Je suis surpris, mais content. François Weyergans est un écrivain dont j'aime les livres et pour qui j'ai de l'amitié.
Quelques souvenirs qui datent du jour où il avait reçu le Goncourt, en 2005...
Les cheveux en bataille, l'œil vindicatif, un article manuscrit à la main, François Weyergans est parfois passé à la rédaction du Soir en demandant de faxer d'urgence sa contribution hebdomadaire à un magazine français, filant à toute allure avant qu'on ait eu le temps d'appeler de Paris pour lui parler, s'il l'avait fallu. L'image est restée d'autant plus aisément dans les esprits qu'elle correspond parfaitement à la légende d'un personnage qu'on suit depuis maintenant plus de trente ans.
Autre flash, quelques années plus tard, chez Gallimard où il publiait Je suis écrivain, avouant mi-penaud, mi-amusé : J'avais voulu l'écrire en temps réel pendant les deux mois de mon voyage au Japon, et finalement cela m'a pris deux ans.
Et pourquoi voudriez-vous qu'on nous le change, cet écrivain cinéaste qui monte ses textes comme on monte un film ? Prenons Le radeau de la Méduse ou La vie d'un bébé, ou à peu près n'importe lequel de ses romans: les séquences s'y articulent avec une rudesse qui produit une succession de chocs, au terme desquels le lecteur sort lessivé. Et heureux.
La digression est, pour François Weyergans, un art majeur. Il la pratique dans la conversation comme dans l'écriture avec un aplomb confondant. Parce qu'il a l'air de passer d'un sujet à un autre mais sait très bien où il va. Et est tout à fait capable d'entraîner les autres jusque-là. Paradoxalement, si cela veut dire quelque chose dans son cas, il a reçu le prix Rossel pour un roman quasiment ascétique : Macaire le Copte est une présence, plutôt qu'un prêche, dans le désert. C'est-à-dire une manière d'être qui, détachée des contingences, permet de s'affirmer comme personne.
Toujours en bataille avec le monde - relisons La démence du boxeur (prix Renaudot 1992) -, (presque) toujours à mettre en scène un personnage d'écrivain ou de cinéaste qui lui ressemble, François Weyergans est un tendre, un fragile qui prend de grands airs pour masquer ses blessures. Ou pour mieux les exhiber, façon encore de jouer sur les failles en équilibriste pas trop sûr de lui, et d'autant plus émouvant.
Pendant cinq ans, nous sommes nombreux à nous être demandé s'il terminerait ce livre, Trois jours chez ma mère, qu'il disait pouvoir écrire en deux semaines ou à peu près. Fanfaron refusant de regarder en face sa grande peur de mettre le point final à un manuscrit. Récapitulons l'histoire d'un livre longtemps annoncé : en juin 2000, François Weyergans présentait son roman à des libraires, comme cela se fait souvent avant la rentrée littéraire. Habituellement, les écrivains ont à ce moment remis leur texte et il est presque imprimé. C'était loin d'être le cas. Il en avait le titre et le «pitch», comme on dit. Et, sans doute, de nombreux brouillons. Mais plusieurs brouillons ne font pas un livre, à moins de travailler et travailler encore, cinq ans durant, le temps de laisser son éditeur annoncer plusieurs fois la parution du roman, le temps de lasser certains, le temps d'en finir, malgré tout, et contre toute attente.
Au tennis, il possède son équivalent : tous les joueurs qu'étreint la peur de gagner. Et qui, au dernier moment, baissent les bras, laissant l'initiative à leur adversaire. Sinon qu'il n'y a pas, en littérature, d'adversaire. Ni Michel Houellebecq, ni Jean-Philippe Toussaint, ni Olivier Adam, les trois autres finalistes du prix Goncourt 2005, n'avaient de prise sur les votes. Sinon qu'en définitive, pour la première fois depuis très longtemps, un écrivain belge vient, mine de rien, d'ajouter son nom à la belle liste des lauréats du Goncourt. Et que, pas tellement parce qu'il est belge mais pour un tas de meilleures raisons, on ne peut que s'en réjouir.