Lire ou relire Ourania, c'est un roman fascinant, écrit par un très grand de la littérature contemporaine, Le Clézio . Il nous invite à partager son pays inventé. C'est assez ensorcelant, en forme de conte, de chant sensuel, un hymne au paradis perdu. Mais Le Clézio nous entraîne également dans la grande fresque de l'échec. Échec des utopies, du temps de l'innocence. Il est inéluctable et la force des choses finit par écraser ce rêve. Mais ce mythe a été nécessaire, et le rêve plus important que la réalité.
Certains verront à Campos, , une communauté hippie, d'autres une secte, lui, le narrateur, aidé par les écrits d'un des habitants du village, voit l'eldorado perdu, un monde utopique à portée de main.
On est séduit bien sûr par l'écriture, mais également l'exotisme, les personnages très attachants, j'ai bien aimé.
[...] Laisse-toi entraîner dans un autre monde, devine-le à la manière de la cigale, par les pores de ta peau, pas seulement avec les chambres noires de tes yeux, mais avec tout ton corps. Respire-le, bois-le. Si tu crois savoir quelque chose, oublie-le.
C'est ainsi que Jadi m'a parlé, le premier soir, avant la fête. Il m'a dit encore, et c'étaient ses derniers mots :
Pendant longtemps, les hommes de mon peuple ont cru que la terre était un plateau entouré d'un grand fleuve qui coulait dans les deux sens, où les âmes tombaient après la mort. Ils ont cru que les montagnes étaient creuses et contenaient l'eau des sources. Ils disaient que les étoiles étaient des esprits, que le soleil naissait chaque matin et mourait chaque soir. Ils ont appris à lire le temps, ils ont fait des noeuds sur les cordes pour prévoir les éclipses de la lune.
Nous sommes tous les enfants de ces hommes. Un jour, nous comprendrons des choses dont nous ignorons aujourd'hui même la possibilité. Nous vivrons de nouvelles lois, nous inventerons de nouvelles sciences. Des mondes sans gravitation, des particules sans nom, une molécule vivant sans hydrogène ni oxygène, une matière sans carbone. Une vibration qui ne sera pas la lumière, une dimension qui ne sera ni le temps ni l'espace. Tout cela viendra simplement par le rayon de la conscience, plus mince qu'un fil d'araignée, plus léger qu'une aile de papillon. Nous le pourrons, ou bien nous mourrons. Pour cela je t'ai dit, je l'ai dit à chacun de vous, regardez le ciel et perdez-vous dans l'espace, pour cette nuit. [...]
[...] Et là, ce matin, elle avait compris qu'ils n'étaient que des rêveurs immatures et naïfs, des proscrits, qui avaient essayé de vivre autrement. Ils étaient une tribu perdue. Aujourd'hui les puissants de la Vallée les chassaient pour faire main basse sur leur terrain, les effacer, les oublier, pour que tout dans la vallée rentre dans l'ordre. [...]
Ourania de J.M.G. Le Clézio (publié en 2006)
Ce rêve un peu fou d'un monde meilleur où " les gens des villages de la montagne disent qu'ils existent, que leur langue et leur histoire ne sont pas éteintes, qu'ils ont une voix au chapitre dans le livre général de la patrie ", nous pousse à espérer, car l'échec nest qu'apparent : "ils" sont repartis transformés.
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