Mélina Loupia
7 heures. J’entends pleurer dans la chambre d’en face. Une ombre surgit au pied de mon lit, des larmes coulent sur mon drap. « Maman, j’ai raté le bus, j’ai oublié de mettre le réveil de ma console, c’est Arnaud qui a la mienne et j’ai la sienne et ça va sonner là. -Bon, pas de souci, papa va t’amener, hein papa ? -Mhh ? -Voilà, c’est réglé, vas t’habiller, je te prépare le petit déjeuner. »   Voilà une journée qui commence moyen. La rentrée en 6ème compromise, le réveil un peu abrupt des frangins, les grognements sans sous-titres de Copilote, et on toque à la porte. Apprêtée comme un lendemain de fête, j’entrouvre et le petit de la voisine qui fait rentrer le piquant du vent du Nord matinal. La maison s’ébranle rapidement, malgré elle, son rythme se perturbe. Hier, c’était les vacances. Ce matin, c’est le bordel. Je sucre trop le chocolat de Nicolas, pas assez le café de copilote et installe le petit voisin et Arnaud devant la télé. Jérémy, à l’affût d’une de mes gueulantes légendaires, observe mon calme olympien, s’en lasse et retourne se coucher. 25 minutes, des bisous appuyés, trois portes qui claquent et un deuxième café plus tard, Nicolas est en route à la recherche du temps perdu avec son père, à peu près rassemblé.   Je m’atèle à la consultation de mon fameux dossier Assedic, le joli papier glacé avec les pochettes rigolotes et acidulées. À l’intérieur figure la sommation de l’A.N.P.E pour le matin même, à 9h45.   11h45.   Alors qu’Arnaud et son pote vident les lieux, en route vers leurs apprentissages, et que je m’interroge encore sur ce qui m’a fait imaginer que j’avais rendez-vous à 9h45, le téléphone sonne. « C’est maman, dis, il est 8h10, mais je dois aller à la poste, au gaz et je me disais que ce serait judicieux qu’on parte maintenant non ? -Je t’attends, mais prends ton temps. » Un troisième café maternellement, les dernières consignes précise de non ouverture de porte aux inconnus, justification évasive de mon absence à quiconque téléphonera et fermeture à double tour de la porte après mon départ à Jérémy plus tard, je suis en route vers ma seconde leçon de morale avec ma mère, à peu près pressée. Elle se détend en apprenant qu’elle aura tout son temps de papoter avec les copines à la poste et établir un comparatif poussé des tarifs, packagings innovant des bouteilles de gaz. « On pourra même s’offrir le luxe de faire trois courses avant l’A.N.P.E. -Comme tu veux maman, c’est toi qui conduis, moi, à part le lait et mes démissions à justifier, j’ai rien d’autre de prévu. »   Quand nous sortons du discounter alimentaire, le lait m’a coûté 118€, en raison des deux ou trois folies auxquelles je n’ai pas pu résister, comme la viande, le café, les nouilles et le chocolat.   Yvette, notre copine à 4 roues se laisse charger et nous gagnons le sein de Seins à 11h 13. Ayant oublié d’effectuer ma première miction, je prends congé de maman à ce moment-là. « Bon écoute, là, j’ai les dents du fond qui baignent, je te laisse, si t’as faim, tu te sers derrière, mais si t’as soif, tu touches à pas à l’alcool, je pense pas être en état de conduire une fois qu’on m’aura bien culpabilisée et que j’aurai déçu mon conseiller de retour à l’emploi durable. -Tu crois qu’ils acceptent que les actifs utilisent leurs toilettes ? -J’en doute, mais je t’appelle si c’est open bar à l’intérieur. »   Je pousse la porte en sens interdit, émets un vague sourire de circonstance et entre par le bon sens. Trois personnes devant moi, une quatrième prise en charge, sur le coin d’un tout petit comptoir. Ambiance calfeutrée, point de chômeur qui ne déverse sa colère, sa détresse et l’injustice de cette putain de société que c’est pas possible aujourd’hui mais dans quel pays on vit je vous le demande et vous, planqué derrière votre bureau et votre ordinateur vous en avez rien à secouer de ce que je vis à la maison hein. Sur une table d’école à quelques mètres, deux jeunes adultes affalés sur leurs chaises achèvent leur nuit, téléphone portable au creux de la main. Un troisième similairement dynamique les rejoint. « Putain, j’hallucine tous les papiers qu’il faut porter et tout ce qu’il faut marquer, putain, je le crois pas, on va se faire une clope ? -Oué. »   J’avance au rythme de celui qui me précède. La taulière du jour lève les yeux par-dessus ses demi-lunes. « Qui a rendez-vous ? -Moi ! » Je viens de me rendre compte que j’ai levé le doigt. « Madame Loupia ? -Oui. -Bon, alors vous, c’est une réinscription c’est ça ? -Oui. -Un projet défini ? -Travailler, c’est un projet ? -Je vois, excellent ça, bonne idée, voyons avec qui je vais vous mettre… Voilà, c’est Mademoiselle Conseillère qui va vous recevoir dans un instant, prenez le temps de compléter votre dossier. -Merci ! -Avec plaisir, si vous avez des questions, je suis par là…  -Les toilettes, par exemple ? -Vous êtes enceinte ? -Pas en ce moment non. -Alors je ne peux pas