Il y a des blessures qui ne se refermeront jamais. Le Nazisme, son émergence, son impact sur les foules, l’endoctrinement réalisé par un régime totalitaire devant durer mille ans, continuent d’être au centre d’une partie des préoccupations des intellectuels allemands. Le cinéma n’échappe pas à ce questionnement sans cesse renouvelé.
Pour la plupart des générations actuelles, le régime Nazi appartient bel et bien au passé. Cela fait 60 ans que les citoyens allemands sont mis en garde, donc impossible d’imaginer qu’une telle aberration politique puisse un jour ressurgir sur le sol allemand.
"La Vague" de Dennis Ganser, adapté d’un roman de Todd Strasser, lui-même inspiré par la célèbre expérience de "La Troisième Vague" du professeur Ron Jones dans les années 60 aux Etats-Unis, tend à prouver que le phénomène est possible de nos jours à condition de réunir un certain nombre de conditions.
Dans un lycée d’outre-rhin, Rainer Wenger (Jürgen Vogel) à une semaine pour expliquer à ses élèves le concept d’autocratie. Plutôt que de leur présenter cette notion sous la forme d’un cours magistral, l’enseignant décide de mener une expérience concrète sur le fonctionnement d’un régime totalitaire. "La Vague" est créée et rien ne peut plus enrayer le mouvement.
Le long métrage de Dennis Ganser fait froid dans le dos à plus d’un titre. Sa démonstration est froide, précise, sans équivoque. Le régime Nazi historique est certes un fait du passé mais le metteur en scène nous prouve que l’idée même de totalitarisme survit quand même et que pour l’étincelle prenne à nouveau, il suffit qu’un mouvement politique soit mené par un chef digne de ce nom.
Dans "La Vague" la classe de ce professeur forme un microcosme de notre temps. Ces jeunes sont différents, chaque individu a ses centres d’intérêts, ses préoccupations, ses espoirs ou ses craintes. L’un des premières tâches de ce professeur au début de l’expérience est de gommer ces différences, de leur donner un comportement communautariste. Ils doivent se lever pour s’adresser à leur professeur, lever la main poser une question, se tenir droit sur leur chaise etc… Puis un second pas est franchi quand le groupe se baptise "La Vague", adopte une tenue vestimentaire unique (une chemise blanche) et un signe pour dire bonjour.
Nous au cœur d’un endoctrinement totalitaire vécu par des gamins. La recette fonctionne. Ce groupe se soude, s’entraide par le biais de ces principes dignes du totalitarisme. Cette nouvelle entité érige la discipline et l’action comme des valeurs fondatrices de la nouvelle organisation. Et celles et ceux qui n’adhérent pas à "La Vague" sont forcément marginalisés.
Au centre du film se place le rôle et l’influence de ce professeur. Au début l’enseignant agit en digne chef d’un régime totalitaire. Il met en place le système, manipule les masses et érige la nouvelle doctrine. Dans un second temps Rainer Wenger a un sursaut de lucidité pour s’apercevoir que l’expérience, qui n’était au départ qu’une simple mise en situation, a été trop loin. L’émergence et l’affirmation de "La Vague" a donné naissance à de sérieux clivages au sein des élèves, du corps enseignant, des couples d’amoureux.
Le personnage de Tim (Frederick Lau) est emblématique à plus d’un titre. Adolescent sans véritables repères familiaux, vivant de petits trafics, le jeune homme voit dans "La Vague" la naissance d’une véritable famille, d’un univers lui permettant de s’épanouir. Mais Tim s’y implique trop et perd pied. L’adolescent ne veut pas que "La Vague" s’arrête en si bon chemin. Le désarroi de ce gamin perdu, en mal de reconnaissance, nous trouble et nous questionne.
Jürgen Vogel est excellent dans le rôle titre. Son personnage l’habite littéralement. Les jeunes comédiens allemands apportent tous de la diversité, de la variété. Leur implication fait recette.
La tension s’installe progressivement, insidieusement. La mécanique est implacable. La mise en scène est nerveuse. Les coups font mal. Rien ne nous est épargné. Le totalitarisme devient une réalité palpable pour une simple classe. Nous comprenons que les mécanismes d’endoctrinement fonctionnent selon des lois immuables. Le spectateur touche du doigt une dure réalité. "La Vague" vaut tous les discours du monde.
Dennis Gansel n’a pas besoin d’artifices pour nous démontrer que des individus
peuvent se transformer, s’entraider ou s’affronter. Son film résonne comme une leçon de vie et d’histoire. Sans faire de raccourcis on se rend compte que nous avons besoin de nous situer, de
trouver des repères et de nous intégrer. L’adhésion à un groupe, à une association n’est qu’une des nombreuses manières pour se sentir plus forts, mieux armés dans
l’existence.
L’une des réussites de "La Vague" est de mettre en relief la perte des repères de la "normalité". Ces lycéens oublient que "La Vague" n’est qu’une expérience éducative.
La forme du long métrage est secondaire car la toile de fond est bien plus importante. Nous sommes au cinéma, l’œuvre est dite de fiction mais le message est clair. Le fascisme où qu’il soit peut renaître de ses cendres en Allemagne ou ailleurs. La tentation est grande et le péril proche.
Le long métrage a de la force et fait mouche car il nous présente des situations on ne peut plus banales. La réalité de ce lycée, de ces lycéens nous cause forcément. Nous naviguons l’univers artificiel de ce long métrage et nos propres souvenirs.
Le film est chargé quand même d’un message d’espoir. Le totalitarisme a beau se développer de manière éclatante ou sournoise, il y a toujours une opposition qui se crée parallèlement en son sein. Tout le monde ne va pas dans le même sens et n’est pas submergé par cette vague déferlante.