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L'effet public

Publié le 27 mars 2009 par Theclelescinqt

L'effet public

Hier j'avais rendez-vous avec l'enseignant de CE2 de mon fils aîné, Eudes, bientôt 9 ans.

Dans un petit mot trouvé dans son carnet de correspondance, j'avais glané un lien internet où on me demandait de m'inscrire pour avoir le privilège de rencontrer l'enseignant tel jour. Pourquoi, mystère, mais enfin ça ne se refuse pas. Sur Internet, il ne me restait plus qu'un créneau peu après 17 heures. Ca ne rigolait pas. Je m'imaginai salariée, devant prendre un RTT pour aller discuter 5 minutes avec l'enseignant de mon fils.

J'arrivai hier avec la petite à laquelle j'ai fait rater trois quarts d'heure de halte-garderie, car sinon je n'aurais pas eu le temps d'aller la chercher avant la fermeture. J'avais prévu pour elle deux livres, des feuilles et des crayons de couleur, car je connais la bête. Mardi soir, lors de la réunion pour préparer la classe de mer d'Elie en avril, mes deux plus jeunes m'avaient fait la vie. Il y en a même un qui s'était pris de sacrées paires de claques.

Monsieur Tébot m'accueillit avec quelques minutes de retard, aussitôt que la mère de famille précédente s'extirpa de la classe avec ses propres gosses. Grand et mince, il me donna immédiatement une bonne impression, surtout que mon fils l'adore. Les hommes dans l'enseignement primaire étant aussi rares que les fontaines dans le désert, il faut les choyer. J'étais extrêmement bien disposée.

Nous primes place, tandis que j'admirai le TBI, ce grand tableau hight-tech, moitié ordinateur, qui a  récemment fait son entrée dans les classes de nos gamins, enfin surtout dans les écoles neuves de villes riches commes Verte-Ville, je suppose. Je fis une ou deux plaisantes remarques sur cette...chose, auxquelles Monsieur Tébot répondit d'un ton aimable et avec lenteur que la prise en main de cet appareil demandait quand même du temps. Ce n'était qu'une grosse cafetière, lui répondis-je en plaisantant, il fallait juste lire la notice!

Monsieur Tébot n'aimait pas les notices. il avait l'air fatigué.

Il posa devant lui ce qui s'avéra être le livret scolaire de mon fils. C'était donc ça.

"Comme vous le savez; commença-t-il avec lenteur; Eudes a d'excellents résultats,....des résultats de haut niveau..."Félicitations et blablabla...."

Oui, je savais. Pas grâce à moi d'ailleurs. Je ne lui ai jamais fait faire ses devoirs et je ne regarde même pas ce qu'il fait, ou de très très loin. Je ne prends pas le temps; j'ai une réputation de mère borderline à tenir.

L'instit mit un bémol : l'anglais. Je répondis que dans son école privée du Nord, Eudes n'avait jamais fait d'anglais, au contraire des enfants des écoles publiques parisiennes.

Monsieur Tébot, voulant me rassurer peut-être, déclara qu'il ne comprenait pas de devoir constater que pas mal d'enfants de cet âge n'aimaient pas l'anglais.

Ce que j'en pense est long à développer...D'abord ils ne sont pas là pour spécialement "aimer" ce qu'on leur fait faire, plutôt pour jeter les bases de notions utiles pour plus tard, de manière ludique pourquoi pas, et puis concernant les langues étrangères apprises dans notre beau pays, disons que personnellement il ne me viendrait pas à l'idée d'apprendre le chinois avec un français, ni uniquement via textes imprimés, comme dans toute bonne classe de 30 élèves qui se respecte. L'apprentissage des langues est ainsi fait qu'il est extrêmement facile d'apprendre une langue en 3 mois quand on est paumé au milieu d'autochtones, plutôt qu'en 15 ans coincé dans une pauvre classe franchouille avec un prof désespéremment français, quand en plus "c'est naze" de prendre la parole. Voilà ce que j'en pense.

Mais Monsieur Tébot n'était pas là pour entendre mes fines réflexions pédagogiques, le tarif syndical étant d'environ dix minutes par famille, point barre.

Monsieur Tébot entreprit malgré tout une intéressante circonvolution pour m'expliquer que dans certaines situations...avec les autres...Eudes n'était pas....pas vraiment...pas du tout...il avait...

"Dites-moi vraiment le fond de votre pensée"; l'encourageai-je.

"Mais je vous le dis!"

Enfin bref Eudes s'était mis à dos ses meilleurs copains, qui le snobaient maintenant carrément. J'en convins. J'étais au courant. J'étais allée voir personnellement le directeur du centre de loisirs où les insultes des autres gamins pleuvaient dru sur mon fiston; j'avais même fait une liste avec les noms. Mais je n'avais pas pensé à en parler au maître car il me semblait que c'était bien plus violent au centre de loisirs.

"Eh bien vous auriez dû."

D'accord.