vous donner la clé, c’est réservé aux handicapés et aux femmes enceintes, je regrette. »   Je m’assieds dans la douleur et verrouille ma vessie au moyen d’un triple croisement de ma jambe gauche sur la droite, la main entre les cuisses. Je précise que je suis à la recherche d’un emploi, que je sais faire mon CV sans l’aide de personne et que j’accepte les règles du jeu. « Madame Loupia ? -Oui. » Une jeune et gracieuse demoiselle me fait face. Elle doit bien me dépasser de deux tête, mais sa beauté et sa voix d’ascenseur me plongent immédiatement dans un état serein, j’en oublierais presque que ma vessie est au bord de la crise d’hystérie. « Si vous voulez bien me suivre, on sera mieux dans mon bureau. » Je m’exécute et je suis le sillage de sa fragrance fleurie.   Lorsque je lui serre la main en prenant congé, il est midi pile. Je réveille maman qui ne « dormais pas, juste j’avais fermé les yeux, le soleil me tapait trop et j’ai oublié mes lunettes. » Au premier feu, après avoir traité un couple de gens du voyage de « la priorité, connard, tu te crois à Hollywood ? », elle reprend sa composition maternelle. « Bon, alors ? -Elle a de très jolis yeux et sent très bon. -Si c’était pas qu’il est midi et qu’on va se taper les embouteillages en ville, on arriverait presque à une heure décente à la maison. » Cependant que, derrière mes lunettes noires que je n’avais pour une fois pas oubliées sur la table du salon, je feignais l’indifférence en observant du coin de l’œil, un Apollon dans sa voiture de luxe, mon téléphone sonne. « C’est moi, juste pour te dire que Stéphanie est venue au magasin me dire 50 fois qu’elle adorait tes textes, qu’elle avait commandé ton livre et qu’elle voulait une dédicace et aussi que Nicolas est arrivé à l’heure, et qu’il m’a pas vu partir, bisous, à ce soir. »   Quelques chauffards insultés plus tard, Jérémy m’accueille, me propose de ranger les courses et me dit qu’il a déjà mangé. Maman m’invite chez elle. Ma sœur aînée et mes grands-parents nous attendent, comme leurs talons, dans lesquels leurs estomacs étaient à l’étroit. En me servant un second verre de Prieuré de Capendu, mon grand-père m’interroge. « Alors, tu t’es battue ? -Même pas papi, en fait, je suis très embêtée. » Ma grand-mère l’interrompt. « Mais laisse-la tranquille, elle a déjà préparé son texte. -Non mamie, je suis très embêtée. » Ma mère me regarde en souriant. « Elle a rien à dire. -Voilà. » Ma sœur, en prise avec une cuisse de poulet récalcitrante, abandonne son combat. « Bon, vu que tu manges avec nous et que tu as la banane vissée aux oreilles, ça s’est bien passé, alors quoi ? -Le souci, c’est que j’ai rien à dire, donc rien à écrire. »   Je suis remontée à la maison, avec un sentiment de vide cérébral. L’après-midi venait de perdre de sa saveur et m’apprêtais à glander selon mon statut officiel. Lorsque dans ma boite aux lettres postale, entre le livre que m’avait commandé Cécile, et les dernières promotions de Bergère de France, une enveloppe blanche m’intrigue. Je ramène mon précieux butin et fais le tri. Je relègue la Bergère au recyclage, vérifie que le livre est intact et déchire l’enveloppe anonyme. « ASSEDIC – Demande de pièces complémentaires. Madame, Nous avons procédé à l’examen de votre demande d’allocations de chômage en fonction des éléments en notre possession. Les droits ainsi déterminés pourront être revus à réception des éléments suivants : -   JOINDRE UN RIB Vous pouvez également obtenir d’autres informations et services sur le serveur vocal 0.890.642.642, muni de votre identifiant et de votre code confidentiel. Dans cette attente, veuillez agréer, Madame, nos salutations distinguées. Le Directeur. »   Je compose illico le numéro indiqué, taxé à 0.112€ la minute. Après un balayage rapide des menus 1, 2, 4, 6, puis 1, une voix métallique et à peine féminine m’informe. « Madame, votre demande d’allocations d’aide de retour à l’emploi ayant été refusée, merci de nous faire parvenir un R.I.B. »   Je raccroche, tire le plaid jusque sur mon menton, baisse le son et regarde Catherine Chancellor plomber le repas de la fête des mères, avant de sombrer dans un sommeil profond qu’Arnaud, frais comme un gardon et gai comme un pinson est venu troubler, à 17h.   La journée avait annoncé le noir, elle a finalement joué le rose, comme la nuance que le soleil déclinant peint le ciel avant de se coucher.   L’A.N.P.E a reconnu, en la personne de Mademoiselle Conseillère, qu’elle éprouverait quelques difficultés à m’aider à retrouver un emploi, dans la mesure où je ne pouvais plus me déplacer, et que j’avais pris la bonne initiative d’orienter mes recherches vers le télétravail. L’Assedic, quant à elle, a persisté dans sa logique d’abandon de l’inactif démissionnaire et tente de se reconvertir au spectacle comique.   Des deux maisons, j’ai enfin reçu des aveux signés.

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