Un peu plus tard, j'expliquai que la teneur des insultes visait surtout mon "intello" de fils, omettant de rappeler la première partie de l'insulte pour ne pas heurter les oreilles sensibles de cet exemplaire d'enseignant mâle, peut-être unique dans l'école.

Mais comme à vous, je ne cache rien, et que vous n'avez pas les yeux sensibles, sinon vous ne seriez pas là, sachez qu'il ne s'agit rien de moins que de l'acception exacte "enculé d'intello", à laquelle mon fils a régulièrement droit.

Monsieur Tébot évoqua la jalousie des enfants, leur méchanceté naturelle. Mais j'aurais dû lui en parler quand même, car un adulte ne voit pas tout ça.

D'accord.

Mais moi ce que je fais c'est que je choppe les gamins directement dans la rue ou au centre et que je leur dis trois mots. Puis je prends mon téléphone et j'appelle les parents. Puis je fais des listes d'insultes rapportées et je les remets au directeur avec demande d'effet immédiat. Au passage j'ameute également les animateurs et leur relate ce qui se passe. J'explique à mon fils que comme il réussit bien, qu'il est sportif, dégourdi, il déclenche la jalousie. Le mécanisme est simple : les petits groupes de cancres ou affidés réussissent parfois à persuader un môme que s'il ne se fiche pas de l'école, il n'est pas comme eux, il est exclu. J'ai vu ça pendant toutes mes années de scolarité, jusqu'à la fac, pas me concernant, évidemment, je n'étais pas spécialement une tête! Mais l'élève qui participait au cours était le naze de service.

"Mais ce ne sont pas eux qui vont t'aider quand tu auras raté tes diplômes comme eux."

En plus il y a l'effet Pokémon, cette saleté que j'ai interdite à mes morpions car je trouve ce couillon de jeu à 15 euros le petit paquet, scandaleux. Ca les met aussi sur la touche, car les mômes d'aujourd'hui ne font plus que ça en récréation selon toute apparence. J'ai interdit la Nitendo également, car je n'ai pas envie de récupérer des gamins lobotomisés, et à 300 euros l'objet, 50 euros le jeu, ça fait cher la lobotomisation.

"Mais vous auriez dû m'en parler quand même."

D'accord...

Monsieur Tébot devrait lire mon blog car je n'ai pas eu le temps de placer la moitié du quart de ce que je vous raconte.

J'arrivai quand même à introduire une petite question sur les devoirs, car il me semblait que mes gamins ne fichaient tout simplement rien le soir. Par rapport à leur école privée, ils n'ont que dalle. Et ce que je ne dis pas, c'est que quand ils sont arrivés du privé l'année dernière dans le public, leur niveau était bien plus élevé que celui de leurs camarades, même Andréa, en maternelle.

Monsieur Tébot était déjà levé. Pourtant le parent suivant n'était pas arrivé.

Il m'expliqua que les devoirs "étaient interdits". Que sa classe travaillait déjà suffisamment. Qu'il connaissait les devoirs de certains élèves dans le privé, au collège, et que c'était presque "inhumain".

Oui, mais si mon fils est si doué comme il le dit, peut-être faudrait-il le faire plus travailler, qu'il n'apprenne pas à se relâcher? Et puis, au fait, serait-il surdoué? Parce qu'il y aurait peut-être des choses à faire, s'il n'est pas bien avec les autres, je ne sais pas, moi...

Mais ces petites remarques se perdirent dans les limbes de la belle école neuve, quelque part entre le TBI et mon Monsieur Tébot déjà campé près de la sortie. Il n'y avait plus qu'à plier le bulletin et à me lever aussi.

Je lui glissai au passage quand même un mot sur ce prétendu "interdit" des devoirs dans le public en primaire. Je connaissais cette fadaise. A l'origine c'était pour apporter plus de démocratie : comme tous les gamins ne sont pas égaux à la maison, avec des parents pas toujours capables de les suivre, on a décidé de tout niveler par le bas, pour être tous égaux dans la médiocrité. Moi la première, je sais que je n'aurais pas l'énergie de coacher chaque soir mes quatre mômes, même en CE2. Les miens doivent se débrouiller tout seuls, avec éventuellement vérification finale. Il n'empêche qu'on se demande quels mômes vont réussir les grands concours, plus tard, les nivelés démocrates vers le bas, ou ceux qu'on aura poussés à fond à bosser.

Mais je n'eus pas le temps de développer. Au mot de "démocratie?" Monsieur Tébot répondit lentement : "Je ne sais pas..."

C'était fini, j'étais dehors.

Grand, mince et élégant, Monsieur Tébot fixait l'horizon du couloir dans l'attente du parent suivant.

En descendant les escaliers, ma fille agita son petit bras pendant une bonne minute, mais Monsieur Tébot ne la vit pas; il ne fallait pas qu'il bouge trop, cela aurait risqué d'abîmer le balais qu'il avait dans le fondement.

Elle était chiante, cette mère de famille-là. Gamin adorable et peut-être surdoué, il ne savait pas, mais mère pot de glue. Chaque chose en son temps.

Mon fils l'adore.

Great Teacher


